Citations de Annelyse Simao (16)
A l'écart
de la douleur
une marge de plaisir
à vivre une attente
un meilleur à refaire
Mes mots sont ceux des humbles…
Mes mots sont ceux des humbles qui ne savent rien
De ceux qui enterrent leur sueur se rendorment
Après leur premier cri sans y laisser d’empreinte
Car considère-t-on le fruit des multitudes
Vous qui pensez savoir depuis votre naissance
Quand même vous dites ne rien savoir
Par certitude Vous dont la mémoire
Est cage où grimpent des sages avec aisance
Vous que parole a traversés
Qui offrez des mots cités comme oseille
‒ Prêtez votre petite oreille
tu palpes mes habits…
tu palpes mes habits comme on éclate un fruit
des étoffes froissées dans le poing tu les portes
à ton nez pour en boire l’odeur du secret
tant rare des humains dont l’allure est alerte
tous avons quelque chose de gauche à travers
corps qui s’éjacule avec les ans nous heurte
adolescents signent défauts sur omoplate
moitié miroir et moitié masque nos fripes
révèlent en cachant cette part de mystère
qu’on appelait une âme jadis et si l’âme
n’existe demeure un obscur que l’humain vise
à circonscrire en s’habillant conforme et contre
Tes vers sont une drogue…
Tes vers sont une drogue William une envie
Pressante de laper tes plaies avidement
Je pousse mon désir vers la porte de nuit
Où prélever une dose amère de vent
De venin goulûment ingurgitée
Pour la laisser ramper en cauchemar
Au matin je n’ai cessé de nous grimacer
Des souffrances tenues dans le silence
Des adultes qui furent enfants maltraités
Forts de leur douleur ils sont un regard
Qu’ils tiennent devant eux
De toute beauté éphémère…
De toute beauté éphémère
Le coquelicot est le plus gai si léger
Dans sa robe de sang
Il pavoise simplement au milieu des herbes
Ordinaire en bordure des sentiers
Où la main d’un enfant le cueillera
Et le retournera pour lui donner figure
D’une poupée végétale et princière
L’instant d’un jeu de métamorphose insoucieuse
Par la magie de ressentir en l’autre
Ces feuillets je voudrais te les offrir…
Ces feuillets je voudrais te les offrir
Ouvertement comme un buisson tout naturel
Hors de saison dans son encre soudaine
Tu comprendrais le geste à peine
Un tremblement du bras une étincelle
C’est ton feu qui par mégarde m’a pris
Au rameau complice ma salive qui brûle
Je te fredonne pour l’inadvertance
De signes subtils qui poussent racine
alentour…
alentour la différence entre nous
l’accès à l’un l’ouverture à l’autre
mais toujours une préférence un choix
le jugement pour celui qui serait ou ne serait pas
véritable poète
existes-tu poète
quand c’est l’écrit qui te désigne ou nomme
et la force de ta parole
et le souffle de ta langue
existes-tu poète
quand les autres t’admirent
te craignent ou te bafouent
nous délivrer de cette idée perpétuelle
le poète serait un et unique
sans possibilité de partage
sans autre compagnie que de l’aide
au quotidien bien perdu
franchement fou un détraqué malade
un fantôme d’hier
en sempiternelle partance
par la nacelle du langage
je te suis en vélo…
je te suis en vélo à la traîne te surpasse
à la nage des raquettes aux pieds me pèsent
le canoë se renverse quand tu y montes
je contourne à pieds la falaise où tu grimpes
je me suis mise avec lenteur à ton pas du patineur
je t’ai chaussé de souliers roulants
la différence du genre et l’écart de nos âges
s’estompent à la trace vibrante où nos êtres
nous propulsent en avant verte vigilance
quand je parle amitié…
quand je parle amitié on y décèle amour
j’écris à quelqu’un sans dire qui
et l’on te croit celui pour qui je dis tu
combien de gestes impromptus inattendus
ont scellé d’avance le devenir d’un couple
qu’entendra-t-on si je m’adresse à celui
me liant à la vie chaque nuit tous les jours
je bouge…
je bouge je bous je cours je marche roule et nage
pour calmer la pensée
la pousser à circuler
la sortir du passé de ce qui vient
d’arriver
l’ouvrir à ce qui va
la maintenir entrouverte
et respirer
malgré
hier c’était la guerre…
hier c’était la guerre
hier le bruit des combats des tirs
des ennemis des agresseurs des violeurs
en violence
hier la jeunesse interrompue
s’est suspendue au couvre
feu
les souvenirs refoulés ressurgissent
dans leur voix dans leurs gestes
à chaque instant inattendu
puisse à jamais hier
rester passé
toute la journée …
toute la journée le pigeon a volé
de la branche d’un peuplier
à la croisée d’une fenêtre
chaque volet de l’immeuble est fermé
à semi ouvert sur le noir
façade bouclée
quelques reflets aigus
vitres cassées
pour les jeunes d’à côté
pas d’autre horizon
où promener leurs regards
Une fille postée là…
Une fille postée là sur son lit attend
la vacuité d’une songerie sans désir
Son suspens reste sans forme ni langage
Enveloppée dans les bruits répétés de quelques
sons elle les appelle musique
Elle s’occupe à naviguer sur son écran lumineux
à la recherche d’une étincelle d’un projet
qui la branche échafauder son lendemain
Vers quel avenir
Où sont-ils passés les étais concrets palpables
fantasmes châteaux en Espagne conflits rêveries
Des objets hétéroclites s’entassent autour d’elle
dans un début d’apocalypse
De quel droit demander…
De quel droit demander au-delà de tes noms date et
lieu de naissance de quoi vous survivez sans emploi ni
salaire quel sens vous accordez à cet abri de béton
aux murs et portes sales
Quelle joie peut encore germer dans les mots qu’on
assemble si ceux qui nous appellent sont empêchés par
tous ceux que l’on doit
Quel plaisir trouver dans des phrases quand les mots
défaillent à bousculer le monde
Si toujours aux mêmes gens la parole manque sans
avenir sans travail sans argent ni santé sans famille
ni espoir autre qu’envie d’objets réels à posséder
consommés
À l’instant fulgurant…
À l’instant fulgurant du jouir se quitter sans songer
à nos corps Nous parcourir Revenir à l’étreinte au jet
dans la suite la question du oui accompagne en continu
A-t-elle un sens seulement pour elle
dans la bouche conquise où l’obsède
cette pulpe ouverte sans que puisse jamais lui parvenir
de certitude complète
Il plonge en moi couchée Suis-je sous lui au-dessus
Lequel attire quel conquiert
Qui des deux prend qui des deux cède
sinon l’une après l’autre
sa lèvre et la mienne
des poètes d’antan…
des poètes d’antan sommes-nous différents
quand une absence un silence imprévus
suscitent douleurs corporelles pincements
du cœur mieux vaut se taire et vider ridicule
aujourd’hui dans le bus le regard d’un vieillard
s’est penché aussi loin que la vitre permet
poursuivre la silhouette blanche élégante
d’une femme étonnante il a fui de la tête
quand il s’est vu regardé pour ce vif attrait
involontaire on a beau dire que ça fout l’camp
il est plaisir des yeux qui attache aussi fort
que plaisir de la bouche et de jambes mais halte
aux plaintes des humains caducs ils apitoient
nous refoulerons liaison servile