Dans Vivre vite, un récit tendu et intime, Brigitte Giraud revisite les circonstances qui ont mené à la mort brutale de son compagnon, Claude, en 1999, dans un accident de moto. Par un procédé narratif qui déploie d'hypothétiques échappatoires, pétrissant ainsi le réel pour en faire une autre fiction, elle égrène la suite des dérèglements imprévisibles qui ont provoqué l'engrenage fatal. Interrogeant le destin, convoquant les souvenirs ultimes, l'autrice enquête pour trouver un sens à une douleur toujours vive, à l'occasion de la vente de la maison que le couple venait d'acheter avant que leur vie ne bascule.
Introspection en forme d'hommage à l'être aimé, réflexion sur le deuil à la portée universelle, ce récit récompensé du prix Goncourt 2022 donnera l'occasion de revenir sur l'oeuvre d'une autrice fertile, dont le travail se situe au carrefour de l'intime et de l'engagement.
Brigitte Giraud est l'autrice de nombreux romans et récits parmi lesquels À présent (Stock, mention spéciale du prix Wepler-Fondation La Poste 2001), Un loup pour l'homme et Jour de courage (Flammarion, 2017 et 2019). Elle a reçu le prix Goncourt le 3 novembre 2022 pour son récit Vivre vite, également publié chez Flammarion.
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Je reviens sur la litanie des « si » qui m’a obsédée pendant toutes ses années. Et qui a fait de mon existence une réalité au conditionnel passé.
Je résume.
La maison, les clés, le garage, ma mère, mon frère, le Japon, Tadao Baba, la semaine de vacances, Hélène, mon service de presse. Ça commençait à faire un sacré bordel.
(page 116)
Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d'horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l'origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient le spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive. Sociologue, flic ou écrivain, on ne sait plus, on délire, on veut comprendre comment on devient un chiffre dans des statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu'on se croyait unique et immortel.
Page 23, Flammarion.
Ça commence comme ça. Il est là et sa présence vous gêne. Vous ne l'attendez plus. Vous rentrez le soir et vous allumez le radio. Un baiser distrait après avoir quitté vos chaussures. Le silence tout de suite après. Vous ne savez comment c'est arrivé. Depuis combien de temps. Vous pensiez que ce de ne serait pas possible. Pas lui, pas vous.

Je découvre aujourd'hui que j'étais heureuse.... Pourquoi on ne sait pas ces choses-là? Pourquoi on ne les mesure pas? Parce qu'on croit que le lendemain sera mieux, on demande plus, on trouve que le présent est minable, comparé à ce qui va arriver. On attend d'aménager dans une nouvelle maison,..., on attend d'être en vacances, on attend d'avoir un deuxième enfant, on attend de publier un livre, ... on attend d'avoir de l'argent pour travailler moins, on attend d'être libre. On a les yeux rivés sur l'avenir... On attend d'être tranquille, ..., on attend demain. A force d'attendre on piétine chaque jour qui passe, on le vit comme un état provisoire, on ne s'installe pas vraiment. On a le cul entre deux chaises, on est sur une rampe de lancement, et déjà on regarde en arrière. On ne veut pas savoir qu'on est heureux. On est superstitieux. Alors on est aveugle, on est distrait, ..., on se plaint,..., on en fait une montagne, on se gâche la vie.... Mais en fait, tout au fond, on boit du petit lait. Aujourd'hui qu'il n'y a plus rien, je sais, je peux dire comme c'était bien.
Ce soir, Claude est mort.
Je l'aimais.
Ma vie s'arrête et commence en même temps.
Pour éviter de nommer l'événement, je dis "avant" et "à présent."
Ce soir Claude est mort et moi je suis vivante.
Il me quitte sans l'avoir voulu, par inadvertance.
C'est une histoire ordinaire, celle d'un homme et d'une femme qui ont eu des enfants. [...]
cette histoire-là tu la méprises, elle n'est pas digne de toi, le "grantécrivain".
Tu mérites mieux qu'une famille avec une femme et des enfants, qui t'attendent, qui sont à tes pieds, qui s'adaptent, depuis toujours, à tes absences, tes besoins d'isolement, de liberté, pour te laisser vivre pleinement ton inspiration. Tu mérites mieux qu'une femme qui elle, n'a rien d'original, ni actrice de cinéma ni même journaliste. Une femme assistante sociale, c'est sur, il n'y a pas de quoi grimper aux rideaux. Mais qui t'aime pourtant, tu mérites mieux qu'une femme qui t'aime ?
"Il faut inventer une raison d'être à chaque journée, ne pas se laisser gagner par le vide."
Une route au moment où la planète crève de toutes ces routes qui accélèrent la consommation de gaz carbonique.
(page 19)
En tant qu’enseignante, elle n’avait pas le droit de faire de la politique. Elle ne pouvait que montrer, à défaut de démontrer. Elle essayait de mettre sous leurs yeux ce qui s’y trouvait mais qu’ils ne voyaient pas. En raison de leur jeune âge mais aussi parce que leur vie s’éveillait à des bouleversements bien plus vitaux et exaltants. (page 36)