— Votre frère, Signora, vous aimait plus que les cieux. Vous êtes l'ombre de l'amitié que je lui portais.
Une amitié morte, assassinée au nom de leur rivalité amoureuse !
Le courage lui manqua pour le cracher. Elle n'opposa à Vettorio que son silence, aussi impénétrable que ceux d'Oriel ; Oriel des tours, Oriel des cieux, Oriel l'insaisissable. Vettorio ne pouvait la comprendre. Elle refusait d'admettre que son mépris la blessait, alors qu'elle l'avait adoré comme on adore l'horizon.
Elle lui renvoya son regard jusqu'à ce qu'il se lasse de son silence. Il ne le brisa pas : il se pencha juste en une dernière révérence.
Elle le laissa partir, hantée par les questions de Taddeo : si Vettorio devait tuer quelqu'un pour une femme...
... et sentit, malgré elle, qu'elle aurait voulu être cette femme.
... alors, dans un long frisson de proie qui prend conscience de la présence d’un prédateur, Francesca aperçut Harael.
L’ange était gris comme la pierre de son palais et semblait s’y fondre. Assis à l’angle de l’arche, il fixait la jeune femme avec des yeux entièrement argentés, irisés comme ceux d’un insecte regardé à la loupe. Ce regard inhumain ne contenait aucune émotion, pas plus que ce visage aussi lisse que de la porcelaine, aux traits parfaitement réguliers. Harael se leva dans une absence de bruit irréelle et glaçante.
Son visage restait un masque de Carnaval, fixe et stoïque, et cela ne faisait qu’accentuer l’effroi de ce qu’il exposait : les rouages intérieurs d’un esprit inférieur au sien, nu. Non, pas nu : ouvert comme avec la lame tranchante d’un scalpel, les entrailles brillantes des pensées les plus viles exposées à un œil aussi inquisiteur qu’indifférent.
Elle existait, au fond de ses couvertures ni éveillée ni endormie, dans un espace aussi trouble que son statut dans la société : celui de femme fertile non mariée, ni épouse ni mère, une femme de rien qui attendait de passer d’un homme à l’autre.