Benoît Fontaine

Notre ornithologue sait aussi qu’un pic noir maraude dans le secteur, en voyant tombé un tronc, déchiqueté par le bec puissant de l’oiseau à la recherche d’insectes juteux.

Lorsqu’il part en campagne, le naturaliste est dans un état de veille bien différent de celui du promeneur ordinaire. Il voit, il entend, il sent des choses qui échappent au profane. Sur un chemin de sous-bois qui invite à la rêverie, l’ornithologue sait qu’il est dans le territoire du pouillot siffleur. L’oiseau est difficile à voir, petite boule verdâtre et jaune cantonnée à la canopée, mais il est trahi par son chant peu sonore, qui rappelle le démarrage d’une mobylette

A quatre pattes dans les feuilles mortes, le nez au ras du sol, retourner les pierres pour voir ce qui se cache dessous. Sortir la loupe pour admirer un être de quelques millimètres. Se demander comment il voit la vie.

On raconte que le généticien britannique John Haldane, interrogé par un théologien sur ce qu'on pourrait dire du Créateur en étudiant sa création, aurait répondu : " Le Créateur, si il existe, a un penchant immodéré pour les coléoptères."
De fait, un quart des espèces connues sont des coléoptères.

La nature est si diverse et si belle, la Terre si vaste qu'on ne peut que se réjouir de la contempler, et de constater qu'on n'aura jamais fini d'en faire le tour.

En attendant, il est désolant que lors d'arbitrages politiques, les questions d'environnement ou de biodiversité passent généralement en dernier.

La beauté de la nature, son ingéniosité méritent les mêmes égards : au nom de la protection du patrimoine de l'humanité, la biodiversité doit être préservée.

Plusieurs espèces disparaissent chaque jour, la Terre continue de tourner et la plupart des humains vivent aujourd'hui comme hier.

Par-delà ces justifications utilitaristes, le simple fait que la nature constituent un patrimoine, qu'elle ait une valeur esthétique, mérite qu'on la protège.

Le réchauffement climatique, dont on ne mesure sans doute pas encore l'ampleur des conséquences pour la biodiversité, n'a pas fini de faire parler de lui.

En ce début de siècle, les voyages naturalistes prennent une résonance particulière, car ils se font dans le contexte d'une crise de la biodiversité sans précédent dans l'histoire de la vie par son ampleur et sa rapidité. Les espèces s'éteignent, les écosystèmes s'appauvrissent et perdent leur originalité, quelques espèces généralistes très adaptables remplacent les nombreuses autres, très spécialisées, qui ne peuvent survivre aux modifications de leur environnement causées par le réchauffement climatique ou, plus fréquemment, par la dégradation des habitats. Les liens qui font l(ossature des écosystèmes se distendent ou se rompent lorsque les populations des différentes espèces qui les constituent déclinent. Les exemples sont nombreux de réseaux dont des maillons rompus provoquent des réactions en chaîne inattendues.

Avant même de parler de la compréhension du fonctionnement des écosystèmes, des relations qui lient les espèces entre elles, on peut commencer par essayer de connaître les espèces qui les constituent.

Dans la jungle ou au bord d'un étang, le naturaliste est aux aguets, il saisit ce que nul autre ne remarque. Cette attention aux signes de la nature devient une seconde nature : partout il laisse traîner son œil ou son oreille, à l'affût sans même y penser.