Citations de Charles Le Quintrec (36)
LE PARDON DES OISEAUX
Si c'est déjà la mort, dites-lui que j'arrive
Je n'ai jamais eu peur de mon dernier matin
Dans le fleuve du Temps qui flotte à la dérive
Je retrouve les litanies des dieux défunts
Et j'entre sans prier dans les de Profundis.
Les voussures du ciel abritent tant d'oiseaux
Tant d'astres vont mourir dans les bois de la biche
Que les cerfs et les daims fuient les forêts en friche
Et l'Ankou se prépare à faucher sur les eaux
Si je dois revenir un jour sur cette rive
Les arbres me suivront vers l'Ouest par troupeaux.
Je suis homme, je sais que la mort me devance
Avec sa robe de ténèbres sur le dos
Je n'ai que mes péchés pour lui prendre sa faulx
Pour la vaincre, il me reste une vaine violence
Laissez-moi, je voudrais retrouver mon enfance
Et demander pardon au peuple des oiseaux....
Enfant de l'Armor et l'Argoat - de la mer et du bois - et de tout ce qui reste de l'espace maritime qui vit les Vénètes affronter les légions de César et de tout ce qui subsiste du légendaire de la forêt de Brocéliande qui, jadis, recouvrait la totalité de la péninsule armoricaine, je reviens à mon pays avec le double désir de le reconnaître et d'en être compris.
Ici, toujours les hommes ont regardé vers le large.
De tout temps, ils ont fait des rêves de partances et de navigations fabuleuses.
Fuir, là-bas, fuir...
Il semble que la hantise mallarméenne provienne du fond des âges.
C'est là-bas que les palmiers sont bleus, que les oiseaux sont ivres, que les femmes sont sœurs.
Là-bas, l'or des eldorados ruisselle sempiternellement quand les chants se mélancolisent et que, d'elle même, la mort renonce à la plupart de ses mauvais coups...
(extrait du premier chapitre de l'édition de poche parue en 2000)
Éclos d’un ciel d’épiphanie
ou de l’extase d’une branche
l’oiseau
ce beau fruit
du silence.
[Gilles Baudry]
Partir
Ce tourment que le vent
Fait gronder dans mon sang
Ce désir de Partir
Et vers tant d’archipels
Et vers tant d’îles qui m’appellent...
Il y a des chansons magiques
Pour les départs des cantiques
Pour endormir au fil de l’eau
Celui qui s’en ira bientôt
Dans sa barque en sapin pleureuse d’eau bénite.
Il y a toutes ces musiques
Pour toi, pour moi mais partons vite
Le soleil a déjà creusé mon dernier soir
Pour mourir jeune, il est trop tard.
Mais pour mourir d’amour
Toutes les routes sont nouvelles
Chaque jour est le premier jour
L’heure qui sonne est la plus belle.
// Antony Lhéritier (1912 – 1993)
A l'école de la rue
J'ai rencontré Dagobert
Sa culotte décousue
Il la mettait à l'envers...
BALLADE
Retours
Me voici revenu d’inutiles voyages
Je ne sais plus, plus loin, quels soleils tropicaux
Ont brûlé mon regard et sculpté mon visage
Au roulis sans sommeil de quels obscurs cargos.
C’est loin, je ne sais plus où saigne ma tristesse
De quel port dans la nuit rôde le souvenir
Escale de misère, il pleuvait, où était-ce ?
Je ne sais plus. À l’aube, il fallait repartir.
Et puis ailleurs encore, après quelque bagarre
...
...
Quelle femme pleurait ? Je ne sais plus. C’est loin.
//Anthony Lhéritier (1912 – 1993)
Sur la place, face à l'église paroissiale, ils attendirent le car de Choiseux. A leur côté, des femmes, parapluies ouverts quoiqu'il ne plût pas, cherchèrent un abri sous le porche du sanctuaire et sous l'auvent d'une boulangerie. Des bigoudennes, très empennées, se mirent à craindre pour le fragile édifice de leur hennin.
Elle n'est plus au monde
On l'a chassée d'ici
Précise que la pluie
Fait moins triste sa tombe.
(Rêves)
Le Pays - Auguste Brizeux
Oh ! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis,
Le devant de la porte où l'on jouait jadis,
L'église où, tout enfant, et d'une voix légère,
Vous chantiez à la messe auprès de votre mère ;
Et la petite école où, traînant chaque pas,
Vous alliez le matin, oh! ne la quittez pas!
Car une fois perdu parmi ces capitales,
Ces immenses Paris, aux tourmentes fatales,
Repos, fraîche gaieté, tout s'en vient engloutir,
Et vous les maudissez sans pouvoir en sortir.
Marie.
1279 - [La Petite vermillon n° 301, p. 66-67]
La nature humaine nous est énigme et mystère : on peut en faire le tour, on n'y pénètre pas.
Corbeaux dans un paysage de neige
Les corbeaux sont les maîtres
Ils cinglent le rivage étourdi de la mort
d’un noir envol de larmes et de croassements.
Rivage blanc, plus blanc qu’un sentier interdit
qui mène à la ferme perdue
au chien féroce
Ô blanche liturgie de l’engourdissement !
Léthargie neutre de la ponctuation
en caprice et saccade.
Virgules qui découpent
les phrases parallèles
où s’inscrit la parole errante des charrois.
// Claude Vaillant (1924 – 2004)
MON PAYS
Mon pays m'est apparu
Comme un morceau de lumière
Des ronces et des fougères
Des orties sur les talus
Des fermes dans le purin
Des chevaux par les chemins
Des arbres jamais comptés
La cloche depuis l'église
Qui s'envole et se divise
En appelle à l'unité.
Mon pays m'est apparu
Dans sa gloire trinitaire
Des arpents d'orge solaire
La joie des feux d'écobue
Et là-bas sur l'océan
Des mouettes le plain-chant
Le langage des tempêtes
La rude montée du Raz
La roue des vieilles sagas
Pour la légende des siècles.
Mon pays de triste usance
Tout défait par le besoin
Travaillé par la légende
Taraudé par les embruns
Mon pays de hautes landes
Se lève sur l'océan
Je l'aime depuis l'enfance
D'un monde qui fut enfant
Nous jouions à l'insolence
Des arbres qui font des branches
Avec des rëves dedans.
Mon pays de primevères
De sèves et d'infinis
Recommence le pays
Qui s'avance dans la mer
Telle une barque légère
Repoussée par le courant
Il dérive, légendaire,
Par les Traverses du Temps,
Pays de mes vieux enfants
Ô pays de ma poussière !
1983
LE SONGE ET LE SANG
À Pierre Emmanuel.
Je voudrais vivre à l'envers
Parmi les herbes, les haies
Semblable à ce que j'étais
Avant de naître à la terre
Je ne verrais ni les faons
Ni les insectes qui font
Des fêtes dans les feuillages
Je serais comme l'enfant
Qui respire du dedans
L'homme de chair et de sang
Et la femme à son image.
Je voudrais vivre à l'envers
Dans un ciel de sauvegarde
Je dirais : voici la terre !
Je crierais : voici les arbres !
Et les oiseaux coutumiers
Par couples, jusqu'au couchant
Arracheraient à l'été
Des lambeaux de lumière, et
Chaque jour à volonté
Serait simple comme avant.
…
p.43
Livres sans joie, sans nécessité, sans excuse.
Il faut dénoncer ces inventions — certaines sont étonnantes — qui font semblant d'améliorer le sort de l'homme pour mieux compromettre son salut.
Pour aller plus avant…
Pour aller plus avant,
il faut s’enténébrer
d’orphidiennes racines ;
vivre avec la vipère :
sagesse de la pierre
où le soleil s’enferme ;
sagesse de la terre,
de la pluie et du vent.
Il faut se mélanger
aux crapauds des étangs
qui disent avec leurs flûtes
la glaise originelle,
la saveur de la nuit
comme un lait qui se caille
et fait un noir fromage
pour les brebis galeuses.
Et c’est un dur ciment
qui maçonne les trous
creusés par la lumière
dans les feuilles, les branches...
(Jour et nuit)
//Claude Vaillant (1924 – 2004)
La mer à Montparnasse est debout sur l’abime
Le froid fouille ton ombre entre deux policiers
Ton cri devient posthume entre l’aube et la mer
Tu racontais la mer à qui la méritait
La mer à Montparnasse est debout sur la pierre
Et se mêle aux mendiants dans les yeux des rochers
[Yann Quéfellec]
Nous avançons
dans l’espace bleu
pour l’amour d’une image
Un signe
que nous pourrions reconnaitre
de l’impossible voyage
Rien ne nous retient
au dos des arbres
Le ciel est toujours plus loin
Devant nous
les pierres ont des ailes
les feuilles sont des oiseaux vivants
Nous avançons dans ce bleu rêvé
pour mieux revenir ici
où croit le désir
à l’abri du rien
[Marilyse Leroux]
Alphabet fou
Des arbres de givre dans le soleil
Dans l'infini des sources de voyelles
Mais seules les consonnes nous délivrent
Alphabet fou de lumière ébloui
Dans le soleil l'espérance d'un cri
Le monde naît à la source du Livre.
Pays blanc
Pays blanc comme l'eau
Dans les jurons le jour
L'amour comme un berger rêve dans la rocaille
Tant de gibets
Le juste au vent de nuit s'éloigne
L'ogive des oiseaux et du silence autour
Dans les vitraux la rivière des cathédrales.
La joie régnait dans les ronces
Parmi les mûres
Dans les châteaux rallumaient d'étranges parousies
On attendait un dieu ‒ moitié d'ombre et d'azur ! ‒
Le feu se moquait des audaces du rebelle
La brise labourait des océans de nuit
On s'en allait vers le pays des vieilles pages
D'un livre de plein ciel qui jamais ne s'écrit.