Demain le chantage atomique
Pour évoquer le
nucléaire,
Bernard PIVOT reçoit plusieurs auteurs d'ouvrages sur ce thème.
Bertrand GOLDSCHMIDT présente son livre "
Le complexe atomique" : il retrace l'
aventurepolitique de l'atome et du
nucléaire (l'
arme nouvelle, l'attitude de
De GAULLE, la
collaborationoccidentale).
Dominique LAPIERRE et
Larry COLLINS pour "
Le cinquième cavalier" : les deux collaborateurs exposent leur...
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Je rencontrai à l’époque de ce conflit deux des personnalités qui allaient jouer un rôle marquant dans la gigantesque entreprise américaine, le colonel Leslie Groves et le physicien Robert Oppenheimer.
Groves fut responsable du projet dès sa prise en main par l’armée et durant toute la guerre ; jeune officier supérieur du corps des ingénieurs, il s'était distingué lors de la construction du Pentagone à Washington. Remarquable par son énergie et son dynamisme, il n’hésita pas à risquer ses étoiles de général, acquises avec sa nouvelle fonction, en faisant confiance aux savants (qui ne lui ménagèrent pas leurs critiques) et à leur affirmation que la bombe était réalisable, bien qu’il ne pût les suivre sur le terrain complexe de leurs théories et de leurs calculs.
Il devait bien s’entendre avec Oppenheimer, théoricien de valeur, plein de charme et extraordinaire meneur d'hommes, qui fut l'inspirateur et le responsable des études sur le mécanisme même de la bombe. Pierre Auger invité, en 1941, à venir professer à l’université de Chicago me le présenta en octobre 1942 comme l’un des hommes les plus brillants de sa génération, celle née au début du siècle et qui devait fournir les principaux savants de l’entreprise atomique. Auger lui-même était un des jeunes scientifiques déjà internationalement connus. C'était au moment où le général Groves devait prendre une décision sur la désignation d'Oppenheimer à la tête du laboratoire de la bombe, décision qui était encore incertaine en raison de l’appartenance passée du jeune physicien à des mouvements d’extrême-gauche. Ce passé politique devait, douze ans plus tard, malgré la réussite magnifique d' Oppenheimer dans le projet atomique, assombrir sa carrière d’une façon tragique.
Au début de 1934, Mme Curie eut une grande joie : celle de voir ses deux élèves préférés, son gendre et sa fille, révolutionner la physique moderne par la découverte de la radioactivité artificielle. La porte venait d’être ouverte à la création de nombreux radioéléments nouveaux, sortes de jumeaux, dits isotopes, plus ou moins instables, des éléments connus. L’alchimie, rêve des savants du Moyen Âge, était enfin à la portée de l’homme.
Le service militaire me priva de participer à l’enthousiasme suscité au laboratoire Curie par la découverte sensationnelle de la radioactivité artificielle, la plus importante jamais réalisée à l'Institut du radium depuis sa fondation.
Le 16 juillet 1945, dans l’État du Nouveau-Mexique, au sud-ouest des États-Unis, une femme conduisant son auto arriva dans un village à cinq heures du matin, s’arrêta et se mit à frapper aux portes pour réveiller les habitants : « Il faut qué je vous raconte ce que j'ai vu, disaitelle, ce n’est pas croyable. Je viens de voir le soleil se lever puis immédiatement se recoucher. »
Les agents de la police secrète présents, comme dans chaque ville voisine, pour surveiller les réactions de la population, eurent toutes les peines du monde à la calmer. Elle venait en effet d’assister, à une distance de près de cent kilomètres, à la première explosion atomique, véritable création d’un morceau d’étoile, qui fit fondre le sable du désert sur une surface de près d’un kilomètre carré.
Mon flirt avec la chimie organique fut de courte durée et ne résista pas à la proposition de Langevin de devenir le préparateur de Mme Curie. Mes connaissances de la radioactivité et des théories nouvelles sur la constitution de la matière étaient des plus élémentaires. Ce domaine, plus proche de la physique que de la chimie, était assez éloigné de mes goûts scientifiques, mais pas un instant l’idée ne me vint de refuser l’offre de travailler pour la femme la plus illustre de l’époque.
Pour la première fois dans l'Histoire, la fin d’une guerre, en l'occurrence celle du plus grand conflit à ce jour, a dépendu de la décision sur l’utilisation d’une arme encore inconnue.