Citations de Annick Le Guérer (56)
Odeur et son font partie d’un contexte émotionnel et « participent des premières expériences de satisfaction ». Le fort parfum dégagé par une de ses analysantes, tout comme ceux de Gethsémani, manifeste par son excès l’intensité de l’investissement affectif d’une représentation inconsciente.
Innombrables sont les légendes, les mythes, les rituels qui dans toutes les civilisations renvoient à cette intrication des sèves odorantes et du sang. Ce dernier peut engendrer le végétal, tout comme, à l’inverse, le sang ou même des êtres humains peuvent naître du végétal.
La voix n’est pas seulement l’objet causal, mais l’instrument où se manifeste le désir de l’Autre. Mais elle peut être perçue dans un rapport encore plus étroit avec les organes sexuels eux-mêmes.
Quand on entend les voix qu’on aime, on n’a pas besoin de comprendre les mots qu’elles disent », écrit Victor Hugo dans Les Misérables.
C’était une joie pour l’oreille d’écouter les paroles souples couler de là avec une grâce de ruisseau qui s’échappe.
« L’odeur partage avec la voix cette propriété étrange d’être à l’articulation de l’intime et de la sphère sociale : la voix n’existe pour l’autre que lorsque l’on accepte de la donner et donc de la perdre. Les deux sont des objets qui ne nous lient à l’autre que dans leur évanouissement. »
Le parfum a une voix. Elle peut être touchante, relève Marcel Proust dans Les Plaisirs et les Jours. Mieux encore, elle peut prendre le pas sur l’expression sonore : « Irène entre dans la pièce et c’est toujours son parfum qui m’appelle avant sa voix», écrit la romancière canadienne Louise Anne Bouchard. Et, puisque le parfum parle, on va l’« écouter ».
Le parfum est le durable chant de la voix qui sent bon. La voix est la durable exhalaison d’un parfum qui dit juste.
L’odorat et l’ouïe seraient, en outre, selon le pédopsychiatre Marcel Rufo, « deux canaux sensoriels très archaïques, neurologiquement matures dès les premiers mois de la grossesse qui permettent la formation des traces mnésiques».
Quand la mère parle, le bébé cligne des paupières, change de posture et se met à sucer son pouce ou le cordon ombilical93. » « Appareil psychique simple, enraciné dans le sensoriel94 », le fœtus perçoit le parfum du liquide amniotique et la voix de sa mère.
On sait que, chez les animaux, l’identification vocale et olfactive est vitale. Mères et petits se reconnaissent par la voix et l’odeur, parfois au milieu de centaines d’autres individus de la même espèce. Et, quand on supprime ces indices vocaux ou olfactifs, la mère refuse son petit.
L’odeur/parfum sera, tout autant que la voix, créditée de cette vocation à exprimer l’essence de l’être, un absolu d’identité, comme si fragrances et sonorités jouaient dans un même registre.
Chez de nombreux auteurs, le parfum fait surgir la voix qui serait « ce lieu où se cache l’essence volatile du sujet ».
« Je ne sais quel parfum presque insensible, plus doux que la rose, plus léger que l’iris, s’exhale ici de toutes parts : j’y crois entendre le son flatteur de ta voix », écrit Jean-Jacques Rousseau.
« Une voix sensuelle augmente la libido et la sécrétion d’ocytocine, l’hormone de l’amour. Une voix triste fait tomber le taux de phéromones. »
Après Freud, qui avait montré l’importance des odeurs génitales dans la sexualité, Jacques Lacan note celle de la voix : « Si le désir du sujet se fonde dans le désir de l’Autre, ce désir se manifeste au niveau de la voix. La voix n’est pas seulement l’objet causal, mais l’instrument où se manifeste le désir de l’Autre. »
La musique se dissémine comme un parfum, sans qu’il y ait consensus de la part d’auditeurs virtuels.
Si bien des rituels de séduction recourent aux effets combinés de la voix et du parfum, c’est que leur efficacité est sous-tendue par ce fort pouvoir d’intrusion dont Kant, notamment, a fait une critique sans complaisance.
« Une belle voix pénètre jusqu’à l’âme et charme à la fois tous les sens. »
Déjà l’un des Pères de l’Église, saint Jean Chrysostome, écrivait que la vérité ne peut sortir d’une bouche empuantie et que le blasphémateur qui s’est détourné de la foi prononce des jurons puants. Une vilaine intention produit de vilains mots malodorants.