Citations de Cédric Le Penven (35)
et te voilà
à quelques mois d'être père
arpentant les heures et les territoires
recherchant les insectes, les oiseaux, les herbes
à nommer pour qu'il sache
que le monde entier réclame son nom
qu'il faut savoir distinguer l'orchidée bécasse
de l'orchidée abeille
que les méandres et les gorges couchent ensemble
pour que nous puissions dormir sur des berges
souples et attendre la touche
qu'il n'est pas de vert émeraude plus
beau intense que celui des tanches
que le mois d'avril vient d'aperire
et qu'il voie que les bourgeons
obéissent à leur étymologie
ce qui résiste
je cogne contre
cogne contre
cogne
contre ce qui résiste
le silence l'amour un regard
mais pas la peine
d'aller si loin
une main un jour d'hiver
ordinaire, pâle et sale
chemins boueux, herbe brunie
par le gel et les bruits de muqueuses
du sol sous nos pas
suffisent
être là
ce matin devant la fenêtre
l’œil nouant / dénouant l’entrelacement
d’une clôture à vaches
j’ai la conviction d’appartenir
à la moindre inflexion
un homme marche dans un verger…
un homme marche dans un verger
une source lente et brûlante gagne son visage
ses yeux s’emplissent de larmes, le vert des ramures se trouble
se mêle au bleu, à la fraîcheur de ce matin de mai
les chants d’oiseaux lui parviennent avec une telle acuité
qu’il recule de quelques pas pour se dérober aux mélodies
qui le percent
les artichauts poussent leurs têtes couronnées, le groseillier
ravit son fils chaque soir au retour de la crèche
quelques cerises même, avaient pu échapper au gel. Elles
se révèlent au regard et à la bouche grâce au rouge qui les
empourpre
ce bonheur trop soudain navre celui qui ne supporte plus son
propre regard
le rappelle à ces mois passés gorge obstruée, boule au ventre
cœur qui bave à la poupe
Ne penser qu’à la lumière
d’écrire
et vivre un chemin
dans les herbes
de n’être rien
sans l’oiseau
d’aimer
un peuple nu fait mine de dormir…
un peuple nu fait mine de dormir
dans le brouillard le faisceau d’une lampe de poche
cherche la chienne qui s’est enfuie
(elle poursuit le chat venu éventrer les poubelles cette nuit)
de loin, je dois ressembler à un phare embarqué sur un bateau
qui ne sait plus où est la côte, où est le large
dans quelques jours la nuit cessera, enfin, de gagner sur le jour
elle est si profonde ce matin que je ne crois plus en l’aube
c’est ainsi que l’hiver passe le mieux
l’atrabilaire s’exprime au-dessus d’un évier propre
Comment se fait-il…
Comment se fait-il les livres aussi nous abandonnent
je croyais que chaque page tournée
m’avait rapproché de la transparence des eaux d’hiver
dérivant des heures entières entre la bibliothèque
et le jardin, le dialogue entre les encres et la terre
lourde, amoureuse disent les paysans
aurait dû affiner mon palais, assurer une prise sûre
Je devrais savoir poser la paume
sur le front d’une enfant qui peine à s’endormir
le premier automne…
le premier automne, j’ai creusé trente trous pour planter les arbres de mon verger
après avoir décollé la couche d’herbe en la sarclant, je me saisis de la bêche et commence à retirer des mottes compactes. Je les arrache au sol et les rabats avec vitesse pour qu’elles se rompent, à côté du trou où elles retourneront lorsque j’aurai fini de les travailler et de les amender
l’essoufflement vient vite mais la colère perdure : elle se nourrit de cette profondeur qui s’offre au regard, de ces scarabées noirs et luisants interrompus dans leur songe qui accomplissent des gestes lents et inutiles, sans parler des larves grasses ni de cette molle ondulation qui les pousse en avant
tu constates qu’un lombric digère la terre qu’il traverse
toi, tu creuses jusqu’à ne plus pouvoir tenir debout
et tu n’épuises rien
j'attends depuis dix jours…
j'attends depuis dix jours que les greffes prennent
ces élastiques, ce mastic, ces greffons préparés avec soin
me semblent un bricolage ridicule ce matin
Prométhée et Sisyphe ont été punis pour moins que ça
je mérite cette étrangeté qui me poursuit depuis plusieurs
mois. Je vais dans des librairies, des classes, j'explique
que mon dernier livre m'a réconcilié avec moi-même
et les inflexions de cette voix arborant sa quiétude ne
me ressemblent pas
L’auge emplie de chaux
le chemin de planches
les pierres
rien ne m’écarte du soleil
ni le plein ni le vide
dans ce peu de fraîcheur que je trouve
de poser les seaux
de les remplir
Le Drap déplié
Je n’ai construit avec le feu
aucun abri
que d’être passé
que d’être seul
avec le bois ramassé
qui brûle
entre mes mains.
Le Drap déplié
Le jour dans ma paume
éclairée d’oiseaux
approfondie dans un couvent de branches
par le pain
l’aile en prière sur la bouche
de qui n’est plus rien
qu’un souffle
Je dois sur le madrier
me tenir
toucher le livre à vide
comme si ma main
en bas remontait
avec la corde
avec tout le poids
d’un mot
inaudible
J’entre dans le jour…
J’entre dans le jour comme dans un
bain de mer un lit défait les vergers en juin
huit heures d’absence dans les arbres
À cueillir des fruits bien au-delà de
ma faim à répéter des gestes
libres de ne pas comprendre
Je quitte le jour comme un
vêtement trop lourd tombe aux chevilles
la nudité vous dis-je
J’ai entendu dire…
J’ai entendu dire que les dominicains portaient des chemises
de crin pour irriter leur torse et faire pénitence. Ils dorment
sur des plaies et espèrent qu’elles deviendront monnaie à
échanger pour gagner les territoires de la sagesse. Moi, la
nuit, j’enfonce des aiguilles à l’arrière de la gorge, pour que
la parole soit fille de pauvreté, et difficile.
De chaque pierre
à tailler
j’extrais le mur
son aveuglement
à chaque pas
jusqu’au soir.
Le Drap déplié
J’écris dans cette chambre
comme si tu écoutais
ma main
un village
derrière le mur
c’est toujours cette tentation, ce réflexe, d’ajouter des feuilles pour faire un peu d’ombre à nos certitudes
dans ce geste de cueillir, je trouve de quoi penser et mourir des heures entières
Non.Je refuse de me laisser contaminer par le venin de cet enfant blessé amoureux de sa blessure.
Grandir , c'est peut-être cesser de croire qu'une douleur nous ressemble plus qu ´un sourire .
Une blessure est un sol trop fertile.