Citations de Cédric Le Penven (35)
Non.Je refuse de me laisser contaminer par le venin de cet enfant blessé amoureux de sa blessure.
Grandir , c'est peut-être cesser de croire qu'une douleur nous ressemble plus qu ´un sourire .
Une blessure est un sol trop fertile.
on ne peut rien contre le goût du sol
une blessure n’est jamais aussi belle qu’à l’air libre
c’est toujours cette tentation, ce réflexe, d’ajouter des feuilles pour faire un peu d’ombre à nos certitudes
dans ce geste de cueillir, je trouve de quoi penser et mourir des heures entières
et puis toi…
et puis toi
si attentive
tu le vois lui
dans ce monde clos
de ton ventre
sais qu’il ne sait
pas jusqu’où
étirer ses bras
ses jambes
ni où porter son regard
qui n’a jamais vu
pour être bien sûr…
pour être bien sûr
qu’il est là avec nous
séparé simplement
par une paroi de peau
de muscles
qui laisse passer les voix
notre amour
C’est que ce geste…
C’est que ce geste
main posée
contre écorce
est devenu
main posée
sur le ventre
de ma femme enceinte
et que le trouble
est si grand
que la bouche pourrait
demeurer coite
Aujourd’hui j’ai décidé…
Aujourd’hui j’ai décidé que les masques
étaient mauvais goût je dirai à mes élèves
quittez l’école partez sur les chemins dans les rues
regardez les cathédrales de givre
fermez les livres ouvrez les fenêtres les portes
apprenez à rire quand le sol se dérobe
quand les questions s’installent confortablement
et rendent le jour inhabitable
Pour demain ramenez-moi deux sœurs
Colère et lucidité bras dessus dessous
j'attends depuis dix jours…
j'attends depuis dix jours que les greffes prennent
ces élastiques, ce mastic, ces greffons préparés avec soin
me semblent un bricolage ridicule ce matin
Prométhée et Sisyphe ont été punis pour moins que ça
je mérite cette étrangeté qui me poursuit depuis plusieurs
mois. Je vais dans des librairies, des classes, j'explique
que mon dernier livre m'a réconcilié avec moi-même
et les inflexions de cette voix arborant sa quiétude ne
me ressemblent pas
nos regards…
nos regards
vers cette toile
dénude
nous voilà
face à face
entre soi
et soi-même
mon ami invente un territoire
comme l’eau fraîche du matin
où le visage se trouve
Comment se fait-il…
Comment se fait-il les livres aussi nous abandonnent
je croyais que chaque page tournée
m’avait rapproché de la transparence des eaux d’hiver
dérivant des heures entières entre la bibliothèque
et le jardin, le dialogue entre les encres et la terre
lourde, amoureuse disent les paysans
aurait dû affiner mon palais, assurer une prise sûre
Je devrais savoir poser la paume
sur le front d’une enfant qui peine à s’endormir
Bouche cousue...
Bouche cousue. Par un frère sombre. La main plaquée contre
la bouche. (Au dedans les nœuds se resserrent, un cri dans la
gorge s’enlise. Amertume de la mémoire).
« manœuvre »…
« manœuvre »
Je tourne autour de ton nom
comme le chien qui s’apprête à mordre
je le déchire
il reste la main l’œuvre
écartelées dans un spasme
un effort comme musculaire
près du livre à construire
à sceller
Manœuvre
mortier gravas et bris de cœur
jonchent l’aire de ton souffle
J’entre dans le jour…
J’entre dans le jour comme dans un
bain de mer un lit défait les vergers en juin
huit heures d’absence dans les arbres
À cueillir des fruits bien au-delà de
ma faim à répéter des gestes
libres de ne pas comprendre
Je quitte le jour comme un
vêtement trop lourd tombe aux chevilles
la nudité vous dis-je
Poursuivre le leurre…
Poursuivre le leurre qui s’agite au bout de la conscience.
Le bras tendu de l’enfant qui cherche à saisir le pompon
et dont la main se referme sur une intuition de laine.
L’assurance d’être sur le point de. Bientôt, c’est sûr.
Au prochain tour.
J’ai entendu dire…
J’ai entendu dire que les dominicains portaient des chemises
de crin pour irriter leur torse et faire pénitence. Ils dorment
sur des plaies et espèrent qu’elles deviendront monnaie à
échanger pour gagner les territoires de la sagesse. Moi, la
nuit, j’enfonce des aiguilles à l’arrière de la gorge, pour que
la parole soit fille de pauvreté, et difficile.
Une voix parle en ma voix…
Une voix parle en ma voix
n’existe pas elle a
l’inflexion des voix chères
que j’ai tant lues
Thierry James ou Antonio
permettez que je vous appelle
par vos prénoms vous
dont je n’ai jamais serré la main
vous dont j’ai seulement
tenu les livres
permettez que ma voix
emprunte un peu votre voix
et de toute façon elle m’emprunte alors
excusez-moi ce n’est pas de ma faute
Je suis le veilleur…
Je suis le veilleur qui désespère du surgissement d’une forme
à la lisière du sommeil. J’entrevois parfois un de ces rôdeurs
de confins de royaumes qui glissent furtivement derrière les
noires murailles d’aubépines. Ils se livrent à quelque activité
secrète : lacets placés avec lenteur dans une coulée où la sau-
vagine envenime les nuits, grandes pierres plates posées en
équilibre qui viendront s’effondrer sur la panique d’un oiseau
chanteur, et puis l’espère juché sur un rocher que ponctue la
détonation de la carabine, la chaleur et la mollesse d’un ven-
tre remué de spasmes.
Pourquoi reste-t-il là…
Pourquoi reste-t-il là face à la mer ?
Rien ne viendra briser l’attente
il n’attend rien
Rien ne viendra fouiller son ventre
son ventre est creux
Alors ce geste
cette main passée le long du tronc
n’apaise aucune peur
Nous sommes seuls à savoir
(arbre mort, à Spetsès)