J’accours vers ton image
J’accours vers ton image
comme vers le puits de fraîcheur
au milieu du désert
mais la violence de la course
me laboure le visage.
(p. 77, poème de Virgil Teodorescu)
Rencontre
Tu m'attendais échevelée dans les airs comme une branche,
femme au nombril gros comme un œuf de cobra.
Les mots s'apaisaient vers l'Orient,
l'oreille du sang se dressa vers la fenêtre
et la nuit, déjà, bourgeonnait.
Après quoi… des oiseaux passèrent…
Le temps fleurait bon la branche.
(p. 111, poème de Ion Caraion)
Ciseau
Est-ce toi ou bien te caches-tu à la ronde
De toi-même, craintive, en une autre à la peau
Dure comme la pierre et aux épaules rondes
Que tu sculptes ainsi au moyen du ciseau ?
De ne pouvoir m’aimer ne sois pas étonnée :
Tes lèvres garderont leur froideur de bijou
Si longtemps qu'en plein jour ta statue obstinée
Refusera encore de ployer le genou.
(p. 127, Ion Brad)
Déficit
C'est vrai, j'ai été attiré par le pli
inconnu du jarret, là où la chair n'est point protégée,
mais tu n'aurais pas dû chercher ma bouche.
Je suis plus pauvre d'une caresse.
Le silence aurait dû flotter comme une brise
mais à prononcer mon nom,
même réduit à une syllabe, tu m'as assourdi.
Je suis d'un mot plus silencieux.
Si tu avais su attendre tu aurais compris
que tu me serais restée proche, toujours,
ainsi qu'un tendre, secret trésor,
comme ça je suis d’une femme plus seul.
Je puis perdre mon sang,
il croît à nouveau,
mais le baiser trop tôt s'est dissipé,
je suis plus vieux d'un baiser…
(p. 95, Gheorghe Tomozei)
À chanter si me mettais
À chanter si me mettais
Tous les monts se balanc’raient,
Les vallées s’agiteraient
Et les pierres se fendraient,
Seul ton cœur comm’ j’le connais
Tout de glace resterait.
(p. 97, Gheorghe Tomozei)
Au loin
En moi j'ai soudain entendu ta voix
Et t’ai senti proche autant que naguère,
Puis ton ombre a glissé l'ivresse en moi
Et j'ai foulé les flots, ô si légère.
Lors ayant enfin retrouvé ma vie
Pour te chercher j'ai couru dans la rue
Et ta voix m’emportait, tendre, chérie,
Grisante flûte aux accords éperdus.
(p. 85, poème de Veronica Porumbacu [1921-1977])
Quand
Quand je n'aurai plus rien de toi,
aucun bouton aveugle, aucune chemise de lune déchirée
aucun flacon embué où est demeurée une larme suspendue
quand je n'aurai plus aucun miroir
aucune pupille d'eau où me reconnaître…
Que sera-ce alors, je ne sais…
Mais comment pourrais-je être encore moi ?
Je serai un hanneton aveugle, je me cognerai
a quelques meubles de poussière
je demanderai à gauche et à droite
s'il est encore un chemin et où il mène, et
comment je m'appelle et ce
que fut tout ceci.
Je serai si las
que je ne pourrai plus fermer l'œil une seconde
et regarderai autour de moi et ne verrai rien
et dirait : « Et alors ? »
et je me serrerai dans mes bras
et je me bercerai comme un enfant
et je voudrai m'endormir dans
un immense ravin humide
et je serai presque sûr
que ce n'est qu'ainsi que se fera la lumière
ô mon aimée, mon aimée, mon aimée,
alors sans visage et sans mémoire…
Eugen Jebeleanu, p. 161
Feuille verte sec pommier
Feuille verte, sec pommier,
Cette nuit, oui, j'ai rêvé
Qu'mon aimé m'a embrassée
Réveillée, j'ai tâtonné,
Rien de rien je n'ai trop trouvé ;
Seul' ma flamme dessinée
Sur la taie de l'oreiller,
Marquée de mes cils soyeux
Et de la rosée des yeux.
Radu Cârneci, p. 89
J'ai tant scruté ton corps que l'ai volé des yeux,
et j'ai tant bu ta voix que j'ai ravi tes mots.
Seule ton ombre meut encore des plis soyeux
Et tout ce que tu dis n'est plus qu'un faible écho.
p. 149
(première strophe de "J'ai tant scruté ton corps", de Ion Pillat)