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Citations de Didier da Silva (21)


Le brouillard enfin blanc avale vaches et meules. Le détour m'a désorienté, sans le vouloir je manque de rebrousser chemin. C'est le silence et non la pluie, qui s'est arrêtée, qui redouble. Bruit spongieux de mes pas dans les ornières boueuses. La haie que je longe s'interrompt, cède la place au vide d'un champ vaste, au repos, je ne peux que le traverser et je m'en fais une joie immense, aussitôt éprouvée. Je suis le seul élément vertical du paysage, le seul humain aussi, le seul je ne sais quoi, le seul pour tout dire, le seul, et de ce fait, me sens pleinement autorisé à jouir de toute ma considération.
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Ma vie sociale s'est à ce point réduite à rien et mes soirées sont si casanières que si, par exception, je croise une connaissance du dernier cercle (fils d'amis de la famille, camarades de collège ou de chambrée, ex-collèges de bureau, de palier), l'embarras que me cause l'obligation de devoir répondre avec un peu d'entrain à la question de savoir si je vais et vers quoi s'efface devant l'ahurissement à moitié plaisant que procure l'irruption de "fantômes" ; car ce sont bien à des fantômes que ressemblent jusqu'au trouble pour moi ces gens, fortuitement fréquentés jadis, que mon esprit n'a pas fourni l'effort de se figurer persistant dans l'existence, bardés de leurs absurdes singularités ; et je les écoute alors avec effroi, avec stupeur, me confirmer le bien-fondé de la nuit sans lune dont ils n'émergent que pour trois minutes.
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L'infini mis à part, le monde est trop grand pour Sam ; trop plein de choses et d'êtres et trop divers qu'il aurait fallu étudier un par un, l'oeil vif et la tête froide, avant de se résoudre à les aimer ou à les ignorer sans le plus mince remords - sans parler des idées qui, pas plus et pas moins qu'eux, sont pour lui des êtres, des choses, (de même qu'une abeille, un visage, un bateau) et méritent qu'on les emprunte comme on fait d'une veste ou d'un train. Afin de se préserver, de se prémunir contre cet afflux, cet assaut , il a adopté des principes, tenu pour acquis ceci et cela, mais il doute de la validité et de la pertinence de ces tamis, ces grilles, assez souvent il est tenté de s'en déprendre seulement il craint trop de se sentir perdu, de se dissoudre et le monde avec lui dans un magma obscur et ricanant...
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Le 9 avril, comme disait Volvic, un volcan s'éteint, un autre s'éveille : meurt Rabelais, naît Voltaire.
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Il neige ! Quand j'aurai vécu vingt ans en Suède, je serai peut-être capable de proférer cette phrase froidement, pour l'heure, le méridional que je suis jubile en attendant, joyeusement cette fois, que le jour se lève derrière les hauts murs gris et aveugles de la cour carrée ; il neige à gros flocons, généreusement, une vraie tornade, on ne devine déjà plus le tracé des plate-bandes et le poirier est un cornet de glace au parfum indéfinissable
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Un ciel de toile peinte, hollywoodien, me frappe de plein fouet : une spirale moutonnante de gros nuages dodus, très blancs, s'enroulant, dans un grand geste galactique, mais en la laissant humblement, craintivement, à découvert, autour d'une lune pleine et royale, au halo détouré et puissant, qu'un second anneau de lumière, prismatique, magnifie, mais oui, c'est bel et bien un arc-en-ciel, complet, glorieux, nocturne ; je fixe, fasciné, ce phénomène ignoré de moi, me rends compte alors que la toile n'est pas peinte, qu'un vent, sans doute, imprime à la spirale-banquise un léger mouvement ; ce dernier s'accélère, la révolte gronde, l'impératrice est renversée, un instant s'éclipse, puis ses sujets s'écartent, fondent, s'éteignent, l'anneau spectral et coloré n'est plus, dis minutes ont suffi pour détruire le tableau fantastique
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il pourrait se mettre à pleuvoir, les gens sont en bras de chemise, des rumeurs se télescopent, des formes se dissolvent dans la vapeur des boutiques de raviolis, on a le sentiment très fort d’être quelque part sur la Terre, cependant l’irruption du merveilleux ou de l’horrible n’étonnerait pas. Tels sont les soirs de juin de Shibuya.
...
Il considéra son âme. Elle avait disparu. D’aise, il soupira
...
C’est une chose apparemment commune, de l’eau tombant du ciel. Mais si c’est une eau tiède et douce, qu’elle tombe en gouttes fines et régulières et diffuse une lumière grise, rehaussée d’un blanc frémissant sur le contour des objets qu’elle frappe et qu’elle nimbre subitement la statue d’un shôgun… c’est une chose folle, inconcevable
...
Il écoutait le silence en fumant, profondément heureux qu’il fasse encore nuit, sans fixer sa pensée sur un objet précis, puis il regardait le jour se lever, face aux fenêtres de son salon, dont il ne fermait jamais les volets, un sous-marin n’a pas de volets…
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Ce qu’il advenait du monde visible lors de ses déplacements de beaucoup supraluminiques fut un temps un problème pour son esprit, un problème technique auquel, à chacune de ses traversées, il semblait apporter une nouvelle solution : ici la vitesse insensée n’affectait pas le rendu de l’image, d’une constante et irréelle très haute définition, ailleurs c’étaient des couloirs stylisés, surbrillant de lignes de force ou obscurs au contraire, dans le genre ténébreux ou le genre vaporeux, ailleurs encore il évoluait confusément dans une infinie délavure ; une fois même, impréparé ou par paresse, son esprit avait renoncé à proposer une vision plausible, coupé la scène au montage. Le blanc.
Il n’avait plus commis cette faute, c’était trop perturbant. La continuité importe aux fantômes – ils sont si près de disparaître. Un compromis dut être trouvé entre une précision épuisante et d’abstraites vues d’artiste, quelque chose d’harmonieux, d’élégant ; chaque nouvelle ruée dans l’espace offrit l’occasion d’une version amendée, plus juste ou plus crédible, fluide. Bientôt, il n’y pensait plus.
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Où étiez-vous pendant l’été 74 ? Presque trente millions de Français sur pas tout à fait soixante-dix pourraient répondre à cette question, quarante-cinq ans après les faits qui vont nous occuper. Une seconde question plus précise, que faisiez-vous pendant ce même été, nous conduirait à écarter du nombre ceux qui étaient trop jeunes ou trop distraits pour s’en souvenir, les amnésiques et les déments : voilà notre vivier amputé de moitié. Considérant maintenant ceux qui étaient responsables de leurs actes devant la loi, et justement c’est au début de cet été 74 que la majorité fut abaissée en france de vingt-et-un à dix-huit ans, nous obtenons un sous-ensemble de neuf millions, grosso modo. Neuf millions de mes compatriotes, moins une petite trentaine d’entre eux dont certains d’ailleurs n’étaient pas majeurs, n’ont pas réalisé le film Le Dormeur pendant l’été 74. Ils étaient pourtant juste à côté. Cette chose incroyable était en train de se passer, mais ils faisaient autre chose, une infinité d’autres choses que je serais tenté de passer en revue, mais ce n’est pas le sujet. Ils vivaient, tout simplement. Attendant en piaffant l’ouverture de rideaux cramoisis, certains bardés de publicités peintes, ils allaient voir Emmanuelle au cinéma, ou ils en parlaient – le marché du fauteuil en rotin thaïlandais ne tarderait pas à frémir. Ou bien ils discutaient L’Archipel du Goulag tout juste paru, que dénigraient sur tous les tons les communistes. Au 1er juillet, le prix du gaz était augmenté de dix pour cent et l’électricité de trois ; le SMIC à très peu plus de quatre francs de l’heure ; on réprimait des mutineries dans une cinquantaine de prisons. Claude Pompidou pleurait son Georges, les Ellington leur Duke et trois cent quarante-six familles les victimes du crash, le 3 mars, parmi lesquelles cinquante banquiers nippons de retour d’un stage à la City, du vol 981 de la Turkish Airlines dans la forêt d’Ermenonville, exactement neuf minutes après son décollage d’Orly et dix-huit jours avant la sortie des Valseuses (au même moment, sur la côte ouest des USA, des entités indiscernables faisaient voir à Philip K. Dick que le monde est un simulacre et Jean-Patrick Manchette, tandis que son Nada adapté par Chabrol se ramassait en salles, notait dans son journal s’être boyauté au ciné devant La Dialectique peut-elle casser des briques ?, détournement sonore d’une série B hongkongaise par un groupuscule situationniste) ; une Palme d’or dans ses bagages que lui avait donnée René Clair, Francis Ford Coppola était rentré en Amérique s’atteler au montage de son deuxième Parrain ; lors de ce vingt-septième festival de Cannes, le premier « prix du Jury œcuménique » de son histoire allait à Pour dévorer âme ou Tous les autres s’appellent Ali de Rainer Werner Fassbinder et le prix spécial aux Mille et une nuits de Pasolini, encore sur terre pour un an et demi. On répète partout la phrase de l’année, Vous n’avez pas le monopole du cœur, la seule trouvaille de son auteur, à qui il doit la présidence ; d’ici quatre à cinq mois, tomber enceinte sans l’avoir voulu ne sera plus vraiment une telle calamité. L’ORTF est démantelé. Le Portugal d’abord et peu après la Grèce ne s’appellent plus des dictatures. Retiré sur une île d’Hawaï, le vieux Charles Lindbergh emploie ses dernières forces à tenir jusqu’au 26 août, survivre huit jours à Pagnol ; une modeste coiffeuse des environs de Madrid achève la gestation de Penélope Cruz ; Bruno Beausir, futur Doc Gynéco, ne tète encore que le sein maternel. Richard Nixon va ou vient de démissionner, le général Perón rejoint son Evita. L’Ordre noir italien fait exploser un train. Le meilleur de nos funambules progresse illégalement dans le ciel de New York. En août mille hectares de pinède seront la proie des flammes en Corse, tandis qu’il neigera dans les Alpes ; le dernier empereur d’Éthiopie vit les ultimes jours de son règne ; le plus têtu des hommes, le sous-lieutenant Hirō Onoda, qui poursuivait seul la Seconde Guerre mondiale sur une petite île des Philippines, accepte de remettre son sabre et son uniforme à son commandant consterné mais digne, entre-temps devenu libraire. L’Arc-en-ciel de la gravité a remporté le National Book Award, Livre de Manuel sera couronné à l’automne du prix Médicis étranger ; les producteurs Brown et Zanuck achètent les droits des Dents de la mer, roman paru en février. Cent mille hippies ou apparentés convergent pour la seconde fois vers un causse du Massif central. Bientôt tiendront l’affiche sur les Champs-Élysées 747 en péril et Un justicier dans la ville, qui rend populaire si ce n’est populiste Charles Buchinsky dit Bronson, puis L’Exorciste de Friedkin, succès de l’été aux États-Unis. Cependant le merdier est international : l’antenne européenne d’un groupe palestinien prépare une prise d’otages en terre néerlandaise dans le but qu’on libère un confrère japonais arrêté à Orly par nos autorités – il revenait de Beyrouth, qu’Israël bombardait – et provoquera le jet à Saint-Germain, par un terroriste vénézuélien, d’une grenade américaine volée sur une base militaire allemande. La guerre du Vietnam s’essoufflait. Sur RTL ou Europe 1, on entend nettement moins L’Incendie de Fontaine et Areski que J’ai dix ans d’Alain Souchon et surtout que Rock Your Baby de George McCrae ou Le Mal Aimé de Cloclo, lequel se dispose à entonner Le téléphone pleure avec la fille de sa comptable, alors âgée de cinq ans et demi. Sous peu à Sapporo, la Callas donnera son dernier concert. Et moi, et moi, et moi, comme le scandait Dutronc huit ans auparavant ? Je suis venu au monde il y a sept mois et tout cela me passe au-dessus de la tête ; la première rengaine dont je me souvienne, À la pêche aux moules dans l’interprétation de Nestor le pingouin, ne devait se répandre sur les ondes que l’année suivante ; je vis donc et respire encore dans un parfait silence et un parfait oubli, à trois heures et demie de route du plateau des Bouzèdes, entre le Gard et la Lozère, où un cinéaste de trente-et-un ans nommé Pascal Aubier s’apprête à mettre en boîte un film de huit minutes et demie en une seule prise acrobatique, ce qu’on appelle communément un plan-séquence.
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Il n’y connaît pas grand-chose en arbres, largué dans une forêt avec la mission d’en nommer une douzaine il aurait fait chou blanc ; mais il remet au premier coup d’oeil les tilleuls, pour les avoir longuement observés, toutes les fois qu’il a pu passer du temps à leur côté, sous eux serait plus juste car il n’y a rien de mieux, trouve-t-il que de s’étendre sous leur feuillage, par temps clair, mais versatile, quand la lumière bavarde parcourt sa gamme, le tilleul, trouve-t-il encore, accrochant, superposant, décomposant celle-ci comme pas un ; sans doute la chose est connue, évidente pour les amateurs, galvaudée même, c’est à craindre, tant elle est remarquable, la tendresse et la fraîcheur inimitables de ce vert, maintenant qu’il y pensait universellement réputé sous le nom de vert tilleul (robes, rubans, papiers peints), et la transparence de ces feuilles, leur forme si propre à rappeler les pointillistes, plissât-on les paupières ou, se levant soudain, prît-on du recul – cette teinte, cette texture et ces bords interceptent, avec une rapidité surprenante, la plus infime variation, donc, de la lumière, et c’est un délice, si le tilleul est bien vieux, bien grand, bien seul, de la voir se déplacer dans son ombrage, éclairer tout un pupitre de feuilles ou n’en exhausser qu’une le temps d’un bref accord acidulé, jaune, blanc, frangé, ou se distribuer en découpes, liserés, taches aquatiques. Celui qu’il avait sous les yeux, deux fois plus grand que lui, n’était qu’adolescent, son exposition laissait à désirer, trop au nord, la lumière le ratait de peu, son écho l’atteignait mais pas sa chaude présence – laquelle d’ailleurs tiédissait comme, auparavant, le souffle du vent.
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Il n'y connaît pas grand-chose en arbres, largué dans une forêt avec la mission d'en nommer une douzaine il aurait fait chou blanc ; mais il remet au premier coup d'oeil les tilleuls, pour les avoir longuement observés, toutes les fois qu'il a pu passer du temps à leur côté, sous eux serait plus juste car il n'y a rien de mieux, trouve-t-il que de s'étendre sous leur feuillage, par temps clair, mais versatile, quand la lumière bavarde parcourt sa gamme, le tilleul, trouve-t-il encore, accrochant, superposant, décomposant celle-ci comme pas un ; sans doute la chose est connue, évidente pour les amateurs, galvaudée même, c'est à craindre, tant elle est remarquable, la tendresse et la fraîcheur inimitables de ce vert, maintenant qu'il y pensait universellement réputé sous le nom de vert tilleul (robes, rubans, papiers peints), et la transparence de ces feuilles, leur forme si propre à rappeler les pointillistes, plissât-on les paupières ou, se levant soudain, prît-on du recul – cette teinte, cette texture et ces bords interceptent, avec une rapidité surprenante, la plus infime variation, donc, de la lumière, et c'est un délice, si le tilleul est bien vieux, bien grand, bien seul, de la voir se déplacer dans son ombrage, éclairer tout un pupitre de feuilles ou n'en exhausser qu'une le temps d'un bref accord acidulé, jaune, blanc, frangé, ou se distribuer en découpes, liserés, taches aquatiques
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Mis en veilleuse comme une bouilloire ou un écran mais sans réaliser, hélas, la moindre économie d'énergie, je dressais un voile gris entre moi et le monde sur quoi tout rebondissait, l'attente, considérais sans me troubler des jours et des heures nuls, sacrifiés, pis-aller. Je savais que c'était un péché, qu'une âme forte et élevée devait voir chaque seconde comme une adorable, une inestimable chance qui ne revenais jamais.
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Assis et contraint à considérer des choses moches et ternes et toujours les mêmes, je les comprenais : nous l'avions dans le cul, notre centre de gravité, et la tête lourde quoique vide, solidarité.
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Souvent, tout à fait éveillé déjà mais encore étendu dans l'obscurité, sur le point, après avoir procrastiné autant que possible de voir rosir le jour où je n'aurais pas d'autre choix que de trimer, je me demandais si ma faite, quelle qu'elle ait pu être, méritait un tel châtiment. J'étais évidemment d'une impartialité sans faille et je concluais à mon innocence sans que m'effleure le plus léger des doutes ; alors, le jour se levait, beaucoup moins pur que le fond de mon coeur.
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toute en longueur il avance hardiment dans cette partie de la ville toujours en chantier qui va jusqu'aux collines rocheuses, ses arbres en enfance sont loin de pouvoir prétendre l'escamoter aux yeux des badauds. Un cours d'eau - bordé un bon moment par une palmeraie touffue, en contrebas, en apparence impénétrable - le traverse en ligne droite, passe sous une butte, qu'il faut gravir o contourner, pour mieux s'épanouir de l'autre côté, au creux d'une cuvette, en un petit étang paysagé. La volée de canards qui le sillonne en tous sens ne rendrait pas beaucoup plus réel ce qui ressemble beaucoup trop encore à une maquette au centième dans le hall d'un conseil régional si le jour finissant n'avait noyé le tout dans sa pétillante orangeade
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Masao se trompait. Tout cela n’est pas que dans sa tête.
Pour commencer, il n’a plus de tête, ni rien de ce qui va avec. Il s’est planté devant un miroir, plusieurs miroirs en fait, celui de sa chambre, de sa salle de bain, du Seven-Eleven du coin et du coiffeur juste à côté, ceux de la banque et du réparateur de téléphones, et il n’a rien vu, rien de rien : aucun contour ni aucune ombre, aucune impondérable ondulation de l’air et pas davantage d’équivoque lumineuse.
Face à l’entité qu’il croit être, le réel est inébranlable ; d’une indifférence radicale, ou d’une parfaite innocence.
Il penche plutôt pour l’innocence. Le réel ne se doute de rien.
Qu’est-il au juste ? Un fantôme ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître, depuis son réveil douze heures auparavant et pendant toutes les aventures de la nuit, vaines reconnaissances spéculaires comprises, il n’a jamais eu ce vocable à l’esprit, ni aucun de ses synonymes (revenant, ectoplasme, spectre).
Il le frappe comme une évidence. Ce n’est pas le bon mot, pas même une approximation ; mais son antiquité lui plaît, son flou artistique, sa noblesse. Masao le fantôme, pour vous servir.
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Entre l’instant où il perd conscience pour toujours et celui où il reprend pied, renouant avec ses pensées, un quart de seconde s’est écoulé, le temps d’un clin ou d’un hoquet, et cependant c’est un bouleversement complet : l’angoisse et la souffrance qui saturaient son esprit et son corps dans leurs moindres recoins, un quart de seconde auparavant, s’en sont entièrement retirées ; tranchées net, dévitalisées, sans rien laisser derrière, sans heurt, elles n’ont soudain jamais existé ; s’il l’avait su, il ne saurait plus dire ce qu’elles étaient.
C’est comme si l’on avait jeté la montgolfière avec le lest.
Pour autant, l’émotion qu’il ressent maintenant – quoi que puissent être cet il et ce maintenant, tous deux encore très obscurs pour lui, sans parler du reste – n’est pas de la famille des joies.
Un allègement indicible, oui, mais ni allégresse ni bonheur, aucune lumière radiante, rien de tout ça. D’abord parce que nous sommes au milieu de la nuit et que les seules lumières proviennent du dehors, de lointains éclairages publics, une faible demi-lune (par une sorte de pudeur, il s’est tué dans le noir) ; ensuite et surtout parce qu’il se voit, qon âme à défaut d’autre terme voit, se découpant dans l’ombre, celui qu’il était, pendu au plafond, sans doute possible décédé et que, soulagement ineffable ou pas, il ne s’agit pas d’un spectacle plaisant.
Il n’est tout simplement pas beau à voir, ni de l’intérieur ni de l’extérieur, ce que son âme fait à la fois.
Or rien n’est plus facile que de s’en détourner. Masao comprend très vite, intuitivement, les lois qui régissent ce nouveau monde. Il ne se voit que parce qu’il le veut bien, il n’a pas le temps d’y penser qu’il est déjà ailleurs, fondu dans la mangue sur l’assiette, son oreiller, intensément gouttière, lampadaire, arrêt de bus, explorant des caves ou des toits. Il doit se concentrer pour revenir dans sa soupente, s’avouer la permanence désormais granitique de sa funeste situation.
Ces retours sont fulgurants, fulgurantes ses fuites. Il s’oublie un moment dans ce petit jeu, voletant autour de sa dernière demeure, se lançant chaque fois un peu plus haut, dans le ciel, pour d’émouvantes vues générales. Il ne semble pas qu’il puisse crever le plafond des nuages.
(Il y aura donc toujours un plafond quelque part.)
Mais s’il fait plusieurs fois le tour du pâté de maisons, dévalant sa rue en pente, grimpant aux arbres, frôlant les oiseaux endormis, les fourmis, en vérité Masao ne s’est pas quitté d’un pouce, pas vraiment.
C’est un fait, une part de lui est dans la chambre. Il sait combien il pèse au gramme près, il est le matou qui trotte trois rues plus loin et la rigidité cadavérique de ses orteils, la mouette qui passe (il n’ose pas la suivre jusqu’à la mer) et sa poitrine livide sous sa chemise ouverte, son nombril exposé à l’air.
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« ... il y a dans les vers de Rimbaud une humidité, mousse de rayons et frais cresson bleu en témoignent, que de ce fait on ne retrouve pas dans les images d’Aubier, où triomphe la gloire de l’été. Ce n’est plus l’heure des haillons d’argent ni de la rosée. Ce corps avait vraiment besoin d’être réchauffé. »
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« Où étiez-vous pendant l’été 74 ? Presque trente millions de Français sur pas tout à fait soixante-dix pourraient répondre à cette question, quarante-cinq ans après les faits qui vont nous occuper. Une seconde question plus précise, que faisiez-vous pendant ce même été, nous conduirait à écarter du nombre ceux qui étaient trop jeunes ou trop distraits pour s’en souvenir, les amnésiques et les déments : voilà notre vivier amputé de moitié. Considérant maintenant ceux qui étaient responsables de leurs actes devant la loi, et justement c’est au début de cet été 74 que la majorité fut abaissée en France de vingt-et-un à dix-huit ans, nous obtenons un sous-ensemble de neuf millions, grosso modo. Neuf millions de mes compatriotes, moins une petite trentaine d’entre eux dont certains d’ailleurs n’étaient pas majeurs, n’ont pas réalisé le film Le Dormeur pendant l’été 74. Ils étaient pourtant juste à côté. Cette chose incroyable était en train de se passer, mais ils faisaient autre chose, une infinité d’autres choses que je serais tenté de passer en revue, mais ce n’est pas le sujet. Ils vivaient, tout simplement. […] »
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Trente-deux années après la fameuse nuit du 4 août qui vit la France voter avec exaltation l'abolition des privilèges, rien que ça, en s'imaginant un peu vite que l'affaire était dans le sac, naissait sans faire de bruit chez des paysans du Jura, les Vuitton, un enfant qu'on prénomma Louis.
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