Citations de Annick Le Guérer (56)
La dimension olfactive accordée à la voix est telle qu’elle peut sentir bon ou mauvais. Cette conception est très présente dans la culture arabe : « Comme la parole est essentiellement souffle, comme l’odeur est essentiellement exhalaison ; la parole peut donc être bien-odorante ou malodorante», écrit Seyyed Hossein Nasr dans L’Islam traditionnel face au monde moderne.
« Quand une jolie voix chante, ce sont des fleurs qu’elle laisse échapper de sa bouche », écrit Cervantès.
Les organes visibles de la phonation, tout d’abord, sont très fréquemment assimilés à des fleurs. La bouche a pu être comparée à une rose, à une tulipe qui chante, à un lotus parfumé, à deux jacinthes dans un vase, exhalant l’essence subtile de la voix etc.
On doit admettre qu’un Italien, à travers l’usage du verbe sentire, entend et exerce son odorat.
Le célèbre Jean-Paul Guerlain, très sensible à cet aspect, déclarait que, « d’une femme dans l’obscurité, il ne reste que son parfum et le charme de sa voix ».
L’islam a également pris la mesure de la dimension érotique de la voix. Comme elle provoque le désir, il faut parfois la cacher. L’« adultère des oreilles » consiste à écouter une voix sensuelle qui n’est pas celle de son époux ni de son épouse.
« La voix humaine, et celle de la femme en particulier, était assimilée à un attribut sexuel, une “nudité” dans la terminologie talmudique au même titre que les génitoires, la chevelure ou le sein.
Les tabous dont ont été l’objet la voix et le parfum sont la conséquence de leurs rapports au désir. Très tôt la voix, et, spécialement, la voix féminine, a été frappée d’interdits, et ce par les trois grandes religions monothéistes.
De nombreux psychanalystes se méfieraient de la voix parce qu’elle est trop proche du pulsionnel et que, séduite par la voix, l’oreille peut être amenée en dehors du sens.
Archaïques objets de désir dont la perte et l’absence sont redoutées, voix et parfum possèdent un immense potentiel d’érotisme et d’effroi. Ils sont ce que l’on va attendre, désirer chez l’autre, ce qui nous captive sans pouvoir le capturer.
Le sentiment de transgresser un interdit proviendrait de ce que l’homme, contrairement aux autres mammifères, n’a pas construit sa perception sur le couple olfaction-audition.
Beaucoup moins connues sont les synesthésies impliquant le goût ou l’odorat. Pourtant, saveurs et odeurs sont, elles aussi, susceptibles d’entrer en correspondance avec les sons.
Mahomet (...) accordait aux parfums de grands pouvoirs hygiéniques et médicaux et voyait dans l'usage des cosmétiques un moyen pour les musulmans de se distinguer des juifs et des chrétiens. Citant le prophète: "De votre monde, trois choses me sont chères; le parfum, les femmes et, ce qui fit ma joie, la prière", Avicenne contribue, au XIè siècle à promouvoir la vertu vivifiante des arômes(...)
De l'Antiquité au XIXè siècle, la peste est imputée à un dérèglement provoqué par une série de ruptures: rupture spirituelle entre l'homme et la divinité, rupture de l'équilibre des éléments naturels et spécialement de l'air, rupture au sein même des corps. A ces désordres, sont associées les notions de corruption, de mort, de puanteur, de "pestilence".
Selon les Grecs, la panthère se sert de son parfum pour attirer et saisir ses proies.. Plutarque et Elien précisent que ce sont surtout les singes qui sont sensibles à ses effluves.(...) Le christianisme va s'emparer de cette croyance et, par une transformation hardie, en faire un élément de sa symbolique. La panthère parfumée devient l'image même du Christ. (...) Inversion complète: son parfum n'est plus un piège mortel mais un présent généreusement offert aux autres bêtes. Le fauve n'apporte plus la mort mais le bien-être.
Les rapports de l'odeur et de la capture se cristallisent dans la tradition grecque de la panthère parfumée. De tous les animaux, la panthère est le seul, d'après cette tradition, qui, pour une raison mystérieuse, sent naturellement bon."D'où vient-il, s'interroge Aristote, qu'aucun animal n'a une odeur plaisante sauf la panthère, qui est agréable aux bêtes elles-mêmes car on dit que les bêtes sauvages la reniflent avec plaisir?"