Arnaud Malgorn

Excellant dans la grammaire, Genet a choisi d'user d'une langue classique, ornée, et ne recule devant aucun imparfait du subjonctif. La somptuosité de la langue adoucit l'intensité de sa souffrance.

La féerie dont je parle n'a pas besoin de miroir, d'étoffes somptueuses, de meubles baroques: elle est dans une voix qui se casse sur un mot - alors qu'elle devait se casser sur un autre -mais il faut trouver le mot et la voix. Elle est la féerie dans un geste qui n'est pas à sa place, à cet instant. Elle est dans le petit doigt qui s'est trompé; elle est quand un acteur de nô, chauffeur de taxi costaud , se grime devant le public, prend l'éventail d'une certaine façon (fausse), fait tomber ses épaules en avant et devient avec une évidence qui donne la chair de poule, la première shintoïste, etc...

J'aurais voulu que mon texte soit en porte-à-faux, et qu'une féerie naisse de lui.

Je ne sais pas grand-chose sauf peut-être celle-ci: il faut se tromper.Je veux dire: jouer un peu à côté.

Jean Genet, lettre à Antoine Bourseiller, 1969

Genet a trahi la société par le vol et trahi sa position de rebelle en se laissant récupérer par la République des lettres. Dans cette trahison "dialectique", trahison de la société par le mal et trahison du mal par la poésie, réside toute l'ambigüité de la pose genétienne.

Le théâtre de Genet comme ses récits font entrer en force dans les "belles lettres" des enfants criminels, des misérables miséreux, des opprimés debout dans la révolte. Car ce sont eux qui en premier lieu ont besoin de "littérature", c'est-à-dire de dignité et d'espérance.

L'estime que lui portent les artistes, lui fait prendre conscience qu'il est un des leurs. Mais qu'est-ce qu'un artiste? Un homme dont le courage consista à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à en découvrir d'autres.

Excellant dans la grammaire, Genet a choisi d'user d'une langue classique, ornée, et ne recule devant aucun imparfait du subjonctif. La somptuosité de la langue adoucit l'intensité de sa souffrance.

Au-delà de la provocation, Genet fait le deuil de l'amour, de l'espoir, de l'héroïsme. Le seul élément positif, c'est la compassion qui seule dit la nostalgie d'un monde moins cruel.

"Je ne suis pas un type de droite [...]. Je ne suis pas un type de gauche [...]. Je reste un voyou." Il se veut, en tant que poète, la mauvaise conscience de son temps. "Je ne tiens pas à ce qu'il y ait la révolution. S'il s'agissait d'une véritable révolution, je ne pourrais pas être contre. Je ne suis pas un homme d'adhésion, mais de révolte."

L'estime que lui portent les artistes lui fait prendre conscience qu'il est l'un des leurs. Mais qu'est-ce qu'un artiste ? Un homme dont le "courage consiste à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à [s']en découvrir d'autres".

La prose de Genet, par sa préciosité, ses figures de rhétoriques, ses raccords visuels audacieux, sa structure erratique, réclame comme celle de Dostoïevski, une participation active du lecteur, s'il veut dépasser la simple séduction.