Des années plus tard à Nuremberg, alors que Goering attendait la fin dans sa cellule, il lui est arrivé de philosopher sur les petits riens du destin qui déterminent la vie des hommes. En 1919, alors qu'il allait être initié franc-maçon, et qu'il se rendait à la cérémonie, il avait quitté l'arrêt d'autobus pour suivre une blonde pulpeuse qui avait croisé son chemin. S'il était devenu franc-maçon, il n'aurait jamais été accepté dans le parti de Hitler. S'il n'y avait pas eu cette blonde, s'est-il souvent dit en 1945, il ne se serait pas retrouvé en prison à Nuremberg...
Le 13 février 1946, l'ancien commandant en chef des Forces de bombardement de la R.A.F. quitta le port de Southampton pour la première étape de son voyage ; cette nuit-là, à travers l'Allemagne centrale et l'Allemagne de l’ouest, les cloches des églises se mirent à sonner. Pendant vingt minutes ces cloches sonnèrent à travers un territoire maintenant occupé par une force aussi impitoyable que l'avait été celle que les bombardiers de la R.A.F. avait eu pour mission de détruire. C'était le premier anniversaire du plus grand massacre de l’histoire d'Europe, massacre accompli dans intention de mettre à genoux un peuple qui, corrompu par le nazisme avait commis contre l’humanité les plus grands crimes de l’Histoire.
Il tendit soudain le bras vers le Dr Gilbert pour montrer fièrement que ses mains ne tremblaient plus. Et il lui confia qu'il avait établi les grandes lignes de la contre-attaque qu'il voulait porter. Comme s'il pensait tout haut, il dit que pour lui, l'être humain était le plus grand prédateur de la nature, et il en conclut que les guerres entre les hommes étaient inévitables. Gilbert, malgré sa haine de celui qu'il trompait, a avoué qu'il eut alors l'impression que la musique wagnérienne du Crépuscule des Dieux résonnaient à travers toutes les fibres nerveuses du cerveau de ce prisonnier et inspiraient ses paroles. Mais, plus vraisemblablement, l'esprit de Goering entrevoyait déjà le moment où la proie qu'il était se libérerait de sa cage terrestre.
Le printemps arriva. Hans Thomsen, le nouvel ambassadeur nazi en Suède, vint rendre visite à Goering. Il trouva la maréchal du Reich vêtu d'un pourpoint de cuir avec des manches bouffantes en soie. Après avoir fait avec l'ambassadeur le tour en auto de son immense domaine, Goering se changea pour le dîner: il reparut vêtu d'un kimono impressionnant en soie violette. Une broche constellée de diamants ornait son poitrail et une ceinture parsemée de pierres précieuses ornait son abdomen proéminent.
A peu près à la même époque Goering avoua à Ernst von Weizsäcker, le secrétaire d'Etat de Ribbentrop, que l'avenir le préoccupait: " Je ne vois pas très bien comment nous allons arriver à terminer cette guerre..."dit-il en soupirant.
Il est certain que Goering méprisait les Italiens depuis déjà 1924 et, désormais, il laissa libre cours à son dédain:
"Vous n'avez pas idée, devait-il dire au général américain Carl F. Spaatz le 10 mai 1945, de ce que nous avons subi en Italie. S'ils avaient été nos ennemis, et non nos alliés, nous aurions pu gagner la guerre."
Puis, suivi à quelques centaines de mètres d'un autocar de policiers, il fit le tour des antiquaires et des marchés aux puces de Paris. Ce fut un spectacle insolite qu'offrit ainsi à la population parisienne le soldat le plus haut en grade de toutes les armées européennes, trafiquant "avec les plus obscurs marchands d'art collaborateurs, avec des juristes à la réputation douteuse, des brocanteurs à la sauvette et des experts", toute une faune qu'un rapport de 1945 devait décrire comme étant "la racaille du marché de l'art international".
Pendant toute la guerre, la popularité de Goering en Allemagne demeura quasiment intacte. Même lorsqu'il se rendait sur les lieux dévastés par les bombardements., il était acclamé par la foule. En octobre 1943, au cours d'une visite de la Ruhr, il s'exclamera : "Je me serais plutôt attendu à ce qu'ils me jettent des oeufs pourris".
Toutefois, le Foreign Office n'écartait pas complétement l'éventualité de traiter avec lui, à tel point qu'il interdit la publication d'un tract destiné au peuple allemand et qui ridiculisait Goering en évoquant ses problèmes avec la drogue et sa corpulence, faisant de lui un personnage "impulsif, vain, jovial et brutal".
Nous ne gaspillons ni bombes ni temps pour de pures tactiques de terreur.Il est indigne de cet honorable membre de suggérer qu'il y a des commandants de l'Air,des pilotes ou des gens quelconques qui s'assoient dans une pièce et essaient de calculer combien de femmes et d'enfants allemands ils pourront tuer.
Le maréchal du Reich le vit revenir à Carinhall, le visage défait, avec la nouvelle effrayante qu'on avait déjà recensé à Dresde 51.000 morts. En réalité, le massacre de cette seule nuit avait fait plus de 100.000 morts. Tandis que l'armée commençait à brûler les cadavres à raison de cinq cents par bûcher, Hitler jura qu'ils seraient vengés. Ses savants avaient mis au point de nouveaux gaz, le tarin et le sabun, capables de pénétrer tous les modèles de masques existants. Jusqu'alors, il avait interdit leur usage qui eût constitué une violation de plus de la Convention de Genève. Il se demanda alors s'il n'était pas temps d'utiliser toutes les armes disponibles. Goebbels donna son accord, mais Goering, Ribbentrop et Dönitz s'y opposèrent.