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Bibliographie de Christian Bonaud   (2)Voir plus

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Ceux-ci, les uns, sécularisés et occidentalisés, rejettent plus ou moins l’Islam, au moins en tant que mode de vie et code complet de lois ; quant aux autres, s’ils sont de pieux musulmans, ils n’envisagent trop souvent de l’Islam que l’interprétation exotérique de la sharî'a, rejettent tout ce qui touche à sa dimension intellectuelle et spirituelle. Et tous, ou presque, en arrivent à concevoir le tasawwuf comme se réduisant à certaines pratiques excen­triques ou à une institution figée. Les tariqa-s ne leur apparaissent que comme des organisations obscurantistes, sources de tous les maux de l’Islam ou de leur nation. Elles portent à leurs yeux la lourde responsabilité d’une décadence et d’un affaiblissement qui auraient favorisé la colonisation, colonisation qu’elles sont de plus accusées d’avoir appuyé de leur collaboration.

Il n’est pas question bien sûr de nier a priori la réalité de certains cas, encore faudrait-il alors examiner les motivations réelles dans le cadre complexe de chaque situation sans ramener tout à un manichéisme primaire. Mais on peut de manière globale infirmer cette image. ‘Abd el-Kader, soufi et combattant, suffirait à cela ; or il ne fut pas un cas isolé : réassumant une fonction qu’ils exercèrent déjà souvent par le passé — on a déjà parlé de l’importance prise par les zâwiya-s marocaines à la faveur de leur activité face au danger ibé­rique — les confréries soufis animèrent la résistance à Java contre les Hollandais, au Pendjab contre les Sikhs et les Britanniques, au Sinkiang contre les Chinois, en Asie centrale contre les Russes, enfin en Afrique du Nord et en Afrique noire — occidentale et orientale — contre les Français, les Britanniques et les Italiens. Et de nos jours encore, dans des pays comme l’URSS et l’Afghanistan, les tariqa-s continuent d’inspirer et de mener la résistance contre toute atteinte culturelle ou militaire à l’Islam.

Allons plus loin et disons que ceux pour qui l’Islam est un ennemi savaient bien — et savent encore — que le soufisme est le cœur qu’il faut toucher. Dans la conclusion d’une thèse en sciences politiques publiée à Alger en 1910 on peut lire : « Nos efforts devront tendre à attirer à nous les chefs influents qui nous sont hostiles. Essayons d’avoir raison de leurs préventions par l’appât de hautes situations... Jusqu’au jour où les Khouans (les affiliés), éclairés par la civilisation, briseront les liens d’esclavage qui les rivent à leur chef. Ce jour-là, l’Islam sera vaincu ». Auparavant déjà, A. Le Chatelier, dans son Islam au XIXe siècle (Paris, 1888), avait noté à propos de l’Afrique du Nord la vitalité des courants spirituels de l’Islam qui furent selon lui le principe religieux actif du XIXe s. Dix ans plus tard, un islamologue russe écrivait : « Étant donné l’immobilité des dogmes officiels de l’Islam, tous les mouvements intellectuels dans le monde musulman doivent revêtir le drapeau du soufisme. La renaissance de l’Islam ne peut se faire que sous son influence. Chaque nouvelle idée, chaque mouvement politique ou religieux, réactionnaire ou révolutionnaire, devra se couvrir du drapeau du soufisme » (pp. 88-90)
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Sayh Tigànî (m. 1230/1815) évoque l’épineuse question de l’amour de Dieu pour les infidèles, à l’occasion d’un commentaire du fameux Hadït qudsî

« J’étais un trésor inconnu ; j’aimai à être connu : j’ai donc créé des créatures, Je me suis fait connaître d’elles, et par Moi elles Me connurent »...

Il ne faut pas penser qu’une créature a été négligée (sous le rapport) de cette connaissance, car tous les Esprits (arwâh) ont été créés avec une parfaite connaissance de Dieu, puis l’ignorance est advenue du fait de leur union avec le corps... Ainsi, l’ignorance qui advint aux Esprits n’est pas en eux l’état originel (asl) : l’état originel n’est autre en eux que la connaissance de Dieu sous tous les aspects...

Sa parole « Je me suis fait connaître d’elles et par Moi elles Me connurent » signifie donc que les infidèles sont inclus dans cette connaissance, parce qu’ils n’ont pas ignoré Dieu en ce degré...

Les infidèles ne sont donc pas exclus de l’amour de Dieu — l’Amour universel toutefois, car ils n’ont pas part à l’amour particulier qui implique l’élévation et l’anoblissement. Ils sont inclus dans la nature tout-embrassante de l’Amour universel, et ils y retourneront en définitive, d’une manière qu’il n’est pas permis de mentionner et que seuls les plus grands comprennent. On laisse cela dissimulé sous son voile et on ne le mentionne pas aux exotéristes, du fait que leurs intelligences ne sauraient l’accepter. L’élite en a été instruite par effusion divine...

Abü Yazîd al-Bistâmî a dit que le jour ou la Réalité divine l’a reçu en la présence de Sa proximité, Elle lui a dit : « O mauvais serviteur ! Si Je faisais apparaître tes méfaits aux hommes, ils te lapideraient ! — Par Ta puissance ! répondit-il, si je communiquais aux hommes ce que Tu m’as dévoilé de Ta Miséricorde, pas un ne t’adorerait, se fondant sur cette Miséricorde ! — Ne le fais pas ! lui dit (Dieu). — Donc Toi, ne le fais pas ! rétorqua Abü Yazîd »...

En ce qui concerne les infidèles, pour qui le châtiment est impératif, ce n’est pour eux qu’un accident (arad), l’état originel étant la Miséricorde et l’Amour... A ce propos est révélée la parole de Dieu : « En vérité, Dieu est bienveil­lant et miséricordieux à l’égard des hommes » (Cor. 2 : 143 et 22 : 65) — ce qui comprend le croyant et l’infidèle parce qu’ils font partie des hommes — et « Nous avons certes ennobli les fils d’Adam... et Nous leur avons donné la préférence sur beaucoup de Nos créatures » (Cor. 17 : 70) — verset qui comprend également le croyant et l’infidèle...

C’est cela l’état originel, Amour et Miséricorde. L’ennoblissement que Dieu a mentionné dans le verset est l’état originel — ce qui est advenu ensuite, ce sont des accidents qui passeront, le retour se faisant vers l’état originel. (Gawâhir al-maanî, dictés à ‘Alî Harâzim, v. I., p. 146- 157, traduction inédite de l’auteur, pp. 86-88)
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Cette fonction d’harmonisation intérieure est particulière­ ment évidente lorsqu’il s’agit d’arts directement liés au rythme, comme la musique, la danse ou la poésie, mais elle n’est pas moindre dans les arts plastiques tels la calligraphie, la miniature et l’architecture où tout est affaire d’équilibre et de proportion. Tous ces arts ont été pratiqués par les soufis pour susciter un état propice à la réalisation. La musique fut particulièrement prisée dans les cercles spirituels des pays turcs, iraniens et indiens. La poésie, langue rythmée par excellence, a donné ses chefs-d’œuvre les plus célèbres en persan avec les odes, quatrains et épopées spirituelles de 'Attàr, RùmT, Hàfiz et tant d’autres. Elle a été brillamment illustrée en arabe par Ibn al-Fàrid et Ibn ‘Arabî. Mais elle a aussi été pratiquée en turc, en kurde, en ourdou, en malais, en peul et dans toutes les autres langues — ou presque — en usage dans le monde musulman.

L’architecture, la calligraphie, les métiers de la décoration architecturale, et bien d’autres métiers d’art et d’artisanat ont été liés au tasawwuf— et le sont parfois encore — par le biais de la futuwwa, la « chevalerie spirituelle » du métier. Dans cette spiritualité de l’action — qui concerna également les métiers d’armes, la chevalerie proprement dite — c’est la pratique même du métier qui sert de support et de méthode initiatiques. En effet, pour le chevalier spirituel, le symbolisme de l’art, le rituel du geste, l’ascèse du travail, visent à la réalisation d’une oeuvre qui doit être avant tout le chef-d’œuvre de la réalisation intérieure. On a ainsi dans ces initiations de métier quelque chose d’équivalent à ce que fut au Moyen-Age, et à ce qu’est encore dans une certaine mesure, le Compagnonnage et la Maçonnerie.

A travers ces initiations de métier et la pratique des arts, le soufisme a largement rayonné hors de son milieu propre, marquant de son empreinte toute une société dont il était, sans qu’elle en ait vraiment conscience, l’axe harmonisa­teur. (pp. 59-60)
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L’importance de cette représentation occidentale du sou­fisme pour la rencontre et la compréhension entre deux civilisations est assez évidente. Mais plus importante encore à ce propos nous apparaît « l’œuvre orientale » de certains Occidentaux, et les courants nés de leur influence.

Le premier d’entre eux, René Guénon, est effectivement parti d’Occident en Orient, mais c’est avant tout en raison du rattachement de son œuvre à l’Orient de l’Esprit que nous la qualifions d’orientale. Celui qui devint en Égypte le shayh ‘Abd al-Wâhid Yahyâ a, en effet, laissé une somme d’ésotérisme considérable, dans laquelle se retrouvent les plus importantes traditions spirituelles de l’humanité. Mais s’il s’exprime à travers les langues de diverses spiritualités, le seul chant qui résonne dans cette œuvre est bien celui d’un hymne à l’Unique, à cet Unique dont René Guénon fut un humble mais remarquable serviteur. Nous ne pouvons rendre compte ici d’une œuvre dont seuls quelques rares ouvrages abordent nommément l’Islam et le soufisme, mais dans laquelle l’esprit du tasawwuf souffle en permanence. Conten­tons-nous de dire qu’elle fut la source à laquelle vinrent s’abreuver nombre d’Occidentaux assoiffés de spiritualité et soucieux d’irriguer leur univers desséché : entre ceux qui choisirent l’Islam et le soufisme, et ceux qui prirent d’autres chemins, cette œuvre est alors restée comme un point d’aiguade, lieu de rencontre des civilisations traditionnelles. De cette source est né un large courant d’études traditionnel­ les dont nous pouvons citer, en ce qui concerne le soufisme, celles de Michel Valsân, Fritjof Schuon, Titus Burckhardt, Martin Lings,... ou encore Seyyed Hossein Nasr qui, s’il eut en tant qu’oriental un cheminement différent, s’inscrit dans la même lignée par sa démarche intellectuelle. (pp. 103-104)
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En son essence, certes, le soufisme, al-tasawwuf, est une voie spirituelle islamique, et plus précisément une voie ésotérique et initiatique. C’est une voie ésotérique parce qu’il s’ordonne autour d’une doctrine selon laquelle toute réalité comporte un aspect extérieur apparent — ou exotérique, zâhir — et un aspect intérieur caché — ou ésotérique, bâtin ; et le soufisme se présente lui-même comme l’aspect intérieur et ésotérique de l’Islam. C’est une voie initiatique parce que le disciple, après avoir reçu l’initiation, aspire à réaliser sous la conduite d’un Sayh, d’un Maître spirituel, des états de conscience toujours plus intérieurs, jusqu’à l’extinc­tion de sa propre conscience en Dieu.

Cependant, dans une tradition telle que l’Islam, qui se veut totalité et qui engage l’être dans tous ses aspects, la spiritualité ne signifiera pas — sauf exception — retraite vers le sacré, mais intégration du sacré dans tous les plans de l’existence. C’est ainsi que le soufisme sera riche de dimensions scientifiques et artistiques, et qu’il jouera, par ailleurs, sur la scène de l’histoire, un rôle social, économique et politique souvent fort important. En fait, qu’on soit historien des sciences ou de la littérature, sociologue ou philosophe, que l’on s’intéresse à la religion ou à la politique, quel que soit l’angle sous lequel on aborde la civilisation de l’Islam et son histoire, on ne peut manquer d’y rencontrer le soufisme tant celui-ci y est omniprésent, tel le fil du chapelet qui, tantôt visible, tantôt invisible, se trouve derrière chaque grain que l’on saisit. (pp. 11-12)
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