« Nécessaires vacances de l’esprit »
On ne se méfie jamais assez de l’intelligence. L’intelligence rend l’homme pensif. C’est un état qu’il ne supporte pas quand il n’en a pas l’habitude. Il tombe dans la neurasthénie, quelquefois même dans l’arithmomanie: il compte alors les lames de son plancher, les livres qu’il a lus, les rinceaux du plafond; il additionne le nombre des étoiles avec celui des sergents de ville; il se trompe, recommence, et il fait peine à voir. Jamais, d’ailleurs, son total n’est exact. C’est ce qui arriva à Louis XVI, après son retour de Varennes, suivant Mlle de Mirecourt.
Et ce n’est encore qu’un résultat lointain de l’abus des facultés intellectuelles. Il ne faut jamais mettre un homme, sans un entraînement progressif, en face d’une situation qui l’oblige soudainement à réfléchir à plusieurs choses. Le sang afflue au cerveau, le teint passe au violet, le front se plisse, les yeux restent vides, la tête peut devenir aussi grosse que celle d’un académicien. Tout est à craindre en de telles conjonctures, comme du scaphandrier qui remonte à la surface après une importante plongée.
Le repos s’impose, et des bains de pieds à la moutarde. André Maurois rapporte un cas limite bien fait pour effrayer les esprits téméraires dans sa Vie de Disraeli: celui de M. Bentink, un parfait gentleman, membre de la chambre des Communes où il n’avait jamais rien dit. Disraeli le prit pour coéquipier et M. Bentink fut obligé de penser un peu. On le retrouva mort dans un champ, il y était tombé sur la face. « C’était un homme, explique Maurois, peu habitué au travail de l’esprit. » Et cependant, pour ne pas faire deux choses, il avait vendu tous ses chevaux.
On voit par là les gros dangers de l’intelligence. L’homme se fane comme l’herbe des champs. Il risque de tomber sur la face. De longues vacances sont à prescrire immédiatement.