C’est un homme correct mais je n’arrive pas à l’aimer comme je voudrais – comme je sais – aimer, enfin,comme j’ai aimé, avant lui.
Je dis oui parce qu’il me l’a demandé et qu’il serait impensable de refuser cette union logique banale, puisque j’ai déjà tout perdu de l’AUTRE. J’ai hâte que cette mascarade nuptiale soit terminée. Je ne m’y reconnais pas. Il n’y a rien qui me ressemble, ici.
Assez d’argent pour les faire vivre bien. Ça compte quand même, quand on est enfant, bien vivre, manger à sa faim, s’habiller à son goût, posséder des jouets. Ça compte aussi pour la mère qui n’a ni travail ni argent et qui endure tout, pour assurer la sécurité matérielle de ses filles.
Les gens n’aiment pas se creuser la tête et les sens. Ils aiment les chanteurs et les humoristes, pas les danseurs contemporains qui s’emparent de la scène comme on va à la guerre, le cœur au ventre et le corps en déroute calibrée.
Anne n’a aimé aucun homme.
Très tôt, elle a compris qu’elle préférait les femmes, plus douces et plus langoureuses, délicates et tendres comme le poulet blanc qui fond dans la bouche.
’ai rayé son nom de mon corps comme on se débarrasse d’une tumeur, avec cette rage sourde qui fait craindre le pire, et même si la vie a été plutôt douce avec moi par la suite, je garde une amertume singulière de ce départ qui aurait pu, aurait dû, se faire autrement.
Les années passent trop lentement pour que je m’arrête à tout raconter. C’est un long fleuve tranquille que je traverse sans embarras, la tête sur les épaules et le cœur à la dérive, toujours, comme si cette vie n’était pas la mienne.