Bientôt, du fond de son cœur, elle sent qu'elle arrive, qu'elle est enfin tout près du but. Elle se hâte vers une porte à sa gauche et... la voilà! La salle de bains ! Émilie est enfin rendue !
- Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Mais ce n'est pas possible !
Elle pensait reprendre sa place, tout simplement. Elle était certaine que les maîtres devaient être en peine de ne plus avoir de baignoire. Jamais elle n'aurait pensé que… qu'ils en avaient acheté… une autre ! Mais une autre baignoire est bien là, encastrée, étincelante dans son émail tout neuf, les robinets luisants.
- Et moi alors ? s'écrie Émilie. C'est ma place, c'est MA salle de bains! Va-t'en !
La nouvelle ne comprend rien à ce que l'autre raconte. On l'a achetée, on l'a placée ici. C'est tout.
- Quand je suis arrivée ici, il n'y avait personne, lui réplique-t-elle. Qu'est-ce que vous avez à crier si fort ?
- Mais tu es à MA place ! Qu'est-ce qu'on va faire de moi si je ne suis pas une vraie baignoire, dans une vraie salle de bains ?
La vapeur, ça a fait son temps. On est en 1939 : on choisit entre l’électricité ou le diesel. C’est tout. C’est l’un ou l’autre. La vapeur, c’est fini, ça!
Les enfants, c’est bien du souci, mais c’est les seules vraies joies pour une femme mariée. Heureusement qu’on a ça.
Une fille qui sait se tenir, ça peut aller n’importe où. Mais une dévergondée, ça profite de toutes les occasions.
On a jamais été habitués dans le facile. Ça veut pas dire que c’est pas faisable.
Les nouveaux époux avaient maintenant autre chose en tête et dans le corps. Ils se désiraient depuis longtemps; maintenant que c’était imminent, ils ne savaient plus trop. Pour un peu, ils auraient remis leur nuit de noces à plus tard, anxieux, exténués de leur journée chargée, craintifs soudainement de ne pas être à la hauteur, de ne pas satisfaire l’autre, de le décevoir. Les noceurs leur firent comprendre qu’il était temps pour eux de passer aux actes, ce qui n’empêcherait pas les invités de fêter une bonne partie de la nuit et du lendemain aussi.
«À quoi elle sert, ma maison, s’il n’y a personne dedans?» Personne. Pas d’enfants. Pas de femme. Cette dernière pensée le dérangea et, pour y couper court, il s’occupa à fricoter un souper hâtif. Il le trouva indigeste. Pire que celui des autres soirs. De toute façon, ce n’était pas de nourriture qu’il avait faim, ce soir, et il le savait. Pourtant, il se refusait de penser aux exigences de son corps d’homme en pleine force, comme si ces plaisirs n’étaient plus pour lui.
Chère grand-maman… si douce malgré sa taille imposante et ses rondeurs. Si chaleureuse, si bonne et… si fatiguée depuis quelque temps. Fanny s'inquiète.
-As-tu pris tes pilules ?
-Oui, oui, les deux…
Fanny, le cœur gros, n'a pas envie de quitter son petit monde. Pourquoi ça change, tout à coup ? Puisque sa grand-mère doit entrer dans un foyer pour personnes âgées et vendre sa maison, elles sont bien obligées de se séparer, c'est sûr. Mais… raisonnable ou pas, elle aurait mieux aimé que tout continu comme avant.
Il n’avait même plus la force de s’emporter, d’effrayer les autres de son autorité. Il était accablé par un sentiment d’impuissance qui le paralysait. Rien ne pourrait lui redonner sa fille. Rien ne pourrait effacer les dernières heures, le ramener en arrière dans le temps, avant que tout cela n’arrive.
On pense avoir trouvé la paix, mais on dirait que la vie passe son temps à nous attendre dans le détour.