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Citations de Cécile Campergue (197)


Il n'est pas rare de voir ce dernier participer au chantier, avec ses bottes et sa robe pleine de boue, ce qui tranche avec d'autres maîtres pour qui ce n'est pas le rôle d'un lama de participer à la construction et à la rénovation des bâtiments d'un centre, mais à la transmission du dharma. Si Lama Teunsang met « la main à la pâte », c'est aussi car il vit sur le centre à l'année, ce qui n'est pas le cas de tous les lamas. Alors que plusieurs vivent comme lui sur le site même de leur centre (feu Guendune Rinpoché, Lama Tenzin Samphel, une grande partie des lamas occidentaux de Dhagpo, etc.) certains ont des habitations privées parfois loin du centre, à l'étranger pour des maîtres dont la résidence principale n'est pas la France.
Par ailleurs, certains jouissent d'une richesse considérable, ont des goûts luxueux, tant au niveau de leur tenue vestimentaire que pour des biens matériels autres, comme un véhicule. Alors que l'on peut en croiser certains dans des 4x4 modernes ou en Mercedes, avec une tenue toujours impeccablement soignée et distinguée, d'autres préfèrent des voitures fonctionnelles et des tenues simples. Tous les lamas sont loin d'être des contemplatifs s'exerçant continuellement à des pratiques tantriques. Parmi tous les maîtres que j'ai pu rencontrer, beaucoup étaient équipés d'un téléphone cellulaire, souvent des derniers outils technologiques à la mode (lecteur Dvd, Divix, portable avec connexion WI-FI, baladeur Mp3, appareil photo numérique, caméra, etc.). Un lama français me dira au sujet d'un lama bhoutanais avec qui il a administré un centre et avec qui il ne s'entendait pas, qu'il était « fier d'être le premier lama en France à porter des chaussures Gucci ». Ce lama tibétain, toujours très élégant, porte des vêtements somptueux, et, comme il aime les belles voitures, il en change souvent13. En discutant de manière informelle avec plusieurs lamas sur des questions relatives à la possession de matériel et de diverses richesses, qui peuvent supposer que les maîtres sont aussi des consommateurs et que même s'ils enseignent le détachement, ceci n'implique pas le rejet strict du matériel ; l'important, me dira deux d'entre-deux, « c'est de ne pas y être attaché ». Les maîtres et autres pratiquants assidus ne sont pas tous concernés par le bouddhisme canonique (nibbanique, selon Spiro) mais aussi par le bouddhisme kammatique. Les distinctions s'opérant au niveau du « capital économique » sont également présentes dans les manières d'être. Tandis que certains maîtres boivent de l'alcool, mangent de la viande, et sont, ce que l'on peut qualifier de « bons vivants », aimant plaisanter et communiquer (qu'ils soient moines ou laïcs), d'autres sont strictement végétariens, prohibent l'alcool et la cigarette et n'apprécient pas particulièrement la vie sociale. Il existe parfois d'énormes dissemblances entre maîtres, qui dépendent ou non de la même lignée, ce qui explique pourquoi un fidèle bouddhiste peut apprécier un maître et en détester un autre. Par exemple, Tulkou Péma Wangyal et Sogyal Rinpoché, même s'ils sont tous les deux Nyingma sont profondément différents, tant dans leur style propre que dans la manière dont ils diffusent le dharma. Le premier s'expose peu et son organisation est particulièrement discrète, voire fermée et élitiste* alors que le second est exposé, poursuit des projets colossaux (comme le temple Lérab Ling) et détient une organisation qui touche un large public bénéficiant d'une visibilité accrue. Selon la stratégie de diffusion du dharma qu'ils adoptent, leur personnalité, leur sens de la pédagogie et de la communication, les maîtres se singularisent. Il existe, tout comme au Tibet avant 1959 des types de maîtres différents. Par contre, on remarque que nombre de maîtres tibétains qui étaient moines sont devenus laïcs en s'installant en France. Paradoxalement, chez les Kagyü, notamment du Dhagpo Mandala, la majorité des lamas européens sont des moines**.
Plusieurs observateurs emploient l'expression de « bouddhisme français » après avoir longtemps employé celle de « bouddhisme occidental », comme le font plusieurs sympathisants, pratiquants assidus ou bien des maîtres, notamment occidentaux.
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*Ce qui d'ailleurs lui est reproché par plusieurs bouddhistes. L'une elle, 61 ans, fidèle Kagyü depuis 1981. me fera cette remarque : « C'est très sélect et l'argent est un critère de sélection ». Entrevue personnelle, Paris, 2006.
** Ceci est en cours de modification, le monastère traversant des bouleversements. Plusieurs lamas-moines ont en effet rendus leurs vœux et certains ont quitté le monastère.
p. 315
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Lama Tenzin Samphel (Nyingma), qui vit dans son centre à Septvaux me raconte qu'il est venu en France selon les injonctions de son propre maître, Dudjom Rinpoché. pour prendre la responsabilité du centre Laugeral en Dordogne. Arrivé sur la Côte de Jör en 1987, ce fut alors un choc pour lui, d'abord par le changement de paysage et de nourriture et surtout, parce qu'il ne parlait pas le français. Il s'était imaginé, eu égard a la notoriété en Inde de Dudjom Rinpoché, que le centre périgourdin avait une énorme activité et beaucoup de disciples, mais il n'en était rien ; c'était une petite organisation et peu de gens étaient présents pour suivre les enseignements qui avaient lieu deux fois par an (pour les plus importants). Après avoir habité quelque temps avec des fidèles avec qui il avait des problèmes de communication (« Pour un Tibétain, non veut parfois dire oui » me dit-il), il commença à bien s'adapter en apprenant le français : « Il fallait vraiment que j'apprenne la langue pour pouvoir aider et comprendre les gens qui m'entouraient ». Il insiste sur les conflits et les incompréhensions nées du contact entre deux « mondes culturels » radicalement différents. Pour lui, il est nécessaire pour un Tibétain d'apprendre la langue du pays d'accueil et de comprendre le fonctionnement et les caractéristiques culturelles propres à son nouveau public.
Si certains ont choisi d'apprendre le français, tous n'ont pas fait ce choix et souvent, c'est l'anglais qui a été privilégié. Les nouvelles générations, notamment les tülkou tibétains qui viennent s'installer ou enseigner en France, sont appréciées, surtout pour leur style moderne et direct. Parmi ces maîtres, certains font plus ou moins figure de trickster, rompant définitivement avec certains de leurs aînés, en arborant un style peu conventionnel, souvent sans concessions, comme a pu l'être Trungpa, qui continue à être le moteur et l'inspirateur de nombreux fidèles.
p. 312 et 313
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Souvent, les nouvelles générations de lamas parlent anglais couramment mais certains lamas de générations distinctes parlent le français (comme Dagpo Rinpoché), ou le comprennent mais ne le parlent pas vraiment (comme Lama Jigmé Rinpoché). Parmi eux, plusieurs étaient moines et certains ont rendu leurs vœux car ils considéraient comme impossible le respect de ces derniers en contexte occidental (comme Dagpo Rinpoché). D'autres se sont mariés avec des Occidentales sans rendre leurs vœux comme Lama Mônlam, qui me dira : « Lorsqu'on est un lama, on n'a pas besoin de les rendre » pour se marier. Outre les ambiguïtés que peut amener l'indétermination du statut d'un lama, cette affirmation a le mérite d'être claire. Le lama, aux yeux de Lama Mônlam, est au-dessus du statut identitaire qui en fait un laïc ou un moine, il est au-delà des vœux.
Le cas des lamas bhoutanais de Dashang Kagyu Ling est représentatif du changement du statut de lamas moines devenus laïcs, mais aussi de pratiques sociales marquées culturellement. Tous moines arrivés en 1974, missionnés par Kalou Rinpoché, seul un d'entre eux a conservé ses vœux monastiques, Lama Tempa Gyamtso, qui passe la plus grande partie de son temps en retraite. Le premier responsable du centre était Lama Shérab. Selon un de ces proches disciples qui m'en a fait le récit, il aurait été pressé par ses maîtres de devenir laïc et d'avoir des relations sexuelles. « Il lui fallait une dakini » me dit mon interlocuteur (ici dakini est synonyme de femme), car sinon, il allait mourir dans un accident de voiture (il en avait déjà eu deux relativement graves auparavant). Il a alors prévenu son sangha et s'est marié à une Bhoutanaise avec qui il a eu un premier fils. Puis, étant parti au Bhoutan, sa femme qui vivait au centre, a eu une aventure avec le peintre bhoutanais venu s'occuper des fresques du temple. Se retrouvant enceinte, il était évident que le père de cet enfant à venir n'était pas de Lama Shérab, alors absent. De retour, ce dernier a tout de même reconnu l'enfant. Puis, lui et sa femme se sont séparés et cette dernière a ensuite épousé le frère de Lama Shérab (qui lui-même s'est remarié), Lama Tendar, avec qui elle a également eu un enfant. Mon informateur, que cette histoire amuse, souligne que tout ce petit monde vit au centre. Certains bouddhistes expliquent ces faits comme une « polyandrie culturelle ».
p. 312
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Au Tibet, les centres mixtes étaient méconnus, le tibétain était la seule langue utilisée, la méditation était réservée à certains moines et yogis, peu de femmes détenaient des positions d'autorité (peu de tülkou femmes également), et nombre d'enseignements qui sont aujourd'hui publiquement dispensés à un public indifférencié de laïcs étaient traditionnellement réservés à des moines ou des pratiquants avancés. Mais, si des changements s'opèrent au niveau de l'implantation et de l'évolution du bouddhisme tibétain dans les nouveaux contextes culturels dans lequel il s'implante, des changements s'opèrent dans la manière d'enseigner et dans le style arboré par les différents maîtres. Alors que le Vajrayana ne s'adresse en France qu'à un public de convertis, plusieurs maîtres ayant eu une double formation (tibétaine et occidentale) ont choisi de transmettre, à l'instar de Trungpa, un programme d'enseignement progressif spécialement destiné aux Occidentaux, et peuvent être considérés comme modernistes. D'autres, qui n'avaient pas ou peu connaissance des Occidentaux lorsqu'ils sont arrivés en Occident, tels que Guendune Rinpoché ou Kalou Rinpoché (ou Lama Teunsang) ont entrepris de transmettre le dharma de manière traditionaliste ; ils n'ont pas appris la langue locale et ont fondé des centres dans lequel l'enseignement est culturellement et religieusement marqué et ils ont conservé leur statut monastique. Le fait qu'ils ne parlaient pas français ni anglais mais seulement tibétain ne facilitait pas les communications avec leurs disciples.
Avec le XVIe Karmapa, Kalou Rinpoché, Lama Yéshé, Sakya Trizin, Dilgo Khyentsé Rinpoché, Dudjom Rinpoché et bien d'autres, les premières générations de lamas venues en Occident ont prodigué une quantité non négligeable d'enseignements et conféré de multiples initiations, notamment au grand public. Plusieurs maîtres étaient cependant sceptiques quant au degré de compréhension et d'engagement des Occidentaux à pratiquer le dharma. Trois maîtres tibétains m'ont dit que les Occidentaux sont instables, qu'ils ont beaucoup de difficultés dans leur vie quotidienne et sont tributaires d'une logique de consommation qui les empêche de comprendre en profondeur les enseignements et surtout de les mettre en pratique. Ce culturalisme est mobilisé pour glorifier leur religion et leur savoir en les plaçant à un niveau de compréhension supérieur. D'autres, comme Trungpa, ont critiqué le « matérialisme spirituel » des Occidentaux et se sont proposés de créer un enseignement spécifique pour ces derniers. Plusieurs ont refusé de transmettre les enseignements les plus profonds et les plus tantriques à une population non avertie.
p. 309 et 310
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Dzongsar Khyentsé, connu pour son franc-parler, même s'il reprend quelques clichés néofondamentalistes que l'on retrouve dans plusieurs religions pour critiquer les sociétés occidentales (comme l'exposition de la femme nue), ses analyses concernant la sexualité dans le tantrisme tibétain et les relations entre maîtres et disciples en contexte occidental fournissent des éclaircissements significatifs. Il rappelle que dans le Vajrayana, il n'est pas question d'égalité des sexes puisque la relation sexuelle est au-delà d'une perspective duelle. Pour lui, l'égalité sociale entre hommes et femmes est moins importante que la réalisation de l'égalité entre le samsara et le nirvàna. Il note que lorsque des Occidentales ont des relations sexuelles avec des lamas tibétains, plusieurs peuvent être frustrées car leurs conditionnements culturels ne se rencontrent pas et que sur un plan égotique, certains Rinpoché connus comme étant de grands maîtres seront par définition les plus mauvais partenaires du point de vue de l'ego et que c'est un très mauvais choix. Si une personne veut apprendre auprès d'un maître avec l'intention d'obtenir la Libération, il doit être prêt à renoncer à son ego.
p. 306
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Le débat que ce livre* (que certaines n'avaient pas lu par réticence) suscite, était l'occasion pour elles de parler des « abus de pouvoir » de certains maîtres. Elles ne comprenaient pas pourquoi les histoires de ce type, plus communes qu'on pourrait l'imaginer, sont étouffées. Attristées par ces faits, cela ne remettait pas en cause leur pratique bouddhique mais on pouvait sentir une certaine peur, notamment en ce qui concerne la fréquentation de certains centres, la peur d'être « enfermé dans un système ». Ces pratiquantes ont une longue expérience des centres et s'en éloignent depuis quelques années, y ayant découvert un « système de pensée unique d'adoration et d'idolâtrie envers le maître » qu'elles ne peuvent plus supporter. Une affaire comme celle de J. Campbell et les réactions qu'elle suscite démontre la complexité des relations entre maître et disciples et la transposition d'un système religieux complexe dans un autre univers cultuel et social.
De plus, beaucoup de maîtres ne font pas véritablement d'efforts pour expliquer en profondeur le système tantrique sur lequel leur tradition repose, système encore largement idéalisé par les adeptes occidentaux. Leur silence peut alors être perçu par certains comme complice. Les Occidentaux n'ont pas, bien sûr pas les mêmes référents culturels et religieux que les Tibétains. Le problème de l'utilisation de la sexualité à des fins de pratiques énergétiques en vue de l'éveil et les abus qu'elle peut engendrer est un obstacle. L'abus de pouvoir dissimulé derrière la pratique tantrique est un fait inacceptable pour nombre de personnes. La relation sexuelle (symbolique, métaphorique et concrète) valorisée dans le système tantrique bouddhique est même vitale dans certains cas. Ainsi, comme déjà écrit, certains maîtres qui étaient moines se sont vus dans la nécessité d'avoir des relations sexuelles selon les prédictions de leur propre maître, car il y allait de leur propre vie. Rappelons aussi la tradition des terma où les tertön doivent souvent s'unir avec la bonne parèdre pour découvrir le terma. Derrière ces difficultés, nées d'une pluralité d'interprétations concernant la relation sexuelle entre maîtres et disciples, difficile de s'y retrouver pour les disciples.
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* Traveller in Space, In Search of Female Identity in Tibetan Buddhism.
p. 305
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Les relations sexuelles entre maîtres et disciples, les procédés de séduction et les abus de pouvoir sont un point encore sensible, notamment en France, où les histoires de ce type sont encore tues ou minimisées, essentiellement visibles par le grand public à travers différents forums bouddhistes sur lesquels plusieurs adeptes témoignent et font par de leurs expériences. Dans le travail effectué par James Coleman sur le bouddhisme en Occident, une partie est consacrée au sexe et au pouvoir, d'où l'importance de ces relations et leurs effets dans un cadre ou le maître est doté une autorité incontestée.
J'ai antérieurement insisté sur l'importance du public féminin et notamment sur la présence de femmes se trouvant dans un processus de séduction envers un ou plusieurs maîtres, mais ces dernières ne sont pas toutes à l'origine des avances de maîtres. Par exemple, Tèndzin Palmo, lorsqu'elle devint l'étudiante de C. Trungpa, se rappelle les tentatives de séduction et les avances de ce dernier : « il lui glisse la main sous sa jupe un jour en prenant le thé. Elle lui plante ses talons aiguilles dans ses sandales » Elle raconte :
« Il se présentait comme un moine authentique en me déclarant que notre rencontre lui avait fait perdre la tête et bien d'autres choses, qui, selon moi, n'étaient que des balivernes. Je pensais qu'il était "pur", car je ne concevais pas qu'un grand lama tibétain ne puisse pas l'être. Et, en aucun cas, je ne voulais provoquer la rupture des vœux d'un moine. Je voulais que rien n'entache le bouddhisme mahayaniste. S'il m'avait dit : " Écoute, ma chérie, j'ai eu des liaisons dès l'âge de treize ans et j'ai même un fils, alors ne t'inquiète pas ", ce qui était vrai, je lui aurais dit : "d'accord". Quoi de plus fascinant que de pratiquer avec le grand Trungpa ? Aucun des hommes que je connaissais ne lui arrivait à la cheville. »
On voit très bien ici la forte idéalisation des lamas tibétains et les effets contradictoires qu'elle implique. Tèndzin Palmo a refusé les avances de Trungpa essentiellement par rapport au dispositif mis en place par ce dernier pour la séduire, mais elle aurait accepté une liaison avec lui (ce qu'elle nomme « pratiquer ») s'il avait agi autrement. Les ambiguïtés des relations de séduction entre maîtres et disciples reposent souvent sur ce genre de contradictions et d'interprétations divergentes, selon la place qu'occupe la personne séduite et celle qui séduit. Plus encore, il y aurait des maîtres qui, en transformant le rôle de l'union et la pratique sexuelle telle qu'elle est explicitée dans les tantra, se servent de cette caution pour obtenir des faveurs sexuelles de leur disciple. Souvent, c'est le sens donné à la finalité (l'acte sexuel), qui diffère selon les interprétations des maîtres et disciples.
p. 301
Ces investissements se retrouvent dans une large mesure dans les relations de maître à disciple. Dans un article du Yoga Journal sur la vie de plusieurs maîtres, Sex Lives of the gurus, l'enseignant (moine) du Theravâda, Jack Kornfield a noté que sur 54 « gurus » (lamas, maîtres zen, hindous, jaïns, etc.), qu'il avait questionnés, 34 avaient eu des relations sexuelles avec une ou plusieurs de leurs étudiantes. La relative banalité de ce type de relation ne doit pas pour autant banaliser les abus de pouvoir concernant les relations sexuelles de certains maîtres avec leurs disciples au nom d'une pratique tantrique, aujourd'hui pointées du doigt, qui engendrent beaucoup de confusion dans l'esprit de nombre d'adeptes.
p. 303
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Le Dalaï-Lama s'exprime en faveur des femmes, reconnaît et approuve les droits et les acquis de celles-ci dans les sociétés occidentales mais son propos n'est pas toujours suivi. Il affirme, lorsque des enseignants occidentaux le questionnent par rapport aux femmes et au dharma à l'Ouest : « Je pense généralement que les femmes doivent prendre confiance en elles-mêmes et saisir toutes les occasions. Se rendre les égales des hommes dans tous les domaines. C'est le plus important ». Ces droits et acquis des femmes dans nos sociétés peuvent difficilement être remis en question publiquement par certains maîtres, alors que dans une conversation personnelle, plusieurs donneront leur avis sur la position et le statut de la femme, qui n'est pas celle qu'ils donnent publiquement.
À l'instar du Dalaï-Lama*, plusieurs font référence à l'égalité des droits entre les femmes et les hommes, alors que d'évidentes ambiguïtés apparaissent au regard des enseignements bouddhiques eux-mêmes, notamment ceux qui concernent la doctrine de l'anatman. Un lama français me dira qu'il est difficile, si l'on se réfère aux textes bouddhiques, de parler de droit des personnes (personne entendu au sens occidental) alors que cette personne n'est, du point de vue de l'enseignement bouddhiste, qu'un ensemble d'agrégats dépourvu d'existence propre**.
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* Notons que le Dalaï-Lama n'est pas très ouvert sur les questions de sexualité et d'avortement et que son raisonnement se rapproche de celui de l'Église catholique en prônant l'abstinence et désavouant l'avortement en tant que mort volontaire d'un être humain.
79 « Bouddhisme et Philosophie : La question de l'Identité », Les cahiers bouddhiques, n°1, juin 2005, p. 102-123.
p. 297
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Certains maîtres ont une « cour » non négligeable de femmes qui les entoure, les sollicite, et aussi, les ennuie. Des maîtres sont quelquefois embarrassés de cette effervescence qu'ils produisent, même si elle peut être recherchée par d'autres. Le support et l'aide de la femme sont particulièrement décisifs dans certaines conditions. notamment « pour aider les grands maîtres dans leur activité », comme me le rappellera un lama tibétain, la femme représentant la sagesse, la vacuité (prajna) et l'homme les moyens habiles (upaya) qui sont deux pôles indissociables dans le Vajrayana, traduits de manière rituelle avec l'union de l'instrument rituel, le dörje et la cloche. Comme nous l'avons vu, les femmes mais plus encore l'énergie féminine, est notamment utile aux tertön. Publiquement, les maîtres mettent en valeur les qualités féminines de sagesse, notamment les qualités d'ouverture et de compassion d'une mère, ce qui ne fait qu'accentuer l'intérêt des femmes pour l'enseignement et le maître qui l'enseigne. En reprenant l'étude de certains tantra, ils mettent en évidence les capacités supérieures attribuées aux femmes*.
B. Faure soulignait son étonnement d'entendre que le bouddhisme tibétain en France fournisse refuge aux déçus du féminisme car cette valorisation et cette exaltation des femmes dans le bouddhisme tibétain « n'est pas une marque d'égalitarisme ; bien au contraire, c'est la caractéristique principale de toutes les religions et sociétés patriarcales ». Deux lamas tibétains Kagyü me diront que les femmes ont l'esprit « plus fin » et sont « plus sensibles au dharma que les hommes ». D'autres me diront que la condition d'une femme est « plus difficile sur tous les plans » (physique, psychique et sociale) qu'un homme, même dans nos sociétés occidentales encore machistes, et qu'elles sont en conséquence plus « dociles », de par leur éducation. L. Deshayes et F. Lenoir mentionnaient : « La place laissée aux femmes occidentales est justement à la confluence entre Tibet et Occident : l'un, traditionnel spirituellement riche mais socialement archaïque, l'autre en quête spirituelle, mais socialement avancé ». Cette distinction, qui reprend à la fois des stéréotypes …occidentaux sur le Tibet et des stéréotypes occidentaux sur leur propre société, a le mérite de refléter le discours d'une majorité de fidèles rencontrés.
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*J. Simmer-Brown note que c'est un thème récurrent dans le tantrisme que d'attribuer des capacités supérieures aux femmes. Le souffle ardent de la dakini. Le principe féminin dans le bouddhisme tantrique. Kunchab, 2001, Paris, p. 64.
p. 296
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« les dakinis au sens ultime sont la sagesse qui réalise shounyatâ, la Vacuité. Cette sagesse est le niveau le plus subtil de la conscience, la claire lumière qui est transformée en sagesse et qui réalise la Vacuité ; afin de faire naître cette dakini, il faut anéantir la conscience grossière grâce à la pratique de la chaleur intérieure qui est une forme particulière de félicité. Cette félicité est le remède qui détruit la conscience grossière, et, par conséquent, cette chaleur intérieure est une autre signification de dakini ; pour développer cette chaleur intérieure dans certaines circonstances et conditions, on doit s'associer à une parèdre ou partenaire féminin encore appelé femme de connaissance (rig ma), ce qui constitue le troisième sens de la dakini. Ces parèdres sont différentes par leurs caractéristiques physiques et spirituelles [...]
En fait les dakinis ont évolué de l'Inde vers le Tibet. En Inde, elles apparaissaient sous des formes destructives, sanguinaires et parfois cannibales, et leurs actions étaient souvent si crues et si obscènes que cela leur a valu le nom de sorcières. Leur présence auprès des yogis était essentielle pour accomplir certains rites psycho-sexuels. Progressivement, entrèrent dans la mythologie tibétaine sous des formes plus apaisantes et, cessant en même temps d'être considérées comme des êtres en chair et en os, elles devinrent les messagères de la transmission spirituelle et les symboles individuels de sagesse avec laquelle la méditant doit s'unir mystiquement. » (Édou, 2003 : 109-110)
Judith Simmer-Brown, universitaire américaine, enseignante à l'université Nalanda (fondée par Trungpa) expose dans son ouvrage “Le souffle ardent de la dakini”. Le principe féminin dans le bouddhisme tantrique* les différents aspects de la dakini dans le contexte traditionnel tibétain, dans les discours des féministes américaines et chez les lamas contemporains. En tant que symbole qui, en référence à Paul Ricoeur, « modèle le soi », J. Simmer-Brown explique que pour les Tibétains, les concepts de féminin et de masculin n'ont d'importance que pour autant qu'ils reflètent une dynamique ultime dans les rituels et la méditation. C'est dans cette « perspective sacrée » que la dakini doit être envisagée, perspective qui ne se « reflétait pas nécessairement dans la vie sociale » ou les femmes étaient « assujetties à leur père et mari ». Le profil de la dakini se voit modifié en contexte occidental ou elle « est passée du statut de dakini spécifique à celui d'un principe féminin désormais au cœur des enseignements vajrayana ». L'importance des dakini humaines, des parèdres, « l'aspect le plus déroutant » souligne J. Simmer-Brown, se révéleront essentielles pour la transmission des terma (notamment chez les Nyingma) où le tertön, le « découvreur de trésors », pratique avec son épouse mystique. L'utilisation, souvent inévitable, à des fins de pratiques religieuses, du principe féminin, est dans cette transmission parfaitement parlante.
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*Kunchab, Paris, 2001, [Dakini's Warm Breath, Shambhala publications, 2001]. Son analyse aborde tous les points de vue actuels sur le sujet, en se démarquant de la critique féministe mais en l'intégrant à l'analyse.
p. 288
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Après la disparition du Bouddha, Mahakashyapa, le premier patriarche, fera de sévères reproches à Ananda, principalement pour avoir pris la défense des femmes et avoir ainsi réduit la durée de l'enseignement du Bouddha (le Bouddha aurait en effet prédit le déclin de sa doctrine). Le bouddhisme, pour J. Bacot, n'a pas de position absolue à l'égard des femmes : « Le climat des pays du Grand Véhicule est moins favorable que celui des pays tropicaux à l'appel des sens. Chez les peuples du Petit Véhicule, les femmes restent dangereuses pour la sérénité des moines. Elles doivent être vis-à-vis d'eux, d'une discrétion méticuleuse qui fait partie de leur éducation ». Les prérogatives doctrinales et les aspects culturels s'enchevêtrent, les seuls écrits attribués au Bouddha ne peuvent, à eux seuls, déterminer et expliquer les perceptions des femmes et du féminin. Avec le Mahayana et l'importance de la compassion et de la non-dualité, l'asexualité permettait en théorie aussi bien à une femme qu'à un homme d'atteindre l'éveil, mais pas l'éveil suprême. Cependant, « elle ne semble pas avoir contribué dans la pratique à améliorer la situation de la femme. La théorie des deux Vérités fournissant un argument commode pour nier les différences sexuelles sur le plan absolu tout en les maintenant sur le plan relatif » écrit B. Faure. Alors que le Vajrayana tibétain valorise et promeut le pôle féminin, la situation des femmes, notamment celle des religieuses, reste toujours subordonnée à celle des hommes.
1. Le principe féminin
Le Vajrayana se propose de transcender les passions par une sorte de processus alchimique. Comme le rappelle B. Faure, le « tantrisme bouddhique tire les ultimes conséquences du principe cardinal de la doctrine de Mahayana, le non-dualisme, autrement dit l'identité sur le plan de la vérité absolue des passions et de l'éveil. Mais il va même plus loin lorsqu'il affirme que l'énergie des passions est le catalyseur nécessaire de l'éveil ». Reconnaissant donc aux passions une « vertu sotériologique », l'acte sexuel sublimé va être mis en avant car il permet l'accès à l'illumination, au salut. Le tantrisme accorde effectivement une grande importance à l'aspect féminin du divin. Il perçoit le principe féminin comme étant la source d'énergie divine, la sagesse. Le tantrisme bouddhique, tel qu'il était pratiqué en Inde au Ve et VIe siècle, considérait l'initiation comme le tout de la voie tantrique.
p. 285
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Chapitre 7
Femmes et dharma
La nécessité de faire un chapitre sur les femmes et leur rapport au dharma témoigne non seulement de leur importance dans le développement du bouddhisme tibétain en France (plus largement en Europe et aux États-Unis) pour toutes les questions qu'elles suscitent et inspirent mais également aux places qu'elles occupent auprès des maîtres. Peu d'entre elles disposent d'une autorité semblable à celle de leurs homologues masculins même si certaines sont des enseignantes et des maîtres à part entière.

I. FEMININ ET VAJRAYANA
« Si le bouddhisme, dans son universalisme, paraît ouvrir à la femme les portes du salut, il pose néanmoins une restriction majeure : avant d'obtenir l'éveil, la femme doit d'abord devenir un homme » souligne B. Faure. Il poursuit, en notant que le bouddhisme apparaît comme une « doctrine phallocentrique, où tout ramène à l'homme mâle *». Si les femmes étaient au départ exclues de la vie monastique, elles n'en étaient pas les seules ; plusieurs catégories de personnes en étaient formellement exclues (infirmes, boiteux, eunuques, certains métiers comme les bouchers, les poissonniers, etc.), ces derniers pouvaient également être tenus à l'écart des vœux de bouddhistes laïcs.
L'insistance donnée aux perceptions à la fois doctrinales de la femme et du féminin et à ses perceptions et applications sociales dans le monde tibétain est nécessaire car le développement actuel du bouddhisme tibétain en France (plus largement en Occident) engendre des controverses, des malentendus et des questionnements sur la place que la femme (rôle, statut, pouvoir) y occupe**. Cette place symbolique et réelle, son rapport a l'autorité (aux maîtres) et plus largement à l'institution, fait partie des questions parfois brûlantes qui agitent plusieurs communautés bouddhistes occidentales. Des mouvements bouddhistes féministes américains s'insurgent par exemple contre l'autorité spirituelle du guru et mobilisent des symboles religieux tibétains comme la dakini pour en faire un symbole du pouvoir féminin et en même temps de l'exploitation patriarcale***
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*L. Wieger soulignait : « L'état féminin est inférieur à l'état masculin ; c'est un état de punition relative, pour cause de démérites passés. Jamais une femme n'est élevée directement à une haute charge, soit terrestre, soit céleste. Elle doit d'abord mériter de renaître homme, avant de pouvoir s'élever davantage », Bouddhisme Chinois, Tome 1 : Vinaya, Monachisme et discipline, Hinayana, véhicule inférieur, Textes de la Chine, Les Humanités d'Êxtrême-Orient, Série Culturelle des Hautes Études de Tien-Tsin, Les Belles Lettres, Paris, 1951
**Plusieurs lectures féministes posent le problème de la subordination des femmes, notamment des nonnes.
***Judith Simmer-Brown, Le souffle ardent de la dakini. Le principe féminin dans le bouddhisme tantrique, Kunchab, Paris, 2001, [Dakini's Warin Breath, Shambhala publications, 2001], p. 32.
p. 283
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L'ambiguïté de la hiérarchie tibétaine à cautionner certains mouvements est caractéristique d'une disposition culturelle selon un lama tibétain rencontré, qui est celle de « laisser faire ». Mais si « disposition culturelle » il y a, elle masque souvent des raisons et réalités bien plus pragmatiques. L'argent considérable dont disposait Lama Kunzang et dont il a fait bénéficier, directement ou non, plusieurs lamas tibétains, entre en ligne de compte. Il est évident que lorsqu'une organisation ou un maître bénéficient des financements d'autres maîtres et organisations, les critiques sont plus délicates à émettre. Certains sont plus ou moins liés par contraintes matérielles à d'autres. A ce propos, sur un rapport de la commission d'enquête parlementaire belge*, on peut lire que des transferts sont effectués sur un « compte ouvert au nom de Robert Spatz », alimenté par « deux membres de la communauté qui travaillent aux Communautés européennes » (ils versent 200 000 à 250 000 francs par mois). Ces sommes, nommées « dépenses tibétaines », servent à faire certaines dépenses en rapport avec le Tibet. Lama Kunzang a participé financièrement à la venue du Dalaï-Lama à Paris, et également à la maison d'édition Padmakara (liée au CEC) ; il aurait également contribué à financer le collège monastique du monastère de Shechen (Népal). On comprend alors pourquoi les autorités tibétaines, les autorités spirituelles de l'organisation, cautionnent Lama Kunzang. Un autre critère à retenir : on observe une récupération des centres fondés par des maîtres occidentaux par les autorités tibétaines dont ils dépendent. Il importe de noter que ces maîtres non reconnus comme tels par la hiérarchie tibétaine, ont réussi à créer des organisations grâce à leur charisme personnel mais également par la caution de maîtres tibétains qui laissent faire. L'articulation entre charisme d'ordre personnel et charisme d'institution est ici indéterminée car le détenteur d'un charisme personnel va à la fois revendiquer et instrumentaliser l'institution et en même temps, il va être lui-même instrumentalisé par cette même institution. Ces procédés sont expliqués par plusieurs comme des moyens habiles pour ne « pas couper les gens du vrai dharma ». Une réflexion de Charles (48 ans, pratiquant Kagyü depuis 21 ans) en dit long sur le poids de l'institution et les types de maîtres :
« C'est simple, tu as d'un côté les maîtres labellisés, un AOC comme pour le vin, disciples de tel ou tel maître reconnu et légitimé, et de l'autre, des pseudos maîtres qui se disent disciples de maîtres éminents pour légitimer leur statut et gagner en notoriété. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que l'AOC est forcément meilleure que celui qui n'a reçu aucun label. Pour autant, comme dans le vin, ce sont des garanties supplémentaires. Un grand cru sera toujours un grand cru, alors que des petits vins de terroir ou de table, qui peuvent être agréables à certains endroits ne restent pas en bouche comme un grand cru ! » (Paris, 2005)
Cette métaphore illustre un point de vue assez partagé par les fidèles : un maître n'est authentique que s'il s'inscrit dans une lignée identifiable et qu'il a reçu les enseignements et transmissions d'un maître connu et reconnu pour la place hiérarchique qu'il occupe dans la tradition. Cependant, certains ne sont pas considérés comme tels par les autorités tibétaines dont ils dépendent mais jouissent de leur caution, ce qui peut rendre confus les critères d'authenticité et de légitimité souvent évoqués par les maîtres et les fidèles.
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*« Rapport de l'enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge », A. Duquesne et L.Willems, 28 avril 1997, doc. Chambre, n°313/7-96/96, partie 1, et n°313/8-95/96, partie II.
p. 281
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Pour mon interlocuteur, « manipuler est une chose simple et les dérives sectaires sont réelles, et elles seront de plus en plus nombreuses ». Le cas le plus connu est celui du Lama Kunzang Dorjé, alias Robert Spatz, disciple de Kangyour Rinpoché (ce qu'il affirme et qui est contesté par d'autres). Il est le fondateur des centres OKC (Ogyen Kunzang Choling): 1 en Belgique, 2 au Portugal, 1 en France, 1 en Polynésie Française. Son père, fortuné, a acheté le château de Castellane en 1974. Son fils y fonde Nyima Dzong, association loi 1901. Sur le site Internet du centre, on peut voir que l'attribution de la création du centre est remise à Kangyour Rinpoché. Le centre a reçu les visites de Dudjom Rinpoché, du XVIe Karmapa, Dilgo Khyentsé Rinpoché et Shechen Rabjam Rinpoché du monastère de Shechen au Népal. Le Dalaï-Lama y est venu enseigner en 1990. Les maîtres du CEC y enseignent de temps à autre. Ceci pour bien signifier qu'avant, pendant et après l'affaire des centres OKC, l'organisation bénéficie toujours de la considération et de la caution des autorités tibétaines. À Nyima Dzong, la vie communautaire est le fait de pionniers qui à l'époque étaient enthousiastes face aux projets de Lama Kunzang et ont, par la force des choses, commencé à vivre et à travailler ensemble sur un même lieu. Un autre centre avait été fondé au Portugal et en majorité, il semble que ces pionniers étaient d'origine portugaise. La vie communautaire a engendré la création de couples et des naissances (souvent effectuées sur le centre) ont eu lieu. Avec une volonté et un désir d'autogestion, les enfants ont été éduqués sur place. Il s'agit là d'une exception en France, l'éducation des enfants est assurée par la communauté, ainsi que tous les autres aspects de la vie sociale. La communauté subvient à ses besoins* dans un cadre magnifique de montagne, de fait, assez isolé. L'éducation des enfants est, selon les différents rapports, une réussite, et l'école a même été reconnue et agréée par l'éducation nationale française en tant qu'école privée*. L'organisation du Lama Kunzang mais aussi sa personne même, ont fait l'objet de critiques d'anciens adeptes et d'associations anti-sectes, ayant débouché sur une instruction judiciaire en 1997. En 1996, ce centre a été listé dans le rapport Guyard de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale contre les sectes148 comme « sectes à dangerosité présumée149 ». Lama Kunzang a fait l'objet d'une détention provisoire de six mois (sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui), après son arrestation du 30 mai 1997. Ce jour-là, plus de 150 gendarmes sont venus perquisitionner à Nyima Dzong alors qu'une opération de même envergure a été diligentée dans le centre de Bruxelles et les boutiques de l'organisation.
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*OKC dispose d'immeubles, de sociétés commerciales (notamment en Belgique) comme des boutiques de distribution alimentaire, restaurants et magasins ; la société Kubera qui s'occupe de comptabilité interne; la société Torma : rénovation et travaux de construction et une société immobilière appartenant à R. Spatz.
**Les attaques les plus vives à l'encontre des sectes se situent sur le terrain scolaire et l'exercice illégal de la médecine comme le précisent J. Baubérot et M. Milot, « La question des sectes », Dérégulation institutionnelle ou singularité française ? Mise en débat », Arch. de Sc. soc. des Rel., 2002, 118 (avril-juin) p. 29-44.
p. 279
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À plusieurs reprises, on me disait : « De toute façon, c'est un lama » sous-entendu, il sait ce qui est juste ou pas ; « Quand on est un lama comme lui » sous-entendu, des choses se font que nous ne pouvons pas comprendre. Plusieurs lamas de Dhagpo se montrent attachés à ce titre qui se confond avec leur personne. L'identification avec un idéal, l'attachement à la fonction d'un lama en incite certains à reprendre à leur compte les définitions traditionnelles d'un lama et à se les approprier par le simple fait qu'ils portent eux-mêmes ce titre. Par exemple, lorsque je demande à l'un d'entre eux comment il gère les projections de ses disciples, ce dernier me répond que ses projections ne trouvent aucun écho chez lui et qu'elles n'influencent « jamais le comportement du lama ». Son attachement à son rôle et à sa fonction de lama est tel qu'il en vient à nier les réalités auxquelles il est exposé régulièrement. Il procède ainsi à une négation de sa personne civile (qui n'existe que juridiquement), sa fonction devient prédominante, il veut être ce qu'il doit être. E. Goffman soulignait qu'un « acteur » peut parfois être pris à son propre jeu, c'est-à-dire qu'il peut être convaincu que l'impression de réalité qu'il produit est la réalité même. La fonction procède d'un abandon de la personne avant l'accès à celle-ci, une « deuxième naissance » en quelque sorte. En discutant avec un autre lama (moine), son identification avec la fonction incarnée d'un lama l'amenait à se positionner d'une manière supérieure par rapport à la vie des fidèles et des personnes dans le monde. Cette différence était ensuite relayée par ses proches disciples qui le mettaient dans une position d'autorité et de légitimité, arguant que « le lama est ce que nous avons de plus précieux ».
Ces « lamas de Dhagpo » sont considérés par Lama Jigmé Rinpoché comme étant toujours en formation, « sur la voie ».
« Ils partagent leur apprentissage, ce qu'ils ont reçu comme transmissions et ils sont sur le chemin. Ces lamas doivent faire attention, ils doivent suivre une certaine éthique, une certaine discipline, tout en étant dans l'activité. » (DKL, 2003)
Les lamas français ont un statut encore fragile et Lama Jigmé Rinpoché, qui les supervise, leur demande d'être attentifs et de respecter à la fois une discipline et une éthique …
p. 254
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Pour Guy, qui a fait deux retraites (la première lorsque Lama Guendune était encore en vie), la première a été bouleversante :
« Ce n'était pas du tout ce que j'avais imaginé, c'était très déstabilisant. Ça fait monter de plus en plus fort les peurs, ce qu'il fallait voir à l'intérieur et c'était terrifiant de voir tout ça et de ne pas avoir compris encore que c'était ça qu'il fallait voir. Les autres, la situation d'être dans un droupkang, il y avait vraiment beaucoup de jalousie, de désir et de colère. »
L'aspect social est également mis en avant ; pour Magalie, la retraite s'est bien passée et n'a pas été vécue de manière douloureuse car elle était avec une de ses meilleures amies. « Moi, en retraite, j'étais vraiment bien. J'ai eu la chance d'être avec une amie très chère. Donc, ça aide dans les moments difficiles car je n'étais jamais seule et en même temps, ça nous a desservis parce que nous n'étions jamais seules. On ne s'est pas retrouvé face à nous-mêmes et il y a des fois ou on aurait dû. » Elle ajoute que le fait d'être dans le groupe international à majorité allemande lui a énormément appris.
Ces longues retraites, fondées sur des pratiques formelles, individuelles et parfois collectives (rituels) ont des aspects sociaux et psychologiques marqués. Des personnes qui n'ont pas choisi de se retrouver ensemble partagent le même droupkang (centre de retraite) pendant plus de trois ans. Tensions, jalousies, colère et autres émotions nées de la promiscuité et de l'équilibre psychologique et relationnel de la personne sont inévitablement présentes. Les premières retraites des années 1980 et aussi celles qui suivirent ont connu des difficultés diverses concernant les retraitants et leur encadrement (pendant et après celles-ci) ; il m'a été rapporté des cas de dépression, des tentatives de suicide et des personnes ayant développé des pathologies de type psychotique ou schizophrène. Les préparations à la retraite n'existent pas toujours (chez les Nyingma, seule l'appréciation du maître prévaut) ou alors, les critères d'admission ne sont pas réellement définis pour qu'un retraitant soit considéré apte à entrer en retraite*. J'ai ainsi rencontré des retraitants (dans les lignées Kagyü et Nyingma) qui avaient fait un séjour à l'hôpital psychiatrique après une longue retraite, d'autres en thérapies parfois depuis de nombreuses années. Plusieurs bouddhistes Kagyü ayant des membres de leurs familles qui ont effectué une ou plusieurs retraites, mais également certaines personnes qui en ont fait l'expérience parlent de « psychothérapies de groupe » pour qualifier les retraites du Bost, notamment après la mort de Lama Guendune.
Plus largement, les retraites, parce qu'elles ont un coût économique, ont des conséquences sociales parfois importantes. Certains retraitants s'endettent pour pouvoir effectuer celle-ci et parfois, ce sont les familles ou les amis qui s'endettent ou qui prennent des mesures économiques particulières afin de subvenir aux besoins du retraitant. D'autres difficultés peuvent se poser quant au déroulement même de la retraite, comme la séparation des hommes et des femmes. Dans certains cas, lorsque la situation géographique le permettait, quelques hommes ou quelques femmes, notamment chez les Nyingma, « faisaient le mur » pour aller rejoindre leur ami(e). Comme me le rapportera un des responsables du CEC, alors que pour les premières retraites, les hommes et les femmes n'étaient pas séparés par une longue distance, les va-et-vient n'étaient pas rares. Désormais les hommes sont en retraite sur la Côte de Jör tandis que les femmes sont à quelques dizaines de kilomètres de là,...
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* Les dispositions mentales, affectives et intellectuelles des personnes qui entrent en retraite de longue durée ne sont pas toujours prises en compte. Des passe-droits sont aussi employés.
p. 250 et 251
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II. LES MAITRES EUROPEENS
La formation de maîtres dans les nouveaux pays d'accueil a été encouragée par des maîtres tels que Kalou Rinpoché et Guendune Rinpoché. En formant des lamas dans la population locale capable à leur tour de transmettre la doctrine et d'établir des centres, les écoles de ces maîtres sont vite devenues les plus importantes. Dans les autres écoles, tous n'ont pas le même avis quant à la formation de maîtres occidentaux. Certains s'y refusent et se montrent circonspects quant à cette possibilité. Notons également que tous les maîtres (nommés lamas, enseignants, vénérables, etc.) n'ont pas tous reçu de formation pour acquérir leur titre (certains ont pu se l'octroyer) et ce dernier ne correspond pas toujours à des standards traditionnels et désigne des compétences différentes selon les organisations.
p. 249
Lorsqu'on questionne les retraitants à propos de leur expérience, ce sont essentiellement le vécu quotidien avec un groupe défini de personnes et leur pratique personnelle effectuée seule dans leur chambre qui sont abordés. Ainsi, même s'ils font référence à telle ou telle pratique préliminaire en soulignant, par exemple, qu'elle permet aux émotions de faire surface et qu'elle entraîne un travail important sur soi, les expériences sont à chaque fois différente et engendrent diverses réactions. Pour Magalie, droupla ayant fait une retraite, ce n'est pas trois ans ou six ans de retraite qui change une personne. « Nous sommes les mêmes mais on assume plus ce que l'on est. On est soi-même, on se connaît mieux et du coup, il y a plus d'espace. On peut paraître moins émotionnel dans le sens où on va s'emporter moins facilement mais ce n'est pas qu'on a changé et qu'on est vraiment tolérant car ce n'est pas trois ans ou sept ans qui vont vraiment nous changer. »
p. 250
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2. Les tülkou occidentaux : enjeux pour la pérennité du Vajrayana
2.1. « Little Bouddha » : la réalité dépasse la fiction

Le premier tülkou né de parents occidentaux et, considéré comme la renaissance d'un lama tibétain important est espagnol, il s'agit de Ösel Hitta Torres, devenu Ösel Tenzin. C'est deux ans après le décès de Lama Yéshé, actif dans la diffusion du dharma en Occident, que son disciple, Lama Zopa, trouve sa réincarnation dans le fils d'un couple espagnol. Ce couple devenu disciple de Lama Yéshé en 1977 avait construit un centre de retraites au sud de Grenade en 1978, à qui le Dalaï-Lama donnera plus tard le nom « Ösel Ling » (Centre de la Claire Lumière), ayant reconnu formellement le jeune garçon. Celui-ci est né le 12 février 1985 à Bubion et, après avoir été soumis à des tests en mai 1986 auprès du Dalaï-Lama, il fut plus tard reconnu officiellement comme la réincarnation de Lama Thoubten Yéshé. La journaliste bouddhiste Vickie Mackenzie souligne que « depuis sa plus tendre enfance, dès que sa véritable identité a été révélée, il a fait face au public, à la presse, aux foules et aux disciples avec une grâce et un détachement de toute évidence naturels ». Le charisme supposé de l'enfant est mobilisé pour participer à la construction de sa sainteté, notamment par ses disciples, mais aussi par des sympathisants. Ösel Tenzin est entré à l'âge de six ans (en 1991) au monastère de Séra (Inde du Sud) pour y suivre l'éducation réservée aux tülkou. Sa formation, très chère, sera payée grâce aux dons de disciples.
Cependant, elle sera stoppée un temps car le jeune tülkou, âgé de huit ans, n'a plus supporté la vie au monastère et sa mère est venue le chercher pour le ramener en Espagne.* Il retournera parfaire son éducation en Asie à Kopan au Népal, pour ensuite revenir à Séra. Dans une interview à l'aube de ses seize ans, il souligne que le monastère est « le meilleur endroit au monde pour étudier le bouddhisme et tout a été fait pour me faciliter les études ». Pour lui, c'est une « renaissance tellement fortunée ! J'aurais eu beaucoup de remords si j'étais resté en Espagne [...] ». A la question, « que faites-vous pendant vos vacances ? », Ösel répond : « Je m'assieds et j'utilise mes mains pour jouer à l'ordinateur. Parfois, je joue au ballon, parfois je vais de haut en bas, dans la maison ». On apprend également que l'adolescent lit des livres en anglais (comme Le Seigneur des Anneaux, la saga de Tolkien) et parfois en tibétain, langue qu'il ne comprend pas véritablement mais qu'il préfère à l'anglais. Il insiste : « Mon esprit se passionne pour l'ensemble des études bouddhiques », on ne pourrait pas en attendre moins, pourrait-on dire, d'un tülkou destiné à prendre les rênes d'une organisation bouddhiste. En ce qui concerne les sciences, il avoue ne pas les aimer beaucoup, surtout la physique : « Oui, je déteste particulièrement la physique, je n'y comprends rien, c'est très difficile. Je pense que j'étudierai un peu plus la psychologie occidentale dans le futur, juste pour voir de quoi il en retourne ». Les paroles de l'adolescent peuvent apparaître à certains endroits comme immatures, voir puériles alors qu'elles sont à d'autres moments très convenues et normatives (par exemple, sur sa vie au monastère, « je n'imagine pas que ce puisse être mieux »). Mais, comme me dira un disciple de l'ancien Lama Thoubten Yéshé, plutôt dubitatif quant à la renaissance de son maître dans cet enfant espagnol : « S'il doit s'agir d'un pantin, c'est ridicule, mais s'il montre des aptitudes pour l'enseignement et qu'il sait mobiliser les gens à travers une éthique juste, alors peut-être que cela n'aura pas servi à rien, même si je ne reconnais pas mon maître à travers »
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* Selon des témoins, l'enfant était devenu très égocentrique et capricieux.
p. 239 et 240
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1.1. Les dons, générateurs de mérites
Dans les pays bouddhistes asiatiques, les dons à la communauté monastique (aux monastères en général) effectués par les laïcs sont considérés comme autant de signes de mérites et de karma positif, favorisant par là une bonne renaissance ultérieure*. En France, la majorité des centres sont laïcs ou mixtes, mis à part les monastères du Bost et de Laussedat (Auvergne) et le monastère de Nalanda (Guéloug, Lavaur). Dans les autres centres comme à Dashang Kagyu Ling, Karma Ling, Karma Migyur Ling, les résidents sont majoritairement laïcs, très peu (ou pas du tout) ont des vœux monastiques et portent la robe (cela peut arriver),
...
Les dons s'effectuent de ce fait, la plupart du temps de laïcs à laïcs, mais les résidents des centres ayant pris des vœux, même s'ils n'appartiennent pas à la communauté monastique peuvent être considérés comme des religieux qui ont mis leur vie au service du dharma. Ces derniers, notamment dans les centres Kagyü, font appel aux bienfaiteurs, appelés djinpas, contraction occidentale de sbyin bdag. Notons que ce terme semble être connoté beaucoup plus positivement que celui de bienfaiteur, qui rappelle trop une relation d'ordre économique. Maurice Godelier notait que le « don rapproche les protagonistes et les éloigne socialement parce qu'il fait de l'un l'obligé de l'autre ». Ici, l'obligé n'est pas celui que l'on croit et c'est toujours le disciple qui reste en position d'endetté par rapport au maître, ce dernier lui accordant l'enseignement du dharma.
Certains maîtres ont un réel souci d'expansion et s'investissent dans des projets aussi vastes financièrement que matériellement. D'autres ont des vues plus modestes mais n'en restent pas moins dépendants des dons. Il est incontestable que ces maîtres doivent s'assurer le soutien d'un maximum de personnes ressources au pouvoir financier important. Pour pouvoir recueillir les fonds nécessaires ou convoités, une rhétorique du don méritoire se met en place. On en trouve de nombreux exemples, notamment sur les sites internet, mais aussi dans les programmes, brochures et prospectus réalisés par les centres. Les maîtres ne sont généralement pas les auteurs directs de ce qu'on peut lire dans les communications des centres. Toutefois, il est rare qu'une communication soit faite sans leur approbation.
Les appels aux dons inscrits dans les diverses brochures d'un centre sont fréquemment suivis d'un extrait de la loi française concernant les déductions fiscales auxquels ils donnent droit. Certaines congrégations, habilitées à recevoir des legs n'oublient pas de mentionner que les personnes intéressées ont la possibilité de faire un testament et de léguer en partie ou totalement leurs biens à l'organisme en question. Divers centres proposent des « unités de dons », c'est-à-dire des formules se voulant originales comme le Norbou du Bost. Un Norbou, « joyau » en tibétain, coûte 25 euros et il est destiné aux divers projets de rénovation, création et entretien de la communauté. Lama T., l'abbé du monastère à l'époque, précise que « Le norbou, c'est une contribution très simple, un geste qui favorise l'éveil. Il soutiendra les personnes et les lieux où l'enseignement du Bouddha peut être préservé et transmis. Toute aide de votre part est la bienvenue. De votre générosité dépend l'avenir. Merci à tous ». Il peut ainsi s'agir d'appels pour soutenir des projets :
— Le « futur temple de la paix » de Vajradharaling Ling du Lama Gyurmé : « Toujours dans cette optique de construction, le futur Temple pour la paix attend vos dons. Il s'agit d'un projet qui appartient à celles et ceux pour qui la paix et l'harmonie sont une priorité. Aussi, nous vous convions à parler de cela autour de vous et d'en faire le projet de chacun. » Le message que l'on pourrait qualifier d'insidieux (qui est contre la paix et l'harmonie ?) trouve une certaine efficacité. Une plaquette d'« appel aux dons pour que s'élève le Temple de la Paix » renferme les informations pratiques pour participer financièrement au projet et rappelle que les dons sont éligibles aux déductions fiscales.
— Sur la plaquette de Dashang Kagyu Ling mais aussi sur leur site Internet, une demande de soutien est demandée pour « la continuité et le maintien du centre ». L'aide est comparée à un « engagement » et aussi à « une responsabilité » afin « que ce lieu, fondé par sa Sainteté Kalou Rinpoché et développé par les lamas qu'il a nommé, demeure stable spirituellement et matériellement ». Après avoir détaillé les procédures pour les legs, on trouve également un appel lancé depuis 1995 (l'activité financière du centre n'étant pas au beau fixe) par les lamas pour solliciter les bienfaiteurs.
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*Le transfert de mérite est largement institutionnalisé comme l'écrit B. Hours à propos des communautés bouddhistes du Sud-Est asiatique, « Pouvoirs et territoires bouddhistes », L'Homme, Année 1981, Volume 21. Numéro 3, p. 108. Voir aussi M.E. Spiro (1982: 410). L'anthropologue note que le moine est un champ de mérite et qu'il n'y a pas de village birman sans monastères.
p. 214 et 215
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Il affirme ; « l'entreprise religieuse est une entreprise à dimension économique qui ne peut s'avouer comme telle et qui fonctionne dans une sorte de dénégations permanente de sa dimension économique ». Nous pouvons d'une certaine manière comparer ce double discours, ce « double jeu structural » à la notion de double vérité (réalité) bouddhique48. Même si elles n'opèrent pas sur le même plan, l'une pratique et l'autre philosophique, elles se rejoignent dans leurs applications pratiques, c'est-à-dire qu'elles permettent à un même fait (prenons le centre bouddhiste comme entreprise religieuse) d'être perçu différemment : — soit comme un phénomène existant, il s'agit bien d'une entreprise économique qui est niée et euphémisée — soit comme une illusion, l'entreprise économique étant vide et illusoire.
Bourdieu attirait l'attention sur le caractère polysémique du discours religieux, observant que « les procédés discursifs du double sens et de l'euphémisme sont profondément caractéristiques du discours religieux dans son universalité »49. La polysémie permet effectivement une pluralité d'interprétations possibles et renvoie également au discours politique au contenu « faible ou répétitif - parce que la manière de dire est d'abord ce qui importe » comme l'écrit G. Balandier. « Le pouvoir des mots, reconnu et maîtrisé, engendre une rhétorique ; c'est-à-dire le recours à un lexique spécifique, à des formules et stéréotypes, à des règles et modes d'argumentation. Ces usages identifient un régime, car ils en sont partiellement constitutifs et contribuent à lui donner un style ». Certains centres sont des entreprises à part entière qui pour certaines, peuvent être comparées à des entreprises commerciales, avec leurs salariés, leurs prestations (enseignements, retraites, boutique, restauration et hébergement), leurs objectifs et obligations, leurs investissements, leurs crédits, etc. Dans certains centres, les enseignants sont rémunérés ou bien perçoivent ce qu'ils nomment une « indemnité vestiaire ». Pour répondre aux différentes activités impulsées par le maître, il faut trouver des financements en faisant appel à la générosité de chacun. Les sollicitations sont quasi-systématiques lors des enseignements de dignitaires ou de maîtres importants.
p. 213
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