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Citations de Céline Bessière (34)


Est-ce que les professions libérales du droit que nous avons suivies dans ce chapitre cherchent consciemment à favoriser les hommes par rapport aux femmes ? La question de l'intentionnalité n'est sans doute pas la bonne. La comptabilité inversée est une logique de la pratique au sens de Pierre Bourdieu, c'est-à-dire un système incorporé de dispositions qui, sans l'organisation d'une intention, est néanmoins capable d'orienter les pratiques d'une façon qui est à la fois inconsciente et systématique". Des représentations genrées de l'ordre social sont charriées au travers de ces comptabilités, notamment autour de la définition d'un bon héritier ou d'un bon chef d'entreprise, d'une veuve raisonnable ou d'une bonne mère, des biens qui doivent être transmis dans a ignée ou qui peuvent être transférés à une conjointe. Les transferts économiques entre personnes apparentées sont empreints d'impensés sexistes, incorporés dans les manières même de compter des notaires et des avocat-es et, de ce fait, dissimulés et légitimes par le droit. Si les avocat-es et les notaires calculent de cette façon, c'est avant tout parce qu'ils cherchent le production d'un consensus dans les rapports familiaux.
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Non seulement le principe de l'héritage n'a pas disparu, mais il est redevenu central dans la dynamique des sociétés capitalistes contemporaines. Ce retour de l'héritage est aussi un retour de l'institution familiale comme acteur clé de l'économie, qui contribue à produire des inégalités socio- économiques fortes et à renforcer les frontières de classes, mais aussi de races.
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La subordination patronymique des femmes mariées et la transmission du nom de père en fils ne sont pas ou plus inscrites dans le droit et, pourtant, elles se maintiennent dans les pratiques. Ceci n'a rien d'anodin. Contrairement aux femmes, les hommes possèdent un bien symbolique – leur nom de famille - qu'ils peuvent transmettre à leurs enfants et imposer à leur conjointe, comme pour marquer leur place prépondérante dans les stratégies familiales de reproduction. A la génération suivante, les fils héritent d'un nom stable, transmissible - dans certaines sociétés paysannes, on les qualifie de ce fait de « sauve-race » -, alors que ni les mères ni les filles ne possèdent ce bien symbolique. Cette inégalité fondamentale, que le droit ne parvient pas à résorber, se retrouve dans les mécanismes d'appropriation et de transmission des biens matériels.
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Ce n'est pas seulement que les inégalités de genre se déclinent dans tous les milieux sociaux : les rapports sociaux de classes et la domination masculine sont indissociables, La reproduction de l'ordre du genre se joue dans les processus de conservation et de transmission des richesses au sein des différentes casses sociales. Réciproquement, la reproduction de l'ordre de classe repose sur des processus d'enrichissement des hommes et d'appauvrissement des femmes. A l'heure où les richesses familiales déterminent de plus en plus le statut social des individus, on ne peut pas combattre les inégalités entre hommes et femmes sans s'attaquer aux inégalités de classes, et on ne pourra abolir la société de classes sans renverser l'ordre du genre.
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Mais, si pauvreté et richesse naissent des rapports de production, comme nous l'a appris Marx, elles ne se constituent pas uniquement dans la sphère marchande : c'est aussi dans la famille, dans les rapports de production domestique, que se jouent I'accumulation et la transmission des richesses, et donc le maintien des frontières entre les classes sociales. Christine Delphy a bien montré comment, dans les années 1960, le patrimoine familial s'est accumulé et transmis grace à l'exploitation du travail gratuit des femmes, dont les droits sur ce patrimoine étaient extrêmement réduits: la hiérarchie sociale se reproduit aux dépens des femmes. Qu'en est-il aujourd'hui dans une société majoritairement salariée, dans laquelle les droits des époux et des épouses, et plus généralement des hommes et des femmes, se sont peu à peu égalisés ?
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Une nouvelle génération d'économistes, Thomas Piketty en tête, a remis sur le devant de la scène le patrimoine et l'héritage dans la compréhension des mécanismes inégalitaires du capitalisme contemporain. L'inégalité patrimoniale, dont tout le monde pensait qu'elle était vouée à se réduire avec l'essor de la société salariale au XXe siècle, est repartie à la hausse depuis trois décennies. En 2014, en France, les 10 % des individus les plus riches détiennent environ 55 % de la richesse nationale, tandis que la moitié de la population n'en détient que 5 %2.
Il existe deux façons différentes de se constituer un patrimoine : mettre de l'argent de côté ou hériter. Alors que, dans les années 1950-1960, I'héritage constituait moins de la moitié du patrimoine privé détenu par les individus en France, cette part n'a cessé d'augmenter pour redevenir majoritaire et représenter 60 % du patrimoine total en 2010. Certes, on est encore loin du niveau des années 1910 où les patrimoines hérités représentaient 80 % du patrimoine privé total, mais, si les tendances économiques et démographiques se poursuivent, la part de la richesse héritée devrait continuer à croître au cours du XXIe siècle.
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Si, avec Pierre Bourdieu, on entend par capital un ensemble de ressources accumulées dont on peut tirer des profits sociaux, le constat que dresse ce livre est alors le suivant : tandis que le travail féminin participe activement à la production et à la reproduction de la richesse des familles, le capital au XXIe siècle reste résolument masculin.
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b. Nous nous appuyons ici sur la définition de Thomas PIKETTY dans Le Capital au XXe siècle, op. cit., p. 82-89. Contrairement aux définitions marxistes classiques, Pikerty ne réserve pas la notion de capital aux éléments de patrimoine directement utilisés dans le processus de production ou dont les propriétaires attendent un rendement. Il inclut dans sa définition du capital les terres et les ressources naturelles sur lesquelles il est passible d'exercer un droit de proprieté. le parimoine comme réserve de valeur (par exemple, l'or) ou à usage de jouissance (par exemple, l'immobilier d'habitation). Sa définition du capital est donc un synonyme des définitions contemporaines de la science économique du parimoine et de la richese.
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Pourquoi les femmes sont-elles en première ligne pour affronter les problèmes d'argent dans les classes populaires, tandis qu'au fur et à mesure que l'on grimpe dans la hiérarchie sociale, le pouvoir économique est accaparé par les hommes ? Historiquement, des discriminations juridiques ont empéché les femmes d'accumuler de la richesse, partout dans le monde. Dans les sociétés occidentales, l'égalité en matière de droit du travail, de droit de la famille et de droit de propriété est une conquète des XIXe et XXe siècles qui paraît désormais acquise. Pourtant, en dépit de ce droit formellement égalitaire, les hommes continuent à accumuler davantage de richesses que les femmes.
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Chez les riches, a fortiori les ultra-riches, le capital reste une affaire d’hommes
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Dans les classes populaires, les problèmes d’argent sont des problèmes de femmes.
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Certes, en France, les professions indépendantes constituent une minorité, environ 12 % de la population active, mais ce statut ne concerne plus seulement les secteurs traditionnels de l’agriculture, de l’artisanat et du commerce. Tandis qu’au Xxè siècle le développement du salariat a réduit fortement le poids des héritages professionnels, cette tendance historique s’est récemment retournée, en France comme dans d’autres pays occidentaux. (…) Le chômage, la précarité du travail salarié, les discriminations à l’embauche de population stigmatisée conduisent les franges des classes populaires à se mettre à leur compte, y compris en occupant des emplois peu rémunérés, avec une faible couverture sociale. (p. 32)
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Ce livre montre que, dans tous les milieux sociaux, selon des modalités différentes, la mise en œuvre pratique du droit de la famille et de la propriété, formellement égalitaire légitime l'appauvrissement des femmes et l'enrichissement des hommes plutôt qu'elle ne les tempère. Nous contribuons ainsi à la littérature, relativement nouvelle en France, sur le genre du droit.
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Les femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes. Cette réussite leur a permis, dans certaines familles, de porter plus ou moins incidemment les espoirs d'ascension sociale de leurs parents. Mais cela n'a empêché ni l'augmentation des inégalités de richesse en leur défaveur ni leur maintien dans des positions professionnelles subalternes : alors qu'elles sont aujourd'hui majoritairement plus diplômées que leurs conjoints, elles gagnent toujours 42 % de moins et accèdent moins souvent à la position de cadre. Ce constat pose la question du genre du capital culturel : si les femmes disposent indéniablement de ressources culturelles et scolaires, parfois supérieures à celles des hommes, peuvent-elles les capitaliser de la même manière ?
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Notre ouvrage invite à revisiter et à redéployer le concept bourdieusien de stratégies familiales de reproduction depuis un point de vue féministe.
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Si Marx définissait les rapports de classes à partir de la propriété d'un capital productif opposée à la détention de la seule force de travail, les hiérarchies sociales et les rapports d'exploitation au XXe siècle dans les pays occidentaux ont été transformés par la généralisation de la condition salariale et découlent largement des certifications scolaires. C'est ainsi entre le travail et I'école que les sociologues ont examiné la construction des rapports sociaux de classes. Mais, en ce début de XXIe siècle, les différences de conditions de vie et de statut social sont de plus en plus liées à la transmission familiale d'un capital économique.
Le constat statistique est sans appel : dans le capitalisme contemporain, les inégalités de richesse s'accentuent. Des groupes sociaux s'approprient le capital économique et parviennent à le transmettre à leurs enfants, tandis que d'autres en sont durablement privés. S'intéresser à la place renouvelée du capital économique dans les mécanismes de reproduction nécessite une nouvelle approche, qui réinterroge les classes sociales à partir des rapports familiaux et des inégalités de genre.
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Légitimée par une modélisation économétrique simplificatrice qui désormais rend sa contestation difficile, la fixation des pensions alimentaires en France aujourd'hui relève, encore une fois, d'une comp tabilité inversée. Les textes de loi devraient inciter à discuter le coût global des enfants, puis dans un second temps une clé de répartition de ce coût entre les parents. En pratique, c'est le revenu disponible du père et lui seul qui détermine tous les calculs. L'apparente symétrie des dossiers versés par les deux parties au tribunal pères et mères doivent produire des justificatifs de leurs ressources et de leurs charges - vient masquer la hiérarchie des enjeux qui préside aux calculs de pension alimentaire. Au tribunal, la seule question qui importe est : combien le père peut-il payer ?
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Au moment d'une rupture conjugale, les mères de classes populaires sont enfermées durablement dans une posture de mendiantes : c'est à elles de faire les démarches auprès de la CAF pour toucher les prestations sociales auxquelles elles ont droit, c'est à elles de saisir le tribunal pour obtenir une décision d'impécuniosité de leur conjoint ou une pension alimentaire, c'est à elles encore de réclamer la revalorisation annuelle de ladite pension à leur ex-conjoint, ou de réclamer son simple paiement mois après mois.
Au contraire, les hommes ont la possibilité de se montrer généreux au cours de ces procédures judiciaires de séparation.
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Les mères séparées de classes populaires qui sont seules en charge de leurs enfants sont les principales victimes économiques des ruptures conjugales. A la suite d'Olivier Schwartz, nous définissons les classes populaires par leurs positions dominées dans la société, caractérisées par la subalternité dans le travail, une étroitesse des ressources économiques et un éloignement par rapport au capital culturel légitime. Les classes populaires recouvrent en fait des positions sociales très différentes, depuis des personnes sans emploi vivant des minima sociaux (comme Fatimata Diakité), jusqu'à des ouvrier-es et employé-es en fin de carrière ou des petits fonctionnaires (comme Moussa Dembélé) qui en représentent les fractions les plus stables et établies. Malgré ces différences importantes, dans les classes populaires, une séparation conjugale constitue toujours une épreuve biographique particulièrement déstabilisante sur le plan écono- mique. Cette épreuve accroît la pauvreté des personnes les plus démunies; elle a aussi pour conséquence de faire basculer dans la précarité des personnes qui jusque-là s'en sortaient matériellement. Cette fragilisation économique concerne surtout les femmes.
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La norme de l'indépendance financière féminine, très prégnante dans les classes moyennes et supérieures diplômées, et que nous retrouvons chez les juges, pèse principalement sur les femmes. Elles se sentent obligées de subvenir aux besoins financiers du ménage au même titre que leur conjoint, malgré des rémunérations inférieures et leur prise en charge des tâches domestiques. Elles supportent seules la conciliation entre carrière professionnelle et tâches domestiques, tout en mettant beaucoup moins d'argent de côté que leur partenaire. De façon paradoxale, cette norme de l'indépendance financière féminine contribue donc à l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes, qui n'éclate au grand jour qu'au moment des séparations conjugales. Mais cette norme pèse aussi de tout son poids sur la manière dont les femmes diplômées et actives des classes supérieures peuvent juger d'autres femmes qui n'accèdent pas à cette indépendance financière.
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