Annick Le Guérer

Mahomet (...) accordait aux parfums de grands pouvoirs hygiéniques et médicaux et voyait dans l'usage des cosmétiques un moyen pour les musulmans de se distinguer des juifs et des chrétiens. Citant le prophète: "De votre monde, trois choses me sont chères; le parfum, les femmes et, ce qui fit ma joie, la prière", Avicenne contribue, au XIè siècle à promouvoir la vertu vivifiante des arômes(...)

Selon les Grecs, la panthère se sert de son parfum pour attirer et saisir ses proies.. Plutarque et Elien précisent que ce sont surtout les singes qui sont sensibles à ses effluves.(...) Le christianisme va s'emparer de cette croyance et, par une transformation hardie, en faire un élément de sa symbolique. La panthère parfumée devient l'image même du Christ. (...) Inversion complète: son parfum n'est plus un piège mortel mais un présent généreusement offert aux autres bêtes. Le fauve n'apporte plus la mort mais le bien-être.

L’odorat et l’ouïe seraient, en outre, selon le pédopsychiatre Marcel Rufo, « deux canaux sensoriels très archaïques, neurologiquement matures dès les premiers mois de la grossesse qui permettent la formation des traces mnésiques».

De l'Antiquité au XIXè siècle, la peste est imputée à un dérèglement provoqué par une série de ruptures: rupture spirituelle entre l'homme et la divinité, rupture de l'équilibre des éléments naturels et spécialement de l'air, rupture au sein même des corps. A ces désordres, sont associées les notions de corruption, de mort, de puanteur, de "pestilence".

Les rapports de l'odeur et de la capture se cristallisent dans la tradition grecque de la panthère parfumée. De tous les animaux, la panthère est le seul, d'après cette tradition, qui, pour une raison mystérieuse, sent naturellement bon."D'où vient-il, s'interroge Aristote, qu'aucun animal n'a une odeur plaisante sauf la panthère, qui est agréable aux bêtes elles-mêmes car on dit que les bêtes sauvages la reniflent avec plaisir?"

« Un parfum apaisant comme une voix caressante », « Les fleurs blanches vous enveloppent de leur voix suave », « Un parfum qui ne crie pas, mais parle d’une voix calme et assurée », « La Rose et le Jasmin confondent leur voix féminine », « J’aime la façon dont la rose s’exprime et module sa voix », Up to the Moon est une création de Carlo Ribero et Cristian Calabrò qui retranscrit la magnifique voix de la soprano géorgienne Nino Machaidze, etc.

Les tabous dont ont été l’objet la voix et le parfum sont la conséquence de leurs rapports au désir. Très tôt la voix, et, spécialement, la voix féminine, a été frappée d’interdits, et ce par les trois grandes religions monothéistes.

Au cœur de sa recherche il y a « ce qu’on ne dit pas et que les notes seulement peuvent manifester au monde : un parfum, un rêve, un souffle divin ».

« Nous parlions le même langage et comme sa fleur préférée est le jasmin et que je me présentais à lui avec un parfum pour homme au jasmin, ça a fait tilt. Nous pouvons aller plus loin ensemble, m’a-t-il dit. C’étaient deux imaginaires qui se rencontraient. »

Comme l’odeur, la voix, pour elle, est le miroir des émotions. C’est l’âme d’une personne.

Comme la musique, le parfum se déroule dans le temps, et comme le musicien, le parfumeur cherche des « accords » et compose à partir de « notes » de tête, de cœur et de fond qui constituent la « partition » de sa fragrance.

Chaque groupement chimique a une vibration caractéristique d’origine quantique que les chimistes utilisent pour identifier les molécules. Ce que nous sentons ne serait pas la forme des molécules, mais leur vibration, chaque molécule olfactive correspondant à une vibration particulière. L’odorat apparaît alors comme un phénomène quantique, un sens spectral permettant à l’être humain d’« entendre les odeurs ».

Chez l’homme « civilisé », où l’odorat a cédé la place prédominante à la vue, les sensations olfactives ont perdu, concède-t-il, de leur puissance sur la sélection sexuelle, mais elles contribuent toujours néanmoins aux sympathies ou aux antipathies du contact intime. Bien qu’altéré chez le « civilisé », le sens olfactif joue toujours un rôle capital car l’humain est entouré d’odeurs et certains y réagissent avec violence.

« Il y a des voix-parfums parfaites, trop parfaites auxquelles il ne manque qu’un défaut pour être totalement séduisantes. Le désir s’accroche à la petite dissonance dans l’harmonie. »

En revanche, pour traiter un malade, le remède consiste à recourir aux mélodies dont l’effet est contraire à sa nature : « La maladie étant provoquée par l’excès d’une humeur, on peut agir sur elle par des sons dont les propriétés sont inverses. »

Certaines voix, belles lorsqu’elles sont chantées, sont quelconques lorsqu’elles sont parlées.

Toutes les voix ont une odeur mais toutes ne sont pas des parfums. Il y en a qui sentent la graisse rance, le renfermé, l’humidité, le moisi, la pourriture, et parfois même les excréments. Une voix inconnue entendue par hasard dans la rue peut ravir Bruno Fourn autant que celle d’une diva.

On peut admirer une personne et ne pas aimer sa voix.

La voix a un sillage, elle est tenace, parfois entêtante, écœurante. Elle se respire, se sent, s’exhale, s’évapore, flotte dans l’air, se répand, enveloppe. Elle est liquide, rafraîchissante, c’est une émulsion, une huile qui imprègne. Elle se dilue, se presse comme un fruit. Elle se vaporise, peut se fixer comme un parfum, être contenue dans un flacon et même s’oxyder.

Quand je dis “Tes cheveux sont comme les blés”, les cheveux n’ont pas toutes les qualités possibles, tous les effets possibles des blés. Dans la métaphore, le comparé n’a qu’un rapport lointain, abstrait avec le comparant. En revanche, quand je dis “Ta voix est un parfum”, la voix a alors toutes les qualités possibles, tous les effets possibles du parfum. » C’est ce que traduit l’immense corpus de citations dont nous disposons.