Bethany Bennett

La vérité était pourtant fragile, si délicate qu'elle ne se faisait pas assez confiance pour la formuler à voix haute, de crainte qu'elle ne se dissipe.

Une femme était peut-être en ce moment même en train de choisir sa robe la plus flatteuse, ou de décider dans quel canapé du salon s’asseoir pour accueillir son mari à son retour à la maison. Lottie renifla. Oui, elle avait été stupide de se préparer à une offre qui n’était jamais venue.

Certes, les mariages d’intérêt étaient monnaie courante dans l’aristocratie. Mais, en l’occurrence, le marquis n’avait même pas feint de prétendre qu’un objectif plus haut, plus noble était en jeu.

L’aspect le plus ardu de son emploi consistait à éviter d’être surprise quand elle observait son employeur. Elle ne pouvait pas s’empêcher de le contempler. S’il avait seulement été très beau, l’admirer n’aurait été qu’une expérience parfaitement dépourvue d’émotion, comme lorsqu’on se trouve face à un beau tableau ou à un pur-sang exceptionnel.

Il est clair que vos intentions n’ont rien d’honorable, et votre relation avec elle prend fin immédiatement. Plus de promenades au parc. Plus d’invitations à danser. Si elle vous approche, vous vous contenterez de la saluer poliment et vous passerez votre chemin.

Feindre encore quelques instants que tout allait bien. Elle pourrait se permettre de pleurer quand elle serait seule. De vives douleurs sur son corps témoignaient du nombre de tonneaux qu’avait effectués la voiture avant de heurter un arbre. Comme si cela ne suffisait pas, il avait fallu que lord Amesbury ajoute à sa détresse. Au moins, elle lui avait enfin dit ce qu’elle avait sur le cœur. C’était un petit réconfort.

Dans son rêve, il se mit à mordiller la peau dorée de lady Charlotte avant de l’apaiser de la langue. Son souffle un peu haletant lui frôlait l’oreille pendant que des mains s’activaient le long de son dos. Il leva la tête dans l’espoir de croiser son regard brûlant de désir, mais au lieu de cela, il se retrouva face à une chaussure de soirée noire. Et au-dessus, de bas de soie blanche et d’un haut-de-chausse.

La première fois que leurs chemins s’étaient croisés, ses yeux avaient réveillé en elle des souvenirs d’enfance, lorsqu’elle courait librement sur la plage et que le soleil illuminait l’océan. Ces yeux bleus pailletés d’or l’avaient fascinée quand il l’avait extirpée de cette foule surexcitée. Ils s’étaient adoucis presque tendrement quand il avait insisté pour venir prendre de ses nouvelles le lendemain.

Découvrir la lueur cupide dans le regard des femmes, et se demander si, à leurs yeux, sa fortune et sa personne valaient la peine de courir le risque qu’il se révèle du même acabit que son père, l’avait déstabilisé. Il s’était senti examiné à la façon d’un fruit sur l’étal d’un marchand, dont on s’assure avant de l’acheter qu’il ne présente aucun défaut ni signe avant-coureur de pourriture.

Mais Ophelia avait remarqué qu’en ville, les pauvres avaient tendance à devenir invisibles aux yeux des autres, qui évitaient même de croiser leur regard. Les pauvres, mais aussi les malades ou ceux qui ne s’étaient jamais remis de leurs blessures de guerre. Les silhouettes hâves des miséreux dérivaient parmi les vivants, tels des spectres en attente de leur passage vers l’au-delà.