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Citation de FRANGA


Je rejoins mon père sur la jetée. Je tiens le seau, autant dire que je ne sers à rien, tandis que mon père détache les moules de leur rocher avec sa lame d'acier. J'observe le tranchant de la lame qui copine avec les doigts de mon père, mon ventre se noue, je ne sais d'où me vient la peur du sang, encore lui, celui qui coule aussitôt la peau entaillée, celui qu'on ne peut contenir dès lors que l'enveloppe a cédé. Mon père est habile et le seau bientôt rempli. Nous rejoignons l'ombre derrière la maison et nous nous accroupissons. Mon père écarte les coques, me permet d'accéder à ce qu'il considère comme un fruit, un fruit de mer encore vivant. Il mâche, je mâche, il mâche, je mâche encore, il aime ça, il aime que j'aime. J'imite mon père, je prends les moules qu'il me tend, toujours accroupie au-dessus du seau rempli d'eau. Je mâche, j'explore avec la langue la moindre anfractuosité. Je n'aime pas le goût ni l'odeur mais je continue de remplir ma bouche. Je mâche et parfois un grain de sable crisse sous la dent, un éclat de nacre érafle la gencive. Je diffère le moment d'avaler et je prends les nouvelles moules que me tend mon père, je continue de malaxer l'ensemble, mécaniquement, jusqu'au moment où la bouillie m'écoeure et où il faut avouer. Je sens mon corps refuser le contingent de moules qu'il s'apprête à ingurgiter. Ca ne passera pas, les moules ne franchiront pas le seuil de l'oesophage, c'est mon estomac qui, déjà, rejette l'intrusion. Je suis sur le point de vomir. C'est instinctif, les moules demeureront des corps étrangers impossibles à ingérer, des corps destinés à être recrachés, et finalement mélangés au sable du jardin.
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