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Citation de AlienorAntonia


Dans un autre éditorial, celui du 6 mars 1953, il [Fanon] rappelle que l'homme doit pouvoir voyager dans le temps, assumer la continuité du passé, du présent et du futur, avoir de la mémoire en somme et l'espoir d'un avenir. Celui qui ne réussit pas à manier les trois dimensions sera sans nul doute plus vulnérable qu'un autre en matière de santé psychique. Je préfère pour ma part parler des trois dimensions du temps, que sont le chronos, l'aiôn et le kairos, qui me paraissent plus précises concernant la dialectique du temps et du sujet, à savoir comment un sujet met en danger son individuation, et donc l'entreprise de désaliénation ou de décolonisation de son être, s'il n'est plus à même de pratiquer les trois dimensions temporelles qui lui permettent de s'insérer dans le monde, la mémoire et l'oeuvre. Un sujet, s'il ne manie pas les trois dimensions, peut se sentir "restreint" dans sa capacité d'être sujet, et donc en souffrance. La menace du ressentiment peut se jouer dans la faillite d'un temps dialectisé : le chronos, c'est le linéaire, l'histoire, la continuité, ce qui me précède et me suit, la possibilité de voir une capitalisation, une pierre après l'autre. Cette inscription dans le temps est nécessaire mais, exclusive, elle enferme dans un sentiment d'écrasement par le temps, car le temps passe, file, est plus fort que soi. Alors, il faut l'aiôn, ou le sentiment de suspens et d'éternité - un peu de temps à l'état pur, comme le souligne Proust. Un aiôn qui est l'autre nom possible de la sublimation, la stance, l'arrêt au sens de la maîtrise et de la plénitude et non au sens de l'empêchement. Là, le sujet tient, respire, profite d'un présent inaltérable, et qui lui donne le sentiment de dépasser sa finitude ou celle d'autrui. Et puis, il y a le kairos, l'instant à saisir, la possibilité, voire le droit pour chacun de faire commencement, de faire histoire : l'action du sujet provoquant un avant et un après, si peu différenciés soient-ils. Tenter le kairos, comme un droit et un devoir du sujet. Dès que le sujet renonce à tenter le kairos, quelque chose s'obscurcit en lui. Nous l'avons vu, l'homme du ressentiment est précisément cet homme qui ne se relie plus à ces trois dimensions : son présent est jugé inacceptable, preuve de l'injustice qu'il subit ; son avenir devient inexistant et souvent son passé renvoie à une illusoire nostalgie, très fantasmatique, qui n'a rien à voir avec l'idée de mémoire, plus factuelle, qui, même si elle est toujours un récit, n'en demeure pas moins un vécu, susceptible de constituer une assise, un socle pour le sujet.
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