Déjà, c’est un livre extrêmement bien pensé, intelligent et didactique. Articles scientifiques et universitaires se renvoient la balle avec des œuvres d’art commentées et des documents d’archives. D’une rigueur incroyable, le livre se déroule comme on lirait un roman. Les chapitres et articles s’enchaînent, courts, efficaces, exhaustifs, faciles à lire, avec un travail graphique très agréable pour l’œil et qui rend la lecture très facile et soutien merveilleusement le cheminement de pensée.
Le contenu ? Eh bien, il n’a rien de gai. Mais à nouveau, comme beaucoup de livres si lourds et si rudes, il est essentiel de retracer l’histoire des violences faites aux femmes et de voir leurs déclinaisons aujourd’hui à travers le monde. Ce sont de grandes chercheuses, universitaires, mais aussi des femmes de terrain, issues de tous les continents, qui ont construit ce livre toutes ensemble. Ce livre c’est une force, un travail de longue haleine. Difficile mais essentiel, les pages sentent l’odeur ferreuse du sang. De la préhistoire avec l’interprétation erronée que nous en avons longtemps eu, aux chasses aux sorcières de l’antiquité à nos jours, en passant par la colonisation ou les violences faites aux femmes queers…
Le livre tend tout de même à ménager des respirations : on trouve des œuvres d’art visuelles ou cinématographiques accompagnées d’une légère analyse, ou des extraits de monuments littéraires, qui illustrent les propos abordés au fil des chapitres.
Pêle-mêle (mais merveilleusement orchestré) on trouve : des biographies époustouflantes de femmes mauvaises, qui continuent à avoir mauvaises presses ou autour desquelles évoluent de sombres légendes. Comme certaines histoires de sorcières auxquelles les historiennes offrent une nouvelles voix. Je le disais également, on trouve aussi des œuvres d’art et leur courte analyse, tout comme des extraits littéraires, des articles de recherche bien sûr, mais aussi des décryptages de films, des chansons, des présentations d’actions et d’ONG à suivre. C’est un ouvrage plus que complet, plus que foisonnant qui n’a rien de gai mais hyper exhaustif. C’est ce genre de bouquin dont on aurait besoin sur tous les thèmes importants : il possède un traitement pluriel, laissant la voix aux universitaires, aux artistes, aux militants et personnes directement concernées, les voix s’unissent, et on a une vision globale et historique de ce grave sujet.
C’est également un livre qui est pensé pour le grand public malgré sa densité. On voit de nombreux articles, qui s’ils sont pointus, sont extrêmement bien adaptés et pas du tout embêtants. Par exemple, pour des féminicides dans la cour des rois de France : sujet nécessitant un gros retour historique et une solide culture, la forme de l’article est celle de questions-réponses, succinctes et efficaces et tout à fait accessible sans s’ennuyer !
J’ai été tout à fait heurtée par un article pittoresque nommée « une émancipation contrariée : la répression des femmes sous la révolution française » par Martial Poirson :
Qui s’intéresse un minimum au féminisme (et donc à l’égalité des genres) sait bien que les femmes n’ont pas attendu 68 pour ouvrir leur bouche et qu’il y avait déjà des écrits féministes au XVIIIe siècle même si le mot n’était pas tombé. Et donc que montre cet article ? C’est que lorsque les hommes ont besoin des femmes dans leur lutte (comme une révolution par exemple) bon, elles en sont. Mais qu’une fois que c’est fait, les feminicides se perpétuent pour procéder à une éviction des femmes dans l’espace public. Et le plus beau dans tout ça, c’est que 3 siècles plus tard, le procédé est toujours le même ! Bref, à chaque article j’avais un cheveux blanc supplémentaire je crois bien.
Comme beaucoup d’articles et récits relatés dans ce livre il est extrêmement dur à lire (la listes des viols, des meurtres violents et des tortures sordides ne faisant que s’allonger au grès de ces plus de 900 pages…) Entre la révolte et le dégoût, car comme le montre l’auteur qu’elles soient républicaines ou monarchistes ce sont les femmes qui ont été les grandes perdantes de l’Histoire quelques aient été leurs actes.
Sur une note (à peine) plus joyeuse, on peut aussi voir que ce livre est l’occasion de découvrir d’autres livres, des films et des artistes engagées grâce aux extraits et articles bien choisis : accessibles et agréables à lire. Tous s’enchaînent et s’emmêlent dans ce bel ouvrage, dans toute la pluralité des supports, à travers le monde et l’histoire. Par le biais de la littérature, de l’art, de la science, de la sociologie… Ça montre en effet à quel point on est entouré par cette violence, à quel point les Feminicides possèdent différents visages changeants mais toujours omniprésents, insaisissables dans leurs diversités. Trop nombreux et denses.
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