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Citation de Lutvic


Lutvic
19 septembre 2021
En appuyant bien sa tête contre le sol, au moment propice, un homme doté d'une ouïe de chien pourrait entendre une faible rumeur, à peine audible, comme lorsque l'on transvase de l'eau d'un récipient dans un autre ou comme le sable qui glisse dans le sablier – c'est ce qu'il pourrait entendre, c'est ce qu'on entend lorsqu'on appuie bien sa tête contre terre, l'oreille collée au sol, et que les pensées s'enfoncent dans la profondeur de la terre, pénétrant les couches géologiques, jusqu'au mésozoïque, jusqu'au paléozoïque, pénétrant les couches de sable et d'argile épaisse, lorsque les pensées s'enfoncent comme les racines d'un arbre géant, dans les couches de limon et de roche, les couches de quartz et de gypse, les couches de coquillages vides et de coquilles d'escargots, les couches tourbeuses d'écailles et d'arêtes de poissons, de carcasses de tortues et d'étoiles de mer, et d'hippocampes et de monstres marins, les couches d'ambre et de sable fin, les couches d'herbes marines et d'humus, la masse épaisse des algues et des coquillages nacrés, les couches de calcaire, des couches de charbon, les couches de sel et de lignite, d'étain et de cuivre, les couches de squelettes humains et animaux, les couches de crânes et d'omoplates, les couches d'argent et d'or, de zinc et de pyrite ; car là quelque part, à quelques centaines de mètres de profondeur, gît le cadavre de la mer Pannonienne, pas tout à fait morte encore, seulement étouffée, écrasée par les nouvelles couches de terre et de pierre, de sable, de glaise et de fange, de cadavres animaux et de cadavres humains, de cadavres humains et de cadavres d’œuvres humaines, seulement coincée, car, tiens, elle respire encore, depuis plusieurs millénaires, par les tiges de blés ondoyants, par les roseaux des marais, par les racines de pomme de terre, pas tout à fait morte encore, mais seulement écrasée par les couches du mésozoïque et du paléozoïque, car, tiens, elle respire depuis quelques heures, quelques minutes (à l'échelle du temps de la Terre), elle respire avec peine comme un asthmatique, comme un mineur coincé sous les poutres et les étais, et les blocs lourds de charbon gras ; lorsque l'homme appuie bien sa tête contre le sol, lorsqu'il colle son oreille à la glaise humide, surtout au sortir de nuits calmes comme celle-ci, il peut entendre son halètement, le râle de son agonie interminable (pp. 35-6, « Carnets d'un fou (I) »).
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