Citations de Annie Loiselle (33)
Il était intolérant au bonheur qui l'agressait comme une insulte à son propre malheur.
p. 23
Maintenant, un peu déguisée avec sa robe noire datant d'une autre époque, les yeux bouffis à cause des poussières, toujours, grand-mère a trois cents ans. De toute façon, on doit certainement vieillir d'une centaine d'années, nécessairement, quand on voit son enfant mourir. C'est une expérience contrenature de laquelle on ne doit jamais complètement se relever, malgré ce qu'on peut s'inventer.
Le plaisir arrive comme un grand choc électrique qu’elle n’attendait plus, après toutes ces années.
Elle est de ces personnes incapables de passer du temps avec elles-mêmes, toujours accrochées aux autres parce que leur seule présence évite un face-à-face avec des creux intérieurs impossibles à combler. Elle a besoin des hommes pour lui rappeler qu’elle est belle et aimable. Elle s’impose sa beauté sculptée au couteau parce qu’elle a infiniment besoin des hommes pour la remplir de ce qu’elle croit être l’amour, mais qui, pour eux, n’est en fait que du sexe sans importance. En tout cas, du sexe pas assez important pour être ou même devenir l’ombre d’un amour.
Quand elle danse, Anne voudrait tout oublier, la haine, l’amour, le pardon. Elle laisse son corps suivre la musique et ses pieds font le reste, puis ses hanches, puis ses bras. Ses yeux, aussi. Elle tourne, elle saute, rien n’a de poids. Ça lui permet de retomber sur ses jambes sans qu’elle ne se fracasse complètement sur le sol dur de la scène.
L’anorexie lui permettait d’être mieux que tout le monde.
Se libérer de cette maladie, c’est renoncer à l’identité qu’elle s’est construite, à l’équilibre, même illusoire, sur lequel toute sa vie repose.
Elle n,a pas d'autre horizon que ses bonheurs proches. (p.168)
« À douze ans, je pensais que c’était facile, écrire, que c’était passer d’une histoire à l’autre, sans vraiment prendre le temps de tout bien terminer. Je voulais devenir romancière, célèbre, être lue par des millions de gens. Avec l’âge et les expériences troubles, j’ai révisé ma position. Écrire est une expérience douloureuse qui transforme ce que nous sommes en belles histoires que les gens liront. »
C’est quand elle était furieuse qu’Éléna faisait le mieux l’amour. Elle devenait rebelle et violente, puis toute douce, soudain, apaisée, libérée, autre. Elle était plusieurs femmes à la fois, jamais exactement pareille mais toujours un peu elle-même, pour que je sache encore la démêler et trouver la voie de sa confiance, à travers les sillons de plus en plus nombreux de son corps vieillissant. On ne peut jamais se débarrasser de l’empreinte d’une femme comme celle-là. Elle était sans rivale et elle le restera.
Éléna Cohen est une femme inoubliable.
Inégalable.
J’écrivais. Je pensais que j’écrivais. En réalité, je noircissais des pages de n’importe quoi, de ce que je piquais aux vrais auteurs lors de mes prolifiques lectures qui devenaient des parties de pêche aux idées. J’empilais des feuilles sur mon pupitre d’étude, dans ma chambre, pour montrer que j’étais vrai, moi aussi. Julien regardait les feuilles s’accumuler, admiratif. Il voulait lire mais je le lui défendais vigoureusement alors il voulait lire encore plus.
On sous-estime souvent ce que peuvent comprendre les vieux. C’est parce que nous ne parlons pas beaucoup de tout ce que nous savons de la vie, nous, les vieilles femmes, surtout. On nous a enseigné à nous taire. Nous respectons encore un peu ces anciennes exigences.
Il n’y a pas de vie sans regrets, Jane. Il faut accepter, apprendre à aimer autrement, avec tous ses souvenirs et ses vieilles illusions.
Il y a de longs moments où j’erre entre deux mondes, les yeux dans l’espace qui, peu à peu, me désemplit. Il n’y a que ça à faire, en attendant la mort, quand le corps refuse de répondre. Je revois le long film de ma vie et j’espère le paradis en justifiant mes antécédents pour que j’en sois absoute, comme une criminelle qui plaiderait : « Je n’avais pas le choix. »
Certaines vies comportent moins de choix que de nécessités.
On ne divorce pas sur un coup de tête. On ne divorce pas pour aller nulle part. On ne divorce pas de sa femme cancéreuse simplement parce qu’elle devient soudain cancérigène.
Jane refuse les raisons du cœur. Elle vit dans un univers mathématique où les humains s’ajoutent ou se soustraient systématiquement, froidement. Je m’imagine qu’elle n’a jamais de peine, qu’elle n’aime pas, ne pense qu’avec sa tête. Je lui souhaite, un jour, de sauter du coq à l’âne, de se marcher sur le cœur, de pleurer des larmes de sang, pour vérifier si la vie existe, autrement.
J’ai besoin d’écrire. N’importe comment mais pas n’importe quoi. C’est difficile de trouver les bons mots pour montrer qu’on a caché, menti, volé mais que ce n’était pas tout par exprès, qu’on avait une bonne raison. L’amour, c’est quoi, sinon une bonne excuse pour tout, pour tous, n’importe où, n’importe quand ?
J’ai étudié pour écrire. J’ai analysé la langue de toutes les manières possibles, j’aurais pu l’enseigner à n’importe qui, aux enfants comme aux grands étudiants qui se prennent toujours très au sérieux. J’ai étudié beaucoup, longtemps et je ne suis arrivée à rien. Zéro. Les théories ne peuvent pas enclencher la création. Il n’y a que l’émotion. Je n’ai accouché que de billets doux, glissés dans les boîtes à dîner de mes filles, des poèmes légers en tendres fioritures et en jolies rimettes qu’elles mettaient en chanson, sur le chemin du retour à la maison. Tout l’amour du monde dans leur bouche, avec ces mots que je jugeais sans importance puisqu’ils n’étaient pas ceux d’une grande artiste. Ces années de ma vie, je les ai vécues un peu gelée, extérieure à moi-même, en spectatrice. Il n’y a que maintenant, alors que l’écoulement du temps prend son sens, que je ressens enfin cette tempête qui aurait pu me sauver du désastre.
On se fait trop souvent appeler maman à partir du moment où naissent les enfants. J’ai besoin de retrouver qui je suis maintenant. C’est ce qu’il y a de plus important au monde, pour l’instant.
Je fais ce que je dois faire et je le fais bien, comme ma mère me l’a montré, pour ne pas décevoir mon gentil mari et les filles, parce que je les ai habitués à cette attention formidable que je donne à tous sauf à moi-même, à cette efficacité inébranlable qui réorganise leur monde comme je l’entends. Ils sont heureux. C’est généralement tout ce qui doit compter.