Epitaphe pour Robert Flaherty
Qu’il est bon d’être loin du soleil
de retour dans le nord
aux obscurs gisements de mes îles
où l’hiver est si long
que bien peu de lumière
nous parvient, mais parfaite.
Tout va s'arranger
Comment ne pas être ravi de contempler,
Par delà la lucarne, les nuages qui s'en vont,
et une marée haute reflétée au plafond?
Il faudra bien mourir, je sais, il faudra bien,
mais à quoi bon s'étendre?
les vers coulent sans effort de ma main,
et leur source secrète est le coeur en éveil;
l'aurore se lève en dépit de tout,
et les villes lointaines sont belles et radieuses.
Couché dans une débauche de soleil,
je regarde le jour poindre et les nuages fuir.
Tout va s'arranger.
Depuis des années je travaille
à un poème de quatre vers
sur la vie d'une feuille;
il se pourrait qu'il soit terminé cet hiver.
Le tao dans le Mayo
I have been working for years
on a four-line poem
about the life of a leaf;
I think it might come out right this winter.
The Mayo tao
Retour donc à la table de travail, à la planche à dessin,
à la lumière prismatique du jour, au nuage passant lentement,
aux vagues là-bas qui grondent dans leur vie bien à elles,
à une jeune femme qui fait du stop sur un chemin de campagne.
La Saint-Patrick, VII
Portrait de l’artiste
Extrait 2
Théo, on m’a licencié pour
Excès de zèle, comme ils disent,
Et pour n’avoir pas l’habit de l’emploi.
Le temps venu, j’irai dans le midi
Et je peindrai ce que j’ai vu :
Un météore qui jette sa lumière d’or
Sur des chaises, des visages, des godasses,
Qui allume un feu sauvage dans les yeux
Des tournesols et des bateaux de pêche,
Qui sont tous des mineurs déguisés.
/ Traduit de l’anglais par Denis Rigal
Presque endormi,
j'ai retrouvé l'endroit,
Sa mer muette, ses vents aux remous
Dociles. Brouillard et pluie
Ne tombent quà la nuit, et puis
Font voile à l'aube vers la mer.
J'y ai construit
Une réserve pour tenir
En échec les fusils du monde.
C'est là que mes oiseaux s'assemblent -
Fous, pétrels, goélands,
Tous dûment enrôlés.
Réserve d'Oiseaux
Craigvara House
ce fut l'année
des nuits noires et des matins
clairs, d'une joie mesurée teintée de crainte:
anomie vigilante,
silence du coeur, rêveries tout le jour,
tandis que le vent faisait de la mer une harpe,
et que la première
pluie de l'hiver s'abattait ur
la terre comme pour étancher une soif immense.
Une brume d'embruns
planait le jour durant sur le rivage
tandis qu'avachi là, je relisais La Nausée
ou cognais sur un charbon,
libérant des couinements de gaz jusqu'à
ce qu'il cède et dégringole de son trou brûlant.
La nuit tombait sur une mer
houleuse, une falaise basaltique sous la lune,
les commandements peints sur le toit des casernes,
et la pluie en pleurant dévalait les ardoises glacées de la ville,
gloussant comme une folle dans les gouttières et les égouts.
J'ai fini peu à peu
par affectionner mon asile
(appartement donnant sur la mer, séjour
garni de schintz fatigué,
de chaises en rotin, d'aquarelles
délavées de Slemish et de Torr Head
ni téléphone ni télévision,
rien qui trouble ma concentration,
la conscience toute neuve de ma situation),
et c'est là que,
choisissant avec soin mes mots,
je me suis assis à ma table et remis à écrire.
Quand des flocons de neige
sont venus flotter jusqu'aux rochers,
j'ai pensé: la maison, c'est l'endroit où le coeur se brise -
le domaine perdu des week-ends sous la pluie,
du dessert du dimanche et de la frustration sexuelle.
Chaque nuit, je fixais
une lueur jaunâtre qui marquait,
sur la côte, l'endroit où les internés tenaient bon
et, durant les tempêtes,
me figurais les fermes crispées
"grouillant de faces redoutables et d'armes ardentes".
Un jour, avant
le printemps, j'ai capté
en ce lieu la fréquence que je cherchais
et traversé de nuit
un chenal ténébreux, les yeux
rivés sur le fanal tremblant d'une jetée.
Alors, je me suis endormi
et, me réveillant de bonne heure,
j'ai écouté, ravi, le sifflet à roulette
d'une première grive
qui répétait, perchée sur un ajonc,
un nouvel air qu'elle avait appris à Marrakech.
Et puis ta voiture s'est
garée dans un grondement familier,
et tu es apparue souriante à la porte -
comme si nous pouvions
nous dire qu'une mauvaise nuit
avait pris fin et sortir dans la lumière du soleil.
"Je prends congé des arbres,
Hêtres, cèdres et ormes,
Des bois aimables de par ici,
Qu'embrument la sciure, les pots
D'échappement, et le dernier
Soupir des nymphes empoisonnées."
Portrait de l’artiste
Extrait 1
Frissonnant dans l’obscurité
Des puits, des crassiers, des champs de betteraves,
Je suffoque, cherchant la lumière et la vie,
Comme un oiseau en cage au printemps
Se cogne aux barreaux qui brillent.
Comme un ver luisant je me déplace
Parmi ces mineurs belges en cage,
Et la lampe à mon front
Est la lumière mourante de la foi.
Dieu vacille et dégénère en métaphores :
Des coups frappés sous terre, la lumière
Réfractée dans un verre de bière
Comme dans un vitrail d’église,
Ou une bassine auréolée de charbon
Après le bain rituel du soir.
…
/ Traduit de l’anglais par Denis Rigal