Citations de Camille Beauchamp (23)
Je déteste les prénoms nouveau genre, qui semblent être un amalgame de lettres de Scrabble tombées par terre.
Elle ferme les yeux, et sa poitrine se soulève comme si elle respirait pour la toute première fois. J'absorbe moi aussi l'air salin gorgé d'un parfum d'algues. L'odeur de la liberté. De la vie.
Elle porte la fatigue comme une deuxième peau, malgré qu’elle ne le laisse pas paraître en se tenant bien droite et en gardant le sourire. Je n’ai aucune idée du nombre d’heures qu’elle a travaillées cette semaine: plus de quarante, je n’en doute même pas.
C’était une question d’intuition, ce genre de chose qui ne s’explique pas vraiment. Une petite voix enfouie au plus profond de moi que je n’ai jamais osé écouter, que j’ai choisi d’ignorer. Je l’ai étouffée avec le discours de tous ceux qui essayaient si bien et si fort de me convaincre de fonder une famille, comme s’il s’agissait de la seule voie possible et acceptable pour mener une vie heureuse et épanouie.
J’ai beau détourner le regard, je reviens toujours vers les maudits dépliants qui semblent me narguer. Je m’étire et, cette fois, je les atteins sans avoir à me lever. J’en ouvre un et je le referme aussitôt, comme si un monstre allait en sortir. Je les enfouis brusquement au fond de mon sac et tire la fermeture éclair, comme pour éviter qu’ils ressortent par eux-mêmes pour ramper jusqu’à moi. Je me mets alors à pleurer; mon visage se déforme en une grimace horrible. Je ne peux empêcher mes yeux de laisser couler des torrents de larmes.
Je me laisse bercer par le silence, fermant les yeux pour mieux profiter du calme ambiant. Je les rouvre en poussant un long soupir. Je suspends mon manteau à l’un des crochets se trouvant derrière la porte et j’abandonne mon sac à main sur le sol, près de mes bottes qui ne tarderont pas à former une flaque grise dans le plateau en plastique posé par terre.
Ce sont toujours les mêmes qui s’absentent sans préavis ou qui veulent être remplacés, ce dont pourtant Léa ne se plaint jamais.
Je me sens comme une adolescente en fugue qui, après avoir menacé ses parents de ne jamais revenir à la maison, rentre quelques heures plus tard, piteuse et déçue d’avoir compris que la fuite n’est pas la bonne solution.
Je finirai bien par trouver une petite île déserte sur laquelle m’échouer, où me reposer jusqu’à ce que j’accumule assez de force pour affronter ce qui reste de ma vie.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai entretenu une relation amour-haine avec mon corps. Trop flasque, trop gros, trop maigre, trop faible, trop raide: ça varie, mais il y a toujours quelque chose. Ma peau qui brûle sous le soleil de juillet. Les boutons qui apparaissent au pire moment, juste là, au bout du nez.
Je l’avais imaginé, cet instant – comprendre enfin ce qui cloche avec mon corps –, seulement ce n’est pas comme le vivre pour vrai. C’est à la fois soulageant et terrifiant. La réalité me rattrape et me dévore. Ma réserve ovarienne est anormalement basse. En résumé, elle est presque vide. Je ne retiens que ce dernier mot: vide. Je suis vide.
Parfois, Mathias veut tellement bien faire les choses en se montrant attentif et doux qu’il me donne envie de frapper dans un mur. Ça a toujours été comme ça; plus il est gentil, plus ça m’énerve parce que j’ai l’impression de ne pas mériter toute cette bonté.
Ça ne doit pas toujours être facile d’être un gynécologue. Je n’étais d’ailleurs pas très enchantée à l’idée d’être suivie par un homme, mais comme la liste d’attente est longue au CLSC, Mathias m’a convaincue de passer par-dessus mes préjugés et m’a accompagnée au premier rendez-vous. Finalement, le Dr Lalonde s’est révélé plus que compétent et, plus important encore, très gentil.
Tumeur, cancer, malformation, caillot, maladie incurable: j’étais convaincue d’être victime de tous les maux de la terre en même temps. Mathias, mon copain, a fait tout en son pouvoir pour me changer les idées; il m’a laissée regarder mes séries romantiques sur Netflix, m’a cuisiné mes repas préférés et m’a même proposé d’aller au cinéma un soir de semaine! Ça a marché, mais pas tout à fait.
J’ai eu beau essayer de déchiffrer les images noires et grises, mes propres entrailles ne se sont pas laissé lire si facilement. Après un moment, le technicien a tourné un peu l’écran, comme si je portais un secret quelconque, peut-être un trésor ou une créature monstrueuse comme dans Alien.
J’ai l’impression d’être un morceau de saumon en papillote qui s’en va au four. Au-dessus de moi, le néon fluorescent grésille et me juge. Je devine que mon dossier est affiché à l’écran de l’ordinateur, mais je n’ose pas me relever pour aller lire ce qui a été ajouté depuis l’échographie de la semaine dernière.
Un jour, faire des choix n'est plus une corvée, ne fait plus peur. C'est un jeu : qu'est-ce que je décide de faire, maintenant ?
"Vous êtes une drôle de génération", dit-elle. Elle hésite, cherche ses mots. Elle n'est pas sûre de ce qu'elle veut dire.
"Vous ne voulez pas devenir grands, vous avez peur de devenir cons. Vous souhaitez rester des petits enfants insouciants le plus longtemps possible. Je ne dis pas que nous n'avions pas fait d'erreurs, nous étions insouciants aussi. Sans doute d'une manière plus désastreuse encore, mais au moins, nous avions l'optimisme. Nous étions, sinon plus courageux, moins résignés et plus déterminés."
Elle rit.
"J'ai l'impression que vous ne savez pas faire de choix sans vous faire des montagnes de tout petits monticules. Et que vous accumulez les souvenirs d'enfant, les t-shirts, les voiturettes, les pin's !
_Pas faux, je réussis à articuler à travers la cardamome ; mais on essaye de profiter un maximum des petits et des grands bonheurs de la vie, en espérant qu'on puisse le faire longtemps. On est plus ouverts sur le monde que vous ne l'étiez.
_Et pourtant pas plus heureux. Mais plus déprimés, plus souvent, et vous croyez que le ciel va vous tomber sur la tête n'importe quand. Au lieu de se lancer d'un grand coup. Enfin, je dis ça, mais au fond, c'est peut-être de moi que je parle. Finalement, je t'envie de prendre ton temps. Mais j'ai peur que tu te fanes, que tu ne découvres jamais vraiment ce qui te plait."
le courage des femmes, c'est de ne pas être ce qu'on attend d'elles.
Pendant longtemps, j'ai cru que j'étais adulte parce que je vivais loin de mes parents, et que je gagnais mon argent. Maintenant je ne sais plus si l'âge adulte existe vraiment.