Soirée à la Fondation Vian - le Livre de Poche
Dans le prolongement de l?anniversaire du cinquantenaire de la disparition de Boris Vian, le Livre de Poche publie "Mademoiselle Bonsoir" et "La Reine des garces", deux pièces jamais montée, jamais jouées, jamais publiées. C?est sous l?impulsion d?Ursula Vian Kübler, la veuve de Boris Vian, et de ses proches collaborateurs, Nicole Bertolt et Monsieur d?Déé, que la réunion des différentes versions de ces textes a pu aboutir à leur parution. En attendant, un jour, la mise en scène de ces deux textes, Nicole Bertolt a confié la création de leurs chansons à Alain Goraguer et Claude Lemesle, dont les premiers travaux ont été présentés le 10 novembre 2009, lors d?une soirée dédiée à "Mademoiselle Bonsoir "et "La Reine des garces", où furent également présentés les manuscrits de Boris Vian.
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La chanson est une drôle d'alchimie et son succès reste un mystère." L'été indien" en est un bon exemple. Je ne sais par quelle magie le charme opère depuis maintenant plus de trente ans. mais force est de le constater. C'est sans doute qu'il y a une harmonie très naturelle entre les mots, la musique et l'interprétation. Et pourtant, ce qui semble être un mariage très simplement réussi est en réalité, si je me rappelle bien la genèse de la chanson, le fruit d'un travail où l’expérience des deux auteurs a tenu une place importante
Je somnole au fond de l'Airbus. Un instant de quiétude au dessus des nuages. Les moteurs ronronnent déjà plus doucement. Nous descendons vers Calvi. dans ma mallette, mon cahier, compagnon permanent, et mon dictionnaire de rimes, plus intermittent mais parfois utile. Les hôtesses ont ramassé les verres en plastique et les sachets d'amuse-gueule. Au loin apparaissent le liseré bleu de la côte et le chapeau blanc des montagnes.
Dans une heure, je m'installerai devant une montagne bien plus blanche encore, une page que j'essaierai de gravir avec des mots, des idées, des ratures, doute après doute, rime après rime, avec un Bic ordinaire et le souci de ne pas l'être trop.J e suis parti en Corse pour travailler. Je suis auteur de chansons. Plume de stars...
Michel Fugain m'attend à l'aéroport. Après une accolade chaleureuse, son 4 x 4 démarre vers l'Ile -Rousse. Nous sommes heureux de nous revoir. Trente-cinq années d'amitié ont tissé entre nous des liens fraternels et solides. On plaisante, on échange, on savoure les retrouvailles... Une longue collaboration dans le monde souvent si décrié du show-business ne va jamais sans une profonde intelligence des cœurs.
Nous arrivons chez lui. La méditerranée a mis son bleu d'accueil. Je m'installe et le rejoins rapidement - car j'ai hâte comme lui, d'écrire - dans ce salon où nous attend l'ordinateur à qui il a confié ses musiques.
On commence à écouter...Une mélodie superbe. J'ai la chair de poule. Et Michel me regarde avec des yeux remplis d'enfance :
- Claude, me dit-il, tu te rends compte ? Nous aurons vécu toute notre vie avec des chansons !
Je ne réponds pas. J'y songe. Il a raison, Michel... Quelle chance improbable, inouïe... C'est vrai qu'il n'est pas un matin où je ne remercie la providence du privilège qu'elle nous a offert, à lui, à moi comme à quelques autres : vivre toute sa vie avec des chansons !
Tout s'apprend, tout se cultive, y compris la chanson.
Pourquoi, d'ailleurs, la chanson serait-elle le seul art où rien ne s'apprend, où règne la génération spontanée, le génie absolu, le hasard majuscule ?... Je me souviens de Brassens me montrant son bureau, sa table de travail, rue Santos Dumont, et me murmurant, modeste et douloureux : "Tu sais, Claude, personne ne peut savoir à quel point c'est difficile et de plus en plus !..." Comme il suait, Georges, sur son établi de mots, comme il nous rendait fiers, nous ses jeunes confrères, du travail qu'à notre tour, artisans besogneux et passionnés, nous allions devoir accomplir dan son sillage.
Préface
Le mien, de père, il était menuisier. Il sifflait dans le sellier, cils, soucils et cheveux couverts de sciure, au milieu des odeurs de colle, entre les gouges, les râpes, les rabots, les équerres, le crayon sur l'oreille. Et ça tournait le bois ! Et ça tournait la musique ! En bref, ça chantournait. C'est pourquoi j'écris avec humilité et un fort sentiment d'honneur ces quelques mots pour l'ami Lemesle.
J'ai eu vite le sentiment de recoller à la patte paternelle en me frottant aux mots, et naturellement, les chansons devinrent de ces objets aboutis à force de tenons, de mortaises, de colle, de clous-bijoux et de ponçage. Limes... rimes..., papiers de verre... papiers de vers... Ce travail, il faut l'accomplir pour en effacer toutes traces ! Comme si la chaise était l'enfant de l'arbre, et la chanson, celle de l'air du temps.
Cher maître menuisier, continue, crayon à la bouche ,de te couvrir de la poussière dorée des choses, laisse-nous sur ton établi, ce qui te chante. Je t'admire et tenais à le dire. Ah le joli métier !
Toute mon affection
Allain Leprest
Et maintenant, que vais-je faire ?