Bertrand Gauthier

Pour faire souffrir ses semblables, l'homme ne manque jamais d'imagination.

Je suis enfermé.
Volontairement isolé.
Depuis trois jours, je refuse de sortir, de manger ou de parler à qui que ce soit. C'est mon droit le plus strict.

Après tout, je suis dans ma chambre et je ne dérange personne. Alors, pourquoi ne pourrait-on pas respecter ça?

Sois libre, mais apprends à être responsable.

Quelquefois, ma mère veut s'expliquer.
J'en profite pour l'écouter. Elle me raconte
pourquoi elle n'aime plus mon père. Je me
montre vivement intéressée et j'essaie de la
comprendre. Quand j'ai l'air de me pas-
sionner pour ses histoires d'amour, je sens
que ma mère m'aime. Et j'y tiens,
à l'amour de ma mère. Mais ce n'est pas toujours
aussi simple.
Vendredi dernier, par exemple.
Elle voulait que j'aille passer la fin de
semaine chez mon père. Moi, je n'y tenais
pas. Ce n'est pas que je n'aime pas mon
père, loin de là.
Non, j'avais plutôt envie de
rester chez moi, avec ma mère. J'avais le
goût de deux grandes journées de flânerie
à la maison, dans ma chambre en désordre.
Après tout, il se peut que leurs horaires ne
fassent pas toujours mon affaire.
Madame ne l'entendait pas ainsi. Il fallait
la voir piquer une de ces colères. Heureuse-
ment, je ne suis pas naïve et je commence
à connaître ma mère. Depuis quelque temps,
je sais très bien pourquoi elle s'agite ainsi.
C'est toujours la même chose"quand elle a
un nouvel ami.
Oui, oui, elle est amoureuse. Et quand elle devient amoureuse, elle ne m'aime plus.

Devant moi, ma mère est là, souriante et heureuse. En un mot, épanouie. Elle vient de m’annoncer, comme si de rien n'était qu'elle s'envolera bientôt pour l'Europe. Pour la Grèce, plus précisément. Elle s'en va visiter des monuments très anciens, des débris de colonnes qui arrivent encore bien péniblement à se tenir debout. Je ne vois vraiment pas l'intérêt de m'abandonner pour aller s'exciter devant des vieilles roches.

Chère Olivia,
Depuis toujours tu es ma poupée chérie. Aujourd'hui, j'ai besoin de toi. Je dois raconter ma révolte à quelqu'un. Je t'écris, Olivia, parce que je suis indignée. J'ai confiance en toi et je sais que je peux te confier mes pensées les plus secrètes. Tu es la plus discrète de mes amies. Sur cette planète, Olivia, c'est partout et toujours l'injustice.

C'est pour ça aussi que j'aime les
garçons plus vieux que moi. Je n'ai pas
vraiment le choix. Ceux de mon âge ne
sont pas de taille à me suivre dans mes
conversations et mes préoccupations.
C'est ainsi fait.
Alors moi, je m'adapte.

Quand vous hésitez, n'oubliez jamais le
proverbe: qui n'avance pas recule.

Dès le début de sa nouvelle carrière,
René est devenu végétarien. Il croit pouvoir
retrouver l'excellente forme physique de
son adolescence. Je lui souhaite d'y arriver.
Après tout, il est à l'âge où l'on commence
à vouloir rajeunir. Si c'était possible, je lui
emprunterais bien quelques années. Elles
me seraient sûrement plus utiles qu'à lui.

Tout d'un coup, madame a un amoureux
et je dois déguerpir. Elle a besoin de tran-
quillité. Aussitôt ses quatre volontés dites,
aussitôt faites. La maison doit alors devenir
un endroit calme et romantique où elle
pourra faire l'amour avec son nouveau
chéri. Vraiment, ma mère exagère. Quand
elle s'excite comme ça, elle m'agace. Mon
père, lui, quand il est en amour, n'est pas
aussi agaçant. Vraiment pas.

Je ne suis plus une enfant. Après tout, j'ai
dix ans.
Facile à dire. Plus difficile à comprendre.
J'ai beau leur dire, j'ai beau leur crier,
ils ne veulent rien entendre. La vérité, c'est
qu'ils ne tiennent pas à
m'écouter. Ils ne sont pas là
pour ça. Je sais quoi faire pour
les rendre heureux. Rien de plus simple. Il
me suffit de leur obéir aveuglément. Je dois
également éviter toutes les questions qui
pourraient les embêter. C'est à moi de
deviner.
Et puis, de toute façon, ils n'ont jamais le
temps. Ni de m'écouter, ni de s'écouter
entre eux. Si j'ai bien compris, c'est pour
cette raison qu'ils se sont séparés. Ils ne
s'entendaient pas très bien. J'étais très jeune
quand c'est arrivé. J'avais trois ans et demi,
je crois. C'est donc normal que je ne me
souvienne pas beaucoup de ce temps où mes
parents ont habité ensemble.

S'il fallait que je craque chaque fois que quelqu'un meure à l'écran, je serais une fissure ambulante.

À ses côtés, j'aurais assisté, pendant des heures, à la lecture du bottin téléphonique par des comédiens amateurs. Sans m'ennuyer, j'en suis sûr.

« Si je souffre de quelque chose, c'est plutôt d'un décuplement de personnalité. N'est-ce pas le lot d'un romancier novice que d'apprendre à se glisser dans la peau de plusieurs personnages à la fois ? »