fébrile je tremble en piquant…
fébrile je tremble en piquant
peut-être me piquerai-je et dormirai-je
cent ans
dans la beauté des pierres
Sylvain m’appelle
souvent fait retentir mon nom
dans le couloir Anne
on est
en pays de connaissance
au début la honte
aujourd’hui la fierté – tout aussi injustifiée –
d’avoir osé la descente
chez les morts
un jour m’acheter des vêtements
comme le paraître-au-monde
moins futile que
pensée imaginaire –
y prêter attention ténue
tous ces fous qu’il
me faudrait remercier de
l’écriture –
si l’on s’habitue à la folie d’un fou
on oublie et ce n’est
rien
l’hôpital des fous
certaines phrases que tu m’as dites
c’est moi qui te le demande je t’enverrai d’autres livres je
prendrai de tes nouvelles tous les jours
certaines phrases
comme des fanaux perchés au bout des rêves
les autres phrases que j’entends ici
je ne sais pas depuis combien de temps je suis là
vous êtes mariée des enfants
car je suis arrivée dans le coma
toutes ces misères qui doivent tenir dans les mots
que je m’aime que je m’estime m’as-tu dit
que je sois à la hauteur de
la générosité de tes caresses
des fruits
un repas de fruits
pour laver le corps
ce n’est pas que je ne veux pas vivre
c’est seulement que je ne parviens plus à faire les gestes du
vivre
occupée du seul délire de l’amour unique
tout le reste m’échappe
y compris le printemps
trop de pression disais-tu
si tu l’ôtes dans l’innocence ou l’inconscience c’est la
dé-pression
vers le bas étymologiquement démise
du haut vers le bas du haut de
ton grand lit sombre de la mezzanine enclose
des protections saines vers
le bas de ce lit trop blanc trop étroit de maladie dans
l’anonymat des faux sommeils sans corps ni désir
de l’hôpital
je passe le fil bleu ciel…
je passe le fil bleu ciel dans le chas de l’aiguille
Sylvain m’a demandé de lui recoudre son pantalon
Sylvain c’est un joli prénom qui glisse de toutes ses lettres
tout est matière à écriture
j’enfile le vivre et le mourir
je pique l’aiguille je tire le fil
je couds je couds dans l’espoir maigre que la
couture tienne – fil peu solide
je m’épuise de coudre
– la psychologue : ma vie la laine : tricoter quelque chose
avec –
mon prime geste de quotidienne fatigue
recoudre
une fois finie la couture tout
recommencer
mon œuvre n’est pas parfaite
je veux tâcher d’œuvrer mieux que pour moi-même
je couds comme un acte de tendresse
je tremble sur le chas de l’aiguille
c’est bien parce que c’est toi ai-je dit
le lien la couture Sylvain
est de mon village
…
Il pleut. Aujourd’hui enfermée. Pas de parc. Il va y avoir des cris. La journée sera difficile. Déjà des disputes hurlées dans les couloirs.
Je savais bien qu’un jour il faudrait que j’écrive à nouveau parce que telle était ma nature. Mais je ne savais pas qui déclencherait l’écrire.
Quel choc émotif.
Les infirmières m’ont sortie des chambres. Dans la salle à manger avec les fumeurs et mon ordinateur. Je cherche une prise électrique. Ils me regardent, " si tu as besoin de quelque chose, tu le dis " .
La recluse : " tu fais de l’écriture ? "
Un autre : " vous n’auriez pas cinq ou six feuilles, parce que je dois mettre à jour … " Quand je lui en donne quatre, les dernières : " il m’en manque deux " . Le décompte exact.
Puis il me les rend car il ne peut les déposer dans sa chambre fermée pour le ménage. Écrire dans la banalité vulgaire des chansons d’amour de Claude François, apportées par ma voisine, à tue-tête – je me surprends à fredonner – je me raccroche à n’importe quoi , au pire réel – pire ? Le romantisme facile. Même caractère que ma voisine, pour cela que que toutes deux dans la chambre blanche de l’hôpital.
On est tous là. On ne sera jamais guéris. Illusion du soin. Peut-être pourra-t-on seulement vivre un peu plus longtemps. Parmi ceux qui sont là, combien ressortiront d’ici ?