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Citation de FRANGA


Ce n'est pas dans l'assemblage que se loge l'intérêt d'avoir une poupée. Je lui remets sa culotte de nylon blanc après l'avoir déchaussée, puis rechaussée, exactement comme je fais quand je m'habille. Le corps de mes poupées me plonge dans un état particulier. Objet qu'on saisit et personne qu'on chérit, je peux décliner toutes mes aspirations, mes plus sombres états d'âme. Plastique froid ou chair tendre, elles sont tour à tour l'endroit de ma colère ou de ma consolation. Mais rien ne m'émeut jamais de leurs courbes. Leurs yeux fixes, leurs petits corps sans chaleur ne provoquent rien, leur peau sans renflement n'exalte pas ma peau, elles ne sont qu'une silhouette asexuée, un leurre autour duquel ma vie gravite. Je joue avec elles le jeu de l'humiliation. Je les range en nombre le long du mur. J'ai sept élèves dans ma classe. Blondes et brunes aux avant-bras qui pointent idiotement vers le plafond. Déjà une bonne raison d'être énervée. La maîtresse que je suis perd ses nerfs facilement, comme j'entends dire de mon oncle. Mon corps se calme mais ma voix prend le relais. Je ne bouge plus et j'articule avec plus d'acuité, et très vite, après les quelques compliments d'usage s'adressant toujours à la même bonne élève, je commence à hausser le ton. Je désigne les deux insolentes dont j'imagine qu'elles vont morfler. Nous sommes là pour ça, les filles ingrates et moi l'adulte, les filles soumises et leur bourreau. Mon désir de châtier est à son comble, il est comme une pulsion que rien ne peut enrayer. J'imagine que mon frère arrache les ailes des mouches, moi je mets des baffes, de plus en plus fort, puis j'attrape les poupées par les cheveux, et je finis par les projeter contre le mur, après leur avoir reproché leur manque de travail, leurs bavardages et d'avoir oublié de faire signer les mots sur le carnet. Je découvre ici un état nouveau, que personne ne soupçonne. Je me laisse aller à tous les excès, je suis injuste et parfaitement cruelle, je n'ai pas d'imagination et le châtiment est sans raffinement, je me découvre basique et vile, je mets en scène ma crise de nerfs et ce qui me surprend est l'énergie que cela requiert, de s'emporter à pleins poumons, de crier et de taper. Je ne suis pas sûre d'avoir éprouvé cela dans d'autres circonstances, je suis une enfant calme et docile, plus encline à plaire qu'à se rebeller. C'est la première fois que je sors de moi, que mon visage devient rouge et chaud de colère, que ma voix met en danger mes cordes vocales. Je me sens un énervement réel. J'en ressors essoufflée et meurtrie, mes poupées ont fait accélérer les battements de mon coeur, ont fait monter mon adrénaline et cette violence que je mime, je ne sais pas encore d'où elle vient. Après l'orage, mes poupées gisent les jambes en l'air, pieds nus, les jupes remontées, les yeux toujours fixes de stupeur. Le carnage ne me dérange pas, si ce n'est les chevelures qui se sont emmêlées. Je ramasse les chaussures éparpillées mais je ne redresse pas les corps. Je n'ai plus envie de jouer, je gagne la cuisine pour aller goûter, laissant dans ma chambre un champ de désolation, tandis que mon frère vient probablement de dégommer une armée de soldats sur son lino.
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