Citations de Claude-Jean Philippe (34)
Le père Jules, dit Michel Simon à propos de son personnage de L'Atalante, n'a rien contre la société. Il l'ignore. La vomir c'est quelque chose, l'ignorer c'est bien mieux : c'est l'indispensable condition de la sérénité....
Je comprend à présent comment certains films sont produits qui n'auraient jamais dû l'être. Ils n'appartiennent pas à des créateurs tourmentés par le risque, dans la mesure même où ils ne s'adressent pas à des spectateurs libres de leurs choix, mais à des diffuseurs qui les ont placés dans leur grille de programme avant même de les avoir vus.
Le gigantesque boa de la diffusion, emporté par son appétit, ne peut manquer d'atteindre et dévorer le coeur de la création...
La mise en scène de " La Grande Illusion " est organisée à chaque instant de manière à laisser éclore les singularités et à tisser entre elles tous les liens de relations possible.
Par sa mobilité, le regard de Renoir indique que ces relations seront changeantes, difficiles, risquées, surprenantes, mais par son attention continue, il dit aussi qu'il s'en voudrait beaucoup de rompre la belle coulée du temps vécu ensemble par les prisonniers.
Renoir finira par avouer : " il ne m'a pas été possible de prendre parti pour aucun de mes personnages."
Un seul acteur au monde pouvait procurer à " Boudu sauvé des eaux " la vigueur, la candeur et la hauteur mythologique indispensables ; Michel Simon, anarchiste élizabétain de premier rang.
J'ai encore dans l'oreille le son tranquille de sa voix lorsqu'il prononçait le serment : " J'ai voué une haine à la société qui s'éteindra avec moi ".
" Le Cirque " est l'évènement cinématographique de cet hiver 1928.
Au même moment, le docteur Louis Ferdinand Destouches met la dernière main à un comédie intitulée L'Eglise. Il a chargé Bardamu, son protagoniste, d'en résumer la philosophie : " La vérité de ce monde, hein, c'est la mort. La vie c'est une ivresse, un mensonge".
Je suis sûr que Chaplin, s'il l'avait entendue, aurait applaudi à cette réplique.
Chaplin m'a donné à jamais le goût de l'intensité
Renoir m'a appris à vivre
Tati, lui, m'a appris à voir...!
Certains figurants rassemblés sur le plateau de M le Maudit de Fritz Lang pour la scène du tribunal des bas-fonds étaient bien trop " criants de vérité " pour se contenter de leurs cachets d'acteurs de complément.
Au cours du tournage, une descente de police avait interrompu une séance de prise de vues et s'était avérée fructueuse : 26 arrestations.
Le survivant que je suis ne peut donc que saluer une fois de plus messieurs Renoir, Rossellini, Hawks, Pagnol, Lubitsch, Rouch, Rohmer, Jarmusch, qui auraient tous pu contresigner cette seconde affirmation de Bachelard :
" Pour l'instant, rendons-nous compte que toute connaissance de l'intimité des choses est immédiatement un poème ".
Il n'y a pas d'autre mot que le mot " besoin " pour exprimer ce que je ressens.
J'ai besoin désormais de Woody Allen comme j'ai toujours eu besoin de Renoir, de Trenet, de Tati, de Cocteau, de Marcel Aymé et d'Ernst Lubitsch.
Ils sont " les amis de ma joie ".
Ceux par qui le présent se transfigure en présences.
Les très grands comédiens d'autrefois, Laughton, Jouvet, Michel Simon, possédaient un sens de l'effet, inné sans nul doute, mais muri aussi considérablement, par des centaines de soirées passées sur les planches du théâtre.
La virtuosité de ces monstres, qui connaissent le poids et la portée exacte du moindre regard et du moindre silence, qui pouvaient en faire beaucoup, comme Jules Berry, Dalio, Robert Le Vigan, ou en faire le moins possible comme Gabin et Jouvet, en étant sûrs de nous atteindre et de nous captiver.
La Grande Illusion, Drôle de Drame, J'accuse, on dirait que les cinéastes français ont choisi leurs titres en fonction de l'actualité.
Si bien que Renoir, Carmé et Gance auraient pu adopter un titre qui aurait convenu à leurs trois films et qui aurait été : La grande dérision.
A propos du film " Do the Right Thing " de Spike Lee
" A la fin, écrit le critique de Libé, les pieds en dedans, les yeux au bitume, tout le monde se sent merdeux".
Ce garçon, visiblement ravi de ce dénouement qui le renvoie sans nul doute à un désir profond, a me semble-t-il, besoin de se sentir merdeux, et de nous apparaître comme tel.
Il faut le rassurer en lui disant qu'il y parvient sans peine.
Boudu s'ébrouant dans l'eau tiède de la Marne demeure mon maître à jamais.
Regardez les films de Truffaut. S'il grandissent sous nos yeux avec le temps, et si on les reprend continuellement un peu partout, c'est en bonne partie grâce à l'admiration dont ils sont pétris.
Admirations pour les auteurs qu'il veut servir en les adaptant ( Roché, Irish ), admiration pour les personnages ( le docteur Itard de l 'Enfant sauvage, Adèle Hugo), admiration pour les acteurs qui les incarnent ( Depardieu, Deneuve, Denner ).
Ce qui se passe avec les grands acteurs, dit Renoir, et par conséquent avec Michel Simon, c'est que ces grands acteurs vous dévoilent, mettent au jour des rêves que l'on avait eus, mais que l'on avait pas formulés.
Charlie Chaplin possédait une copie de La Chienne de Renoir.
Il la projetait parfois pour des amis en leur disant ;
" Je vais vous monter le plus grand acteur du monde. (Michel Simon)"
Le vieux monde capitaliste s'écroule.
Un monde nouveau commence. Il est temps; grand temps que nous nous en allions avec nos préjugés, nos polices, nos armées, nos chants et nos drapeaux. Essayons de tendre la main à ceux qui viennent après nous, dans l'espoir qu'ils ne la refuseront pas avec trop de dégoût.
" Qu'avez vous fait pour que nous soyons moins malheureux? nous demanderont-ils ?
Qu'avez vous fait pour préserver la paix ?" Hélas .
Julien Green Juin 1931
François Truffaut se classe avec une modestie sincère dans cette famille de réalisateurs pour qui le cinéma est un prolongement de la jeunesse, celle des enfants qu'on a envoyés s'amuser dans un coin, qui refont le monde avec des jouets et qui continuent ces jeux à l'age adulte à travers des films.
La gloire et la fortune de tous les comédiens burlesques passent par cette inévitable privation de dignité dont Chaplin fera, en la rendant visible _ dans son costume, ses manières _, le ressort principal de son art, en même temps que le centre de sa méditation.
A propos du film " La règle du jeu " de Jean Renoir
C'est un chef d'oeuvre qu'il faut revoir comme on réécoute une symphonie, comme on médite devant un tableau car on en perçoit mieux chaque fois les harmonies intérieures
André Bazin.
Le maître des maîtres, l'auteur des auteurs reste pour moi Charlie Chaplin...
Paradoxalement, on peut dire qu'il n'a fait qu'un seul film et que chaque facette de ce film unique n'est qu'un acte différent de la même profession de foi.
Une heure de conversation avec son ombre sur l'écran, et me voilà plein d'enthousiasme, plein de foi dans les destins du cinéma.
Jean Renoir