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Critiques de David W. Harvey (13)
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Géographie de la domination

Si l’histoire du capitalisme est étudiée et connue, sa géographie est plus rarement abordée. L’anthropologue américain David Harvey s’intéresse à son pouvoir de détruire et de construire, de reconfigurer les villes, de changer notre rapport au temps et à l’espace. Il souligne la nécessité d’encourager la production de « singularité culturelle locale » et les contradictions que celle-ci entraîne.

(...)

Petit cours de marxisme, complété par la dimension spatiale et géographique écartée par Marx. C’est très technique mais ravira les amateurs de théories économiques.



Article complet sur le blog de la Bibliothèque Fahrenheit 451 :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Géographie de la domination

Encore un livre lu par obligation.



Malgré quelques passages un peu ennuyeux (le capitalisme n'étant pas un de mes sujets de prédilection) je l'ai tout de même trouvé intéressant. Il y a des passages qui méritent vraiment le coup d'oeil pour prendre conscience, encore un peu plus, du monde qui nous entoure.

Ce que j'ai surtout apprécié dans ce livre, c'est le fait d'avoir compris une grande majorité de ce que l'auteur essayé d'expliquer. C'est une lecture plutôt accessible, même pour ceux n'ayant jamais fait de géographie sociale ou alors qui n'y comprennent pas grand chose. Ce qui est un sacré atout !

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Villes rebelles: Du droit à la ville à la révolut..

Les failles du système « qui laissent entrer la lumière »

Ce recueil de textes montre la diversité des analyses de David Harvey autour de la ville, la géographie et le capitalisme, son attention particulière aux mouvements de résistance ou de réappropriation du tissu urbain.



L’auteur revient sur les travaux d’Henri Lefebvre, le « droit à la ville », le clivage urbain-rural, l’urbanisation chaotique, la production et la reproduction de la vie urbaine, le rôle des places centrales dans des mobilisations, les « multiples pratiques regorgeant elles-mêmes de possibilités alternatives ».



Sommaire :

Préface : La vision d’Henri Lefebvre

Première partie : Le droit à la ville

Chapitre 1 : Le droit à la ville

Chapitre 2 : Les racines urbaines des crises capitalistes

Chapitre 3 : La création du commun urbain

Chapitre 4 : L’art de la rente

Deuxième partie : Villes rebelles

Chapitre 5 : Reconquérir la ville au profit de la lutte anticapitaliste

Chapitre 6 : Londres 2011 : Le capitalisme sauvage descend dans la rue

Chapitre 7 : #OWS : Le Parti de Wall Street face à son ennemi juré



Je n’aborde que certains thèmes traités.



David Harvey souligne que l’étude des processus d’urbanisation dit quelque chose sur les déploiements du capital. L’auteur parle du rôle des dépenses d’infrastructure, de structuration de la ville, de l’absorption des capitaux, « excédentaires ». Suburbanisation, pavillon de banlieue, équipements ménagers, automobiles, consommation de pétrole, endettement, « la suburbanisation des Etats-Unis n’a pas été une simple affaire d’infrastructures nouvelles ». Il analyse le marché immobilier, sa mondialisation, le rôle des institutions municipales dans la concurrence entre villes, le changement d’échelle des processus urbains, sans oublier la face bancaire, celle des financements, de la titrisation des créances, du packaging de crédits hypothécaires, de la dispersion des risques. Je souligne les développements autour de la nécessité du système de crédit pour la circulation du capital, des investissements dans le bâti pour l’accumulation, des liens entre finance et institutions étatiques…



L’auteur parle de « la qualité de vie urbaine » devenue marchandise, des centres commerciaux, des multiplexes, des mégastores, des phénomènes de dépossession, de l’allongement des « chaines dorées », des liens entre production et utilisation du surproduit, des « racines urbaines des crises capitalistes »…



J’ai notamment été intéressé par les paragraphes sur la rente, les tensions entre concurrence et monopole, les contradictions entre production de l’uniformité et production de « lieux suffisamment uniques », les exemples de prix dans les « aventures vinicoles », la recherche de rentes de monopoles et d’originalité-unicité-authenticité, le poids des « images de marque », « le dilemme – approcher de la pure commercialisation au point de perdre les marques de distinction qui étayent les rentes de monopole, ou construire des marques de distinction d’une telle singularité qu’elles sont très difficiles à exploiter – est omniprésent ».



David Harvey souligne toujours les contradictions induites par les modifications des territoires urbains, les failles du système « qui laissent entrer la lumière » (Léonard Cohen). Il parle de la création du « commun urbain », de gestion raisonnable des ressources communes, des places et des mobilisations, de critique des droits individualisés de propriété privée, d’espaces d’espoir, des caractéristiques d’espace urbain « plus propices que d’autres à des manifestations de rébellion », des liens entre « questions sociales » et « questions urbaines », d’alternatives anti-capitalistes, des usines récupérées, des usines à gestion coopératives transformées « en centre culturels et éducatifs de quartier »…



Une contribution importante aux débats, par une prise en compte plus globale des contradictions présentes dans les modalités d’accumulation capitaliste, une attention particulière aux citoyen-ne-s, au déjà ici pouvant préfigurer le futur…




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Paris, capitale de la modernité

Un essai et d’abord un récit où souffle le vent de la révolte du Paris populaire. Voici aussi une preuve que l’on peut écrire un essai, des analyses, une étude étendue, sans simplisme, avec un vocabulaire abordable. Richement illustré, papier et typographie choisis. Un bel ouvrage.



Dans son introduction, Matthieu Giroud indique, entre autres, que David Harvey « cherche les possibilités de ”donner une idée de la ville dans sa totalité” » et « Une telle approche n’a au fond qu’un objectif bien précis : analyser comment le capitalisme industriel naissant structure l’espace de la ville et par là affecte toutes les dimensions (matérielles ou idéelles) de la vie sociale, mais aussi en retour, comment le capitalisme industriel s’inspire de ces changements urbains pour se réaliser ».



Première illustration dans l’introduction : « L’émeute » d’Ernest Meissonier, le ton est donné !



« La modernité semble toujours affaire de ”destruction créatrice” ».



David Harvey nous présente le décor, la place fondatrice de 1848 « 1848 apparut comme un moment décisif où l’inédit se cristallisa à partir de l’ancien ». Sur ce sujet l’indispensable ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey : 1848 la révolution oubliée (Réédition La Découverte poche, Paris 2009), le règne d’un petit empereur « il a créé un mythe fondateur (essentiel à tout nouveau régime) et contribué à asseoir l’idée qu’il n’existait aucune alternative à l’autoritarisme bienveillant de l’Empire », en passant par les travaux de Haussmann et « un extraordinaire changement d’échelle », sans oublier Walter Benjamin, Daumier, Balzac, Flaubert ou Carl Schorske, Henri lefebvre et Karl Marx.



Je signale que David Harvey interroge étrangement Saint-Simon et Karl Marx « N’est-il pas étrange que deux penseurs qui occupent une place aussi éminente dans le panthéon de la pensée moderne aient explicitement rejeté la possibilité d’une rupture radicale, tout en mettant l’accent sur le changement révolutionnaire ? ». Je ne sais pour Saint-Simon, mais la critique porté à Marx me semble inadéquate, cet auteur s’est refusé à se projeter dans le futur émancipateur, et à juste titre, me semble-t-il, rejeté les utopie créatrices, en laissant justement ouvert la construction d’un futur. Sur ce sujet, voir le beau livre d’Isabelle Garo : Marx et l’invention historique (Editions Syllepse, Paris 2012)

La première partie du livre « Représentations 1830/1848 » est subdivisé en « Le Paris de Balzac » et « Le corps politique rêvé ».



David Harvey montre que Paris est au centre d’une grande partie de l’œuvre de Balzac. Il souligne que « En démythifiant la ville et les mythes de la modernité, il a ouvert de nouvelles perspectives, non seulement sur ce qu’était la ville, mais sur ce qu’elle pourrait devenir. D’une façon toute aussi cruciale et particulièrement difficile à extraire des archives sans âme de la ville, il dévoile les fondements psychologiques de ses propres représentations et avance des hypothèses quant aux jeux troubles du désir (notamment chez les bourgeois). La dialectique de la ville et de la construction de la subjectivité moderne se trouve ainsi mis à nu » L’auteur confronte les constructions de Balzac, son utilisation de la ville, l’ancrage de ses personnages avec ses propres analyses. Certaines pages, ou sous-chapitres me semblent particulièrement éclairants : « Le fétichisme inhérent à la perception que la bourgeoisie avait d’elle-même », le mythe d’un Paris sans origine provinciales, les fictions du crédit et de l’intérêt, « L’enfer et l’ordre moral », « Configuration spatiale et ordre moral », « Rues, boulevards et espaces publics du spectacle », l’opposition entre intérieur et extérieur ; bref une ville selon des perspectives multiples. Je ne voudrais pas m’éloigner de cette partie, sans souligner « Le fétiche et le flâneur », en en citant deux phrases : « Les rues, les quartiers, les appartements, les cages d’escaliers, les entrées sont empreints d’une signification sociale » et « Concevoir la ville comme être sensible revient à reconnaître son potentiel en tant que corps politique ». N’étant que peu sensible à la littérature française du XIXème, à l’exception notable de Baudelaire et Flaubert, pour les auteurs cités, je laisse les connaisseuses et connaisseurs y regarder de plus près.



« La belle utopie de la veille sera l’aimable vérité du lendemain », mis en exergue, donne une clé, comme dans une partition musicale, du traitement du chapitre « Le corps politique rêvé »



David Harvey nous parle de projets utopiques, révolutionnaires, des saint-simoniens, de Fourier, de Blanqui, de « remettre le monde à l’endroit », de 1840, de Flora Tristan, de Proudhon, d’égalité, d’autonomie des femmes, d’association, de communauté, de communisme, d’organisation du travail, de cette possible modernité avant Haussmann. Il termine par « Qu’est-ce qui a disparu en 1848 ? » : « Après 1848, la contre-révolution brisa beaucoup d’espoirs et de désirs et referma l’univers des possibles qui s’était ouvert au cours des années 1830 et 1840 ». Une conception moderne et émancipatrice d’une république sociale, certes ambiguë sur la question de la propriété, confuse sur les notions d’égalité, de liberté et de communauté, n’en imaginais pas moins « profondément que l’association des travailleurs et l’activité collective permettrait de faire naître une société meilleure ». Ce fut une autre modernité qui advint. « On pourrait dire que c’est l’idée de la ville comme corps politique qui fut détruite en 1848 avant d’être ensevelie dans l’univers commercial de la marchandisation et du spectacle du Second Empire. »



Au cœur du livre, sa partie la plus substantielle : « Matérialisations : Paris 1848 – 1870 »



En prologue, David Harvey revient sur la caractérisation du régime « un État autoritaire et policier s’appuyant sur une base populiste », avant de présenter le résultat de la « mise de Paris entre les mains d’Haussmann » en juin 1853. L’auteur s’interroge « Toutefois comment construire un tel récit sans réellement comprendre le fonctionnement interne et les relations mutuelles de l’économie, de la politique, de la société et de la culture ? » et argumente son choix « J’ai choisi d’emprunter une voie médiane, consistant à saisir les transformations historico-géographiques du Paris du second Empire à partir d’une série de thèmes qui s’entremêlent et ne peuvent être pris isolément les uns des autres » en insistant particulièrement sur « C’est cet ensemble de relations qui constitue le véritable moteur du changement social ».



Sommaire :



L’organisation des relations spatiales



L’argent, le crédit et la finance



La rente et la propriété



L’État



Travail abstrait et travail concret



L’achat et la vente de la force de travailleur



La condition des femmes



La reproduction de la force de travail



Consommation, spectacles, loisirs



Communautés et classes



Relations naturelles



Science et sentiment, modernité et tradition



Rhétorique et représentations



Géopolitique de la transformation urbaine



Il ne saurait être question, ici, de faire une présentation exhaustive, juste certains éléments choisis subjectivement parmi les nombreux points analysés.



Prenons, par exemple, l’amélioration des transports et des communications qui n’eurent pas tant « pour effet de décongestionner le trafic que de le recréer sur une toute autre échelle et à une vitesse différente ». Ce double effet d’échelle et de vitesse modifie qualitativement les relations. « L’accélération entraîna aussi l’élargissement des espaces dans lesquels les individus, les biens et les idées pouvaient se déplacer ».



L’auteur analyse les intérêts et les enjeux economico-sociaux, politiques, autour de l’argent du crédit et de la finance, « la création d’un nouveau système financier exigeait que l’on fasse tomber un certain nombre de barrières morales politiques techniques et philosophiques », les différences entre les frères Pereire et James de Rothschild. Les projets et les réalisations de Haussmann sont incompréhensibles sans prendre en compte la place des sociétés financières, la spéculation boursière, la propriété, « intégration particulièrement forte du capital financier et de la propriété foncière », le patrimoine immobilier, la rente, le capital fictif, les méthodes déjà inventives de financement de la dette, l’intérêt, le pouvoir d’expropriation des organismes publics et plus généralement l’intervention de l’État, y compris dans la gestion de la force de travail, sa surveillance ou son contrôle.



L’auteur étudie les déplacements de populations, la refonte de la périphérie et du centre, l’intégration de villes et la création de « nouvelles banlieues », les ségrégations spatiales, « l’absorption des excédents de travail et de capital dans la reconstruction de Paris eut toutes sortes d’effets négatifs – accentuation des déplacements de la population et de la ségrégation spatiale, trajets plus longs pour aller au travail, augmentation des loyers, surpeuplement, etc. – que beaucoup considéraient comme de véritables pathologies ».



Les transformations se concrétisent aussi par un (re)façonnage des espaces de reproduction social. Sans oublier la modification de l’industrie parisienne que l’auteur traite dans un remarquable chapitre « Travail abstrait et travail concret ». Je ne souligne que « la subsomption progressive d’artisans et de propriétaires auparavant indépendants sous la domination formelle d’une organisation commerciale et industrielle strictement contrôlée ».



Il ne faut pas oublier la répression intense du mouvement ouvrier après 1852, privé du droit d’association, de coalition, de syndicalisation, etc.



L’auteur développe sur la modification des emplois, en traitant notamment de « La condition des femmes », domesticité, prostitution, espace public et espace privé, « contrôle grandissant des femmes sur l’espace intérieur du foyer, associé à la marchandisation croissante des femmes dans la vie publique », sans reconnaissance de l’égalité des droits.



J’ai aussi été sensible aux passages sur la consommation, la création des grands magasins, les spectacles, les loisirs, « Le café ou cabaret devint ainsi un cadre institutionnel et joua un rôle politique et social dans la vie de la classe ouvrière », la foule, les boulevards.



Comment ne pas citer cette phrase « La prostituée, le chiffonnier, le pauvre clown obsolète, un vieillard digne en haillons, la belle femme mystérieuse, tous devinrent des personnages indispensables à la pièce urbaine » entre Baudelaire, Walter Benjamin et l’auteur.



Les destructions, les plans de restructuration de l’habitat et des lieux de circulation ne furent pas seulement économico-sociaux, ils eurent des dimensions esthétiques, « Haussmann introduisit des dissymétries locales dans le but de produire des effets de symétrie à plus grande échelle ».



Paris, c’était aussi « Deux villes, deux peuples », la recherche pour les travailleuses/travailleurs d’un espace autonome pour organiser/consolider leur mouvement.



Pour terminer ces « Matérialisations », trois citations, la première de Karl Marx, les deux autres de l’auteur :



« La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants »



« Dans ce livre, j’ai tenté de mettre à nu les complexes modalités de transformation de l’économie et de l’organisation sociale, de la politique et de la culture qui ont irrémédiablement changé le visage de Paris »



« Mais la Commune est née du désir de transformer les relations sociales et les rapports de pouvoir au sein d’une configuration de classes particulière, constituée dans un espace particulier, au sein d’un monde capitaliste lui-même en pleine transition. Ces luttes qui forcent l’admiration ont encore bien des enseignements à nous livrer. »



Le livre se termine sur une belle Coda : « La construction de la basilique du Sacré-Coeur ».



L’auteur revient sur l’histoire de la Commune, sa sauvage répression et sur la construction de « ce détestable symbole » qui défigure Paris au nom d’un « Gallia poenitens » (« France repens-toi ! »), symbole de l’alliance peureuse et revancharde du goupillon et du sabre, et amnésique des massacres des communard-e-s.



Je reproduis un extrait de ma note sur Maxime Vuillaume : Mes cahiers rouges (souvenirs de la Commune) (Editions La Découverte, Paris 2011), « L’horrible Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, dont la construction fut décrétée par une loi votée par l’Assemblée nationale en juillet 1873 dans la cadre d’un nouvel « ordre moral » et pour « expier les crimes des communards » défigure toujours Paris et la mémoire des fusillé-e-s, des exilé-e-s, du peuple parisien. »

Une « modernité » après 1848, qui peut être mise en rapport avec la nouvelle « modernité » actuelle, beaucoup de similitudes, et en particulier les effets d’échelle (mondialisation), de vitesse (nouvelles technologies), de construction/modelage des espaces urbains (Voir par exemple Mike Davis : City of Quartz, Los Angeles, capitale du future, réédité en 2009 chez La découverte poche ; Régine Robin : Mégapolis. Les derniers pas du flâneur (Un ordre d’idées chez Stock, Paris 2009), ou l’inventivité financière, etc… Gardons en mémoire que « La Commune fut en effet très différente de 1848, en partie en raison de la réorganisation radicale des espaces de vie entraînée par l’haussmannisation, des transformations tout aussi radicales des procès de travail, de l’organisation de l’accumulation du capital et du déploiement de la puissance étatique », pour réfléchir aux soulèvements de demain.



Se lit comme un grand roman habité d’espérance et d’aventure, notre aventure collective, les espoirs de celles et ceux qui se révoltèrent, ces espérances qui sont toujours les nôtres.
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Brève histoire du néolibéralisme

Robin du néolibéralisme détrousse les travailleur-e-s pour redistribuer les richesses aux possédants au nom de la liberté d’entreprendre…



Une des dimensions du néo-libéralisme est la fabrique d’un « sens commun » recouvrant les réalités de figures parfois très inquiétantes sous des masques « libertariens ». Royaume fantasmatique du « libre-faire », du marché naturalisé, de la « concurrence libre et non faussée », de la marchandisation de sphères et d’espaces élargis… L’analyse du néolibéralisme ne peut, me semble-t-il contourner les analyses du fétichisme de la marchandise. (Voir sur ce sujet, Antoine Artous : Le fétichisme chez Marx – Le marxisme comme théorie critique, Syllepse 2006).

« Le néolibéralisme est d’abord une théorie des pratiques économiques, qui soutiennent que le meilleur moyen d’œuvrer au bien-être des hommes et de désentraver la liberté d’entreprendre et les talents individuels au sein d’un cadre institutionnel caractérisé par le libre-échange, le marché libre, et de solides droits de propriété privée ». David Harvey souligne, entre autres, l’importance des « relations contractuelles dans l’espace du marché », la densification des transactions marchandes grâce aux nouvelles technologies. Il parle de « compression spatio-temporelle ».



Le livre et divisé en sept parties :



La liberté n’est jamais qu’un mot



La construction du consentement



L’État néolibéral



Un développement géographique inégal



Un néolibéralisme « à caractéristiques chinoises »



Le libéralisme en procès



Perspectives de liberté



David Harvey rappelle que la première expérience du néolibéralisme a eu lieu au Chili après le coup d’État de Pinochet, une « naissance » qui en dit long sur les réalités, dont l’anti-démocratisme radical des économistes de l’université de Chicago et de Milton Friedman. L’auteur analyse ce tournant néolibéral, ses causes. Il parle, entre autres, de la redistribution des richesses et de l’accroissement des inégalités. Robin des bois, aux actions concurrentielles non faussées, pille les pauvres pour redistribuer aux riches !



L’auteur propose deux interprétations à la néo-libéralisation, « soit comme un projet utopique visant à mettre en pratique un plan théorique de réorganisation du capital international, soit comme un projet politique conçu pour rétablir les conditions d’accumulation du capital et restaurer le pouvoir des élites économiques ». Ses analyses montrent que c’est la seconde proposition qui domine.



Il analyse « l’essor de la théorie néolibérale » en remontant à Friedrich von Hayek, l’astuce juridique consistant à définir les firmes comme des personnes devant la loi, l’élection de Margaret Thatcher, la politique de taux d’intérêt de Paul Volker, le choc monétariste et le « déploiement simultané de politiques gouvernementales touchant bien d’autres domaines », les incitation à emprunter pour les pays dits émergents, le fondamentalisme libre-échangiste, le rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). L’auteur insiste sur la nouvelle place des valeurs financières, véritable boussole de la vie économique, sur le « pouvoir de classe ».



David Harvey analyse comment la néo-libéralisation a été accomplie et par qui. Il propose d’apprendre « à extraire les réalités politiques de leur gangue culturelle ». Réalités politiques en effet et non constructions culturelles. Je ne discuterai pas ici de la notion de « consentement », utilisé par l’auteur, qui me semble inadéquat (voir dans les critiques radicales des féministes de la notion de consentement, Nicole-Claude Mathieu : L’anatomie politique. catégorisations et idéologies du sexe, réédition iXe 2013 et et Geneviève Fraisse : Du consentement, Seuil 2007). L’auteur déconstruit, pas à pas, la « rhétorique néolibérale », la « très peu sainte alliance » entre le « big business », les néoconservateurs, dont les chrétien-ne-s évangélistes.



David Harvey consacre un chapitre à « L’État néolibéral ». Cet État qui construit, entre autres, le cadre légal des obligations contractuelles et du fonctionnement du marché. Il montre que la frontière entre État et entreprise est devenue poreuse, que les institutions étatiques et leurs pratiques elles-même ont été reconfigurées, que le caractère autoritaire de l’État est renforcé au moment même où les choix démocratiques tendent à être repoussés hors des domaines des traités et des contrats. Il explique aussi le « fanatisme missionnaire » de certains. J’ai notamment été intéressé par l’analyse des convergences entre les évangélistes, les néoconservateurs et les néolibéraux.



Le chapitre sur le développent géographique inégal est précieux car il met en relation diverses « expériences » et souligne les confluences au delà des spécificités, en insistant sur le rôle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : Mexique, Argentine, Corée du Sud, Suède, etc… Un chapitre est consacré à l’analyse des « caractéristiques chinoises ».



L’auteur poursuit par le « procès » du néolibéralisme. Il rappelle que la néo-libéralisation « a largement échouée à stimuler la croissance mondiale », a favorisé la redistribution – et non la création – des richesses et la croissance des inégalités, permis la restauration du pouvoir de la classe dominante. Il souligne quatre traits de ce qu’il nomme « accumulation par dépossession » : la privatisation et la marchandisation de biens jusque-là publics, la financiarisation et la spéculation ou la prédation, la gestion et la manipulation des crises, les redistributions étatiques. Il s’agit de repousser les limites de la marchandisation, d’élargir le champs des contrats, de construire des marchés cohérents pour la terre, la main d’œuvre… L’auteur parle de la figure du « travailleur jetable », de la dégradation de l’environnement, de l’extension du champ judiciaire et des pouvoirs exécutifs au détriment des pouvoirs législatifs parlementaires, du rôle des ONG et en particulier de leur caractère privé.



David Harvey termine sur des « perspectives de liberté », de construction d’alternatives, « la gauche doit opposer une politique d’alliances, susceptibles de réappropriations locales, dans une logique d’autodétermination »…



L’ouvrage publié en 2005 nécessiterait d’être complété par l’analyse des évolutions du néolibéralisme durant les dix dernières années.



Certaines appréciations sont fort discutables, le cas de la Chine mériterait des approfondissements, des contradictions sont négligées dont celles liées à l’individualisme, des apports analytiques sont contournés comme ceux des féministes, le concept d’accumulation par dépossession me semble trop étiré…



Quoiqu’il en soit, un livre pédagogique, intégrant de multiples analyses géographiques, remarquablement écrit, qui invite à réfléchir sur les réalités du néolibéralisme et aux « perspectives de liberté » pour utiliser une formule de l’auteur.
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Géographie de la domination

L’auteur constate que les critiques de l’organisation de la société font passer le temps et l’histoire avant l’espace et la géographie ou les conçoivent comme « site stable de l’action historique ».



« Quand aux variations des rapports spatiaux et des structures géographiques, ils les intègrent à leurs théories en procédant à des ajustements ad hoc, en imposant de l’extérieur des redéfinitions des régions et des territoires au sein desquels et entre lesquels opère le flux perpétuel du processus social. Enfin, les modalités de production de ces rapports spatiaux et configurations géographiques demeurent dans l’ensemble ignorées. »



Cette manière de procéder ne permet pas de saisir les modalités concrètes d’organisation et de réorganisation de l’industrie, du salariat et des espaces politiques.



David Harvey se propose « plutôt de construire une théorie générale des relations spatiales et du développement géographique sous le capitalisme qui permettrait d’expliquer, entre autres choses, l’importance et l’évolution des fonctions de l’État (sur les plans local, régional, national et supranational), le développement géographique inégal, les inégalités inter régionales, l’impérialisme, le progrès, les formes d’urbanisation, et d’autres phénomènes de même nature. »



L’auteur souligne les contradictions engendrées par la tendance, inhérente de la marchandise et du système capitaliste, à l’extension à toutes les sphères de la société et à tous les espaces. Mais dans le même temps, La production doit rassembler du capital et des salariés dans des lieux particuliers. Elle doit bénéficier d’infrastructures (transports, cadres juridiques, formation des salarié-e-s, etc) d’où les remodelages des États et de leurs interventions dans la nécessaire organisation des espaces et des marchés. « La capacité à s’affranchir de l’espace dépend de la production de l’espace »



De plus, ces paysages sociaux et physiques redéfinis à l’image du mode de production, ne peuvent être adéquat à ses besoins que durant des temps donnés, ce qui implique des bouleversements, voire des destructions de ces paysages ultérieurement. Prendre en compte cette dimension consubstantielle de la création de l’espace et du capitalisme permet d’éclairer les déplacements temporels et géographiques des contradictions, assurant en partie le dynamisme du système.



La présentation du fonctionnement et des contradictions du capitalisme pourrait largement être discutée, mais la prise en compte de l’espace géographique comme construction sociale aide non seulement à la compréhension du fonctionnement du capitalisme, de certaines de ses contradictions et donc des opportunités « d’intervention » pour modifier le cours des choses.
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Le capitalisme contre le droit à la ville : N..

Le livre est composé de trois textes : « Le droit à la ville » publié en novembre 2008 dans la Revue internationale des livres et des idées (RILI), « Le droit à la ville d’Henri Lefebvre » et « Crises, urbanisation et luttes anticapitalistes pour le droit à la ville ».



L’auteur nous montre l’intérêt de combiner la géographie, ici l’urbanisation, et l’histoire du capitalisme « un lien interne apparaît entre le développement du capitalisme et l’urbanisation ». Il insiste particulièrement sur l’absorption du sur-produit par la construction, le développement des villes (voir le chapitre La ville lumière et New-York : les avaleuses de surproduit). Même en évoquant le secteur du bâtiment, l’auteur contourne, à mes yeux, les mécanismes d’allocation des capitaux, la recherche de taux de profit, qui ne saurait être simplement rabattu sur la ville comme construction sociale ou lieu de vie, ni par ailleurs sur la recherche et la captation de la rente foncière. « Mais à New-York comme à Paris, l’endiguement des expropriations brutales menées sous la houlette de l’État a entraîné un processus de transformation infiniment plus sournois, passant par la disciplinarisation financière des gouvernements urbains démocratiques, des marchés fonciers, de la spéculation immobilière, et par une exploitation permettant de générer le taux de retour le plus élevé possible sur l’usage supérieur et optimal des terrains. » C’est un débat qu’il serait nécessaire de prolonger.



Quoiqu’il en soit, son appréhension des processus urbains enrichit notre compréhension et permet de préciser les nouveaux droits à la ville, de mettre l’accent sur la place des mouvements sociaux urbains « La révolution sera urbaine ou ne sera pas ». Mais la place de la ville, des concentrations de population ne saurait dispenser de l’analyse des organisations socio-économiques, dont les entreprises au sens le plus large, dans ces espaces géographiques. L’auteur tord le bâton, en en faisant un potentiel de résistance, de révolte, détaché des luttes contre l’exploitation et les dominations, même s’il fait référence aux relations hiérarchiques de classe.



David Harvey considère que si le rôle de l’immobilier a été incompris dans les analyses de la crise de 2007/2009 « c’est parce qu’aucune tentative sérieuse n’a été entreprise pour intégrer l’étude des processus d’urbanisation et de formation de l’environnement bâti dans la théorie générale sur les lois de circulation du capital. » Il souligne aussi que « le système de crédit devient absolument nécessaire pour la circulation du capital et qu’il doit être pris en compte et incorporé dans les lois générales du mouvement du capital. » Si les processus d’urbanisation sont en effet négligés dans les analyses de la crise, ce n’est ni le cas pour l’immobilier ni pour le crédit (cf les livres sur la crise chroniqués ou les textes (re)publiés sur le blog, dont beaucoup d’auteurs partagent avec lui que « le capital fictif n’est pas un produit de l’imagination »).



L’apport de David Harvey est plus décisif dans l’intégration de la géographie, y compris l’urbaine, dans la saisie du monde « Il existe une spécificité géographique dans le fait que la production d’espace et les monopoles spatiaux font intégralement partie de la dynamique de l’accumulation, non seulement à cause de l’évolution des diagrammes de flux de marchandises dans l’espace, mais également en vertu de la nature même des espaces et des lieux créés et produits sur lesquels s’opèrent ces mouvements. »



Je partage les insistances de l’auteur à la fin de l’ouvrage sur les lieux de la politique, des luttes, de l’émancipation, sur les actrices et acteurs plus divers que les ouvriers d’usine, sur les lieux de l’agir, qui ne sauraient être rabattus sur les lieux de travail.



« Le droit à la ville ne se réduit donc pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est le droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher. Mais c’est en outre un droit collectif plus qu’individuel, puisque, pour changer la ville, il faut nécessairement exercer un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation. »



Du même auteur :



Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique (Editions Syllepse, Paris 2010)



Géographie de la domination (Les prairies ordinaires, Paris 2008)



Le nouvel impérialisme(Les prairies ordinaires, Paris 2010)
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Les limites du capital

Probablement un ouvrage de référence pour les économistes. Un peu trop complexe pour le commun des mortels au même titre que le Capital de Marx. Les idées développées sont intéressantes . Toutefois cet ouvrage nécessite une lecture particulièrement attentive.
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Le nouvel impérialisme

Comme l’indique Jean Batou dans son introduction « le livre de David Harvey présente une tentative originale de combiner une triple approche conjoncturelle, historique et théorique de l’impérialisme. Il propose d’expliquer comment celui-ci configure en permanence le lien dialectique entre pouvoir économique et pouvoir politique, de situer son évolution dans la longue durée et de le voir opérer sous nos yeux dans les première années de l’administration Bush JR. »



En ne négligeant pas les inscriptions territoriales, les dimensions qui relèvent de l’organisation interne, politique (dont les luttes et « compromis » des groupes sociaux à l’échelle nationale) des Etats, David Harvey nous propose de mieux cerner les spécificités de la période actuelle.



Le début du livre est consacré au pétrole (la matière, les systèmes de transports et de distribution) et à la guerre contre l’Irak « pour but de renforcer le contrôle direct de Washington sur le l’ensemble du Moyen-Orient et sur ces ressources énergétiques ». L’auteur nous rappelle le sens, pour les puissances impérialistes, des découpages effectués au début du vingtième siècle, des créations de pays « sous-produit du traité de Versailles ». Il analyse aussi l’utilisation du 11 septembre et du « terrorisme », dont celui des anciens alliés de la guerre contre les troupes russes en Afghanistan, sans oublier la « formidable opportunité d’imposer de nouveaux repères sociaux sur le plan intérieur et de remettre à l’ordre les citoyens ».



A travers une analyse de la montée en puissance dans le siècle dernier des États-Unis, David Harvey insiste sur la forme particulière d’impérialisme qu’est l’impérialisme capitaliste. En intégrant à la critique de l’économie politique, les dimensions impériales/géographiques, l’auteur peut ainsi rendre compte d’autres dimensions de la crise économique, écologique, sociale, systémique débutant au milieu des années 70 et de ses différentes phases. L’auteur parle de « capital entravé », de la place des pouvoirs étatiques créant les nouveaux espaces de valorisation du capital (fonctionnement modifié et élargi des marchés). Sa présentation des circuits du capital est très pédagogique.



Néanmoins, les contradictions actuelles du capitalisme pourraient être largement discutées, en particulier la place et le rôle de la finance (voir Michel Husson : Un pur capitalisme, Éditions Page Deux, Lausanne 2008).



Ce qui fait ressortir un élément de discussion supplémentaire. Je suivrais, ici aussi Jean Batou, dans la critique de la place déterminante donnée par David Harvey à « l’accumulation par dépossession ». L’auteur reprend les théorisations de Rosa Luxembourg et « l’idée selon que le capitalisme doit perpétuellement avoir quelque chose « en dehors de lui-même » afin de se stabiliser vaut la peine d’être examinée, en particulier dans la mesure ou elle fait écho à la conception hégélienne … selon laquelle une dialectique interne au capitalisme l’oblige à chercher des solutions à l’extérieur de lui-même » et par extension « le capitalisme crée toujours et nécessairement son propre autrui ».



Si les politiques de marchandisation des biens collectifs, souvent accompagnées des violences de l’expropriation (sans oublier l’usage quelque fois militaire impérial), peuvent être assimilées aux mécanismes d’accumulation primitive et donc être considérées comme « dépossession », il reste à discuter de leur place dans l’ensemble des processus d’accumulation. Il me semble que les logiques « objectives » internes, les contradictions engendrées par le mode même de fonctionnement du système sont des facteurs explicatifs plus pertinents ou plus déterminants. Par ailleurs l’auteur relie souvent cette « l’accumulation par dépossession » avec le procès de dévalorisation du capital sans être très convainquant.



Sur ce point, les analyses de Michel Husson sur la dévalorisation du capital organique me semblent plus abouties (Voir son très bel article http://hussonet.free.fr/debaprof.pdf).



Les analyses de David Harvey sont d’un apport précieux, contribuant à actualiser/élargir les débats tant sur l’impérialisme que sur la compréhension des fonctionnements du système capitaliste dans lequel nous vivons. Et comprendre c’est déjà créer des conditions d’agir.
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Géographie et capital : Vers un matérialisme hi..

La très belle introduction de Thierry Labica sur le marxisme anglo-saxon contemporain, nécessite que je m’y attarde quelque peu. Au delà de son objet, l’auteur pose certaines questions, et souligne des dimensions, incontournables à l’élaboration de possibles alternatives. Il me semble important d’en extraire quelques paragraphes : «… qu’au moment où les processus de prolétarisation-féminisation de la force de travail s’affirment comme tendance lourde à l’échelle planétaire, il faut s’interroger sur la manière dont l’héritage du mouvement ouvrier participe pour une part, lui aussi, de la mise en invisibilité de tels processus » et Thierry Labica en déduit « Dans tous les cas, il semble que toute critique systémique du capitalisme néolibéral qui ne serait pas en même temps féministe – et inversement – court le risque de rester pris au piège d’une certaine cécité ambiante quant à la réactualisation de la centralité du travail au sein de la »mondialisation ». »



En mettant en garde sur « le fétichisme de la différence » réponse viciée aux réductionnismes ouvriéristes, il élargit aussi le propos aux « altérité radicale et immatérialité » : « Outre la production de personnages avec lesquels s’exorcisent la violence et la terreur inhérentes au système lui-même, ces envahissements guerriers du capital auront engendré divers effets d’optique caractéristiques de notre période, entre naturalité, spiritualité »immatérielle » et mysticisme culturaliste d’un monde post-social d’où semble avoir disparu le temps du changement historique et avec lui, l’idée même d’un futur radicalement différent. » En somme un temps rabattu, réduit, confiné « sur l’axe des altérités territorialisées » ou pour le dire de façon inversée et plus percutante « Aussi, à ne plus nommer le capital et les rapports d’exploitation, il semble que l’on soit condamné à chercher dans la pièce éclairée ce que l’on a perdu dans l’autre pièce obscure où s’active la grande et impassible machine à différencier, à coups de crises, de développement géographique inégal, d’inégalités salariales, de dissémination planétaire de la division du travail, de mise en concurrence des sous-traitants, de discontinuité des régimes fiscaux et juridiques. »



Il convient donc de penser « la nouvelle configuration géographique qu’engendrent les nouvelles conditions de circulation planétaire du capital », de théoriser l’espace, de prendre au sérieux la géographie et de « penser chaque niveau en maintenant les autres dans le champ de vision. » Une invitation à prendre à bras le corps l’œuvre de David Harvey.



Géographie et capital est composé d’articles et d’extraits de livres. Les sujets sont variés même s’ils touchent tous à l’organisation sociale des territoires et mettent l’accent sur une dimension souvent négligée par les penseurs de l’histoire et de l’émancipation. L’écriture est très fluide et tous les textes sont facilement abordables, l’auteur visiblement travaillant la dimension pédagogique de ses présentations.



Très subjectivement, je mettrais l’accent sur quelques points. Cependant, tous les sujets traités méritent l’attention. En effet, la prise en compte de la territorialité, ou de l’inscription territoriale, élargit la compréhension des phénomènes sociaux. Ceci devrait permettre d’élaborer des solutions émancipatrices universelles, sans pour autant écraser, nier ou contourner les singularités du monde d’aujourd’hui.



Dans une première partie « Théoriser l’espace, émanciper la géographie », David Harvey présente ses conceptions « La géographie que nous faisons doit être une géographie des peuples, loin des pieux universalismes, des idéaux et de bonnes intentions, pour s’inscrire dans le concret de préoccupations et de revendications terrestres, pour s’attaquer aux idéologies et aux préjugés tels qu’ils existent, pour être le reflet fidèle des interactions complexe comme la concurrence, les luttes et les coopérations dans le cadre des paysages sociaux et physiques changeant du 20e siècle. »



Sa compréhension de la critique de l’économie politique (marchandise, valeur, circulation, capital fictif, etc.) lui permet, à la fois, d’insister sur les relations ou les interactions « le caractère relationnel de l’espace-temps plutôt que sur l’espace de façon isolée » et de revendiquer les dimensions théoriques, qui font défaut à de multiples critiques de la mondialisation capitaliste « En abandonnant le terrain explicitement théorique, on renonce à la possibilité d’interventions conscientes et créatives dans la construction des géographies à venir » ou « l’importance politique aujourd’hui d’un projet théorique tourné vers l’unification des sensibilités et des compréhensions géographiques avec la force des théories sociales générales formulées dans le tradition du matérialisme historique. »



Faut-il le préciser, ses analyses ne sont ni économistes, ni réductionnistes « Les espaces construits ont des dimensions matérielles, conceptuelles et vécues. »



Dans une seconde partie « Incarnations paysagères du capital », David Harvey analyse les liens entre la construction/modification des villes et les mobilités croissantes du capital « L’urbanisation du capital ». Il en souligne particulièrement deux dimensions : le déplacement « des marchés, destinés à des clientèles particulières, vers un marché de masse » et les « changements dans les rapports de l’ordre spatial issus des nouveaux systèmes de transports et de communications ». Il détaille la concurrence des grandes mégapoles comme « centre de consommation ostentatoire », centre de décisions et centre de contrôle des flux financiers.



En discutant de la place de la justice sociale, l’auteur revient aussi sur les débats autour de l’universalisme, du droit à la ville et de projet « utopien spatio-temporel ».



Dans une troisième partie « Logiques spatiales de la dépossession » David Harvey insiste particulièrement sur les dimensions théoriques nécessaires pour appréhender la société pour penser et assumer les changements « Il faut au contraire voir dans une théorie une structure argumentaire dynamique, réceptive à la complexité des processus sociaux et de leurs modes d’inscription matérielle dans la toile de la vie. »



Reprenant et élargissant les débats du début du vingtième siècle sur l’impérialisme, l’auteur argumente autour du concept « d’accumulation/dévalorisation par dépossession ». Cela lui permet de mieux expliciter les différentes formes et les nouvelles contradictions liées, aux processus de marchandisation qu’il relie, une nouvelle fois, aux dimensions territoriales « Dans une situation historico-géographique donnée, les contraintes d’espace et de temps sont approximativement connues et une structure spatio-temporelle d’accumulation du capital très spécifique se dégage » et souligne la nécessité de repérer « un processus fait de territoriliasation, de déterritorialisation et de re-territorialisation, constamment à l’œuvre , à travers la géographie historique du capitalisme. ».



La mise à disposition de ces textes en français devrait permettre d’approfondir bien des analyses et de dégager une compréhension élargie du mode de production capitaliste et donc de vivifier des réflexions autour de l’émancipation « Nous devons dépasser les particularismes pour mettre en relief la tendance sous-jacente ; nous devons élargir l’analyse, pour prendre en compte toute une série très diverses d’enjeux. »
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Paris, capitale de la modernité

Paris, Capitale de la modernité peut être caractérisé par sa diversité et son foisonnement. L’ouvrage est en effet composé de dix-huit articles plus ou moins indépendants, qui abordent chacun un des aspects de la ville moderne.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Géographie et capital : Vers un matérialisme hi..

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Le capitalisme contre le droit à la ville : N..

Un ouvrage éclairant sur la production capitaliste et inégalitaire des villes, mais dont la dimension critique masque certains aspects positifs des mutations à l’œuvre.


Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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