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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Pourquoi le hasard a-t-il placé ce garçon sur mon chemin ? Pourquoi devait-il m’infliger son insupportable vivacité ? Fallait-il que cela arrive un jour ?

Je l’ai marqué longtemps, attentif et méthodique, palliant mes lenteurs par les ficelles du métier. Puis mes gestes m’ont échappé ; ils retardaient. Les plats de pied tournaient, les appuis vacillaient et les ballons à disputer devenaient d’harassantes épreuves. Je suais trop. Mes nerfs s’aiguisaient. Aux deux tiers du match, je n’en pouvais plus. Le jeune gars a râlé :

- « Changez d’aile les mecs, variez. Ici ça passe ! J’le mets dans ma poche les doigts dans le pif, i’ broute le gros. » Ces mots et cet accent du faubourg me causèrent une immense douleur. Je ressemblais désormais aux faibles que je charriais jadis : chevreau, chevrette et compagnie ! La déchéance était accomplie puisque maintenant on se moquait de moi, ouvertement. Le petit gars pétait l’arrogance. Ses copains se mirent à le servir posément. La stratégie du gruyère ! Le trou, c’était moi. Alors je l’ai fixé intensément, le plus fort que je pouvais. Je ne l’ai plus lâché d’un crampon. Peu m’importait l’évolution du jeu, les jambes du type étaient devenues mon seul et unique objectif. J’épiais leur ronde, leurs attentes, leurs faux semblants et avant que la balle ne leur parvienne, je jaillissais déjà. Il comprit très vite mes dispositions. D’abord il s’exila dans un coin du terrain, loin de l’action, pour se laisser oublier. Puis, las de sa diversion, il modifia sa tactique. Ses courses quadrillèrent le champ de jeu. Il se trouvait partout en appui, proposant son aide pour redoubler les passes, à l’aile pour soutenir le véritable ailier, derrière pour relancer de loin les vagues. Trois giclées de cette cadence et mon cœur explosait ! Suivre ses chevauchées de gosse devenait impossible. A droite, à gauche, je cherchais de l’aide. Les copains, au contraire semblaient me reprocher les espaces laissés libres entre le type et moi. Alors je me suis affolé. M’approchant de lui lorsqu’il prit le ballon, je l’ai frappé violemment du pied, à mi-tibia. Il a hurlé. S’est roulé à terre pendant quelques secondes puis s’est relevé. Je ne me souviens pas avoir remarqué la haine dans ses yeux quand il s’est approché de moi. Trop près de moi. Pourquoi l’ai-je frappé au visage ? Je ne le sais pas.
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[sur le match Reims-Austria Vienne de 1962]

La rencontre aller, à Vienne, avait été plutôt houleuse. Le public Autrichien avait insulté les joueurs français sans le moindre égard pour leur qualité de « visiteurs ». L’arbitrage avait été partial. Les Rémois avaient perdu un des leurs, expulsé du terrain, et s’étaient inclinés devant leurs adversaires. Les journalistes français, indignés, avaient multiplié les papiers vengeurs où joueurs et public Autrichiens prenaient figure de barbares. Ces compte-rendu avaient créé un climat de haine et de violence et, le jour du match retour, c’est tout un peuple qui montait à Paris pour laver l’affront. On cria vengeance. Paris-Jour titra : « Reims-Austria, il va y avoir du sport ! ». L’Equipe lança un appel au calme sous la plume de Jean Cornu : « Il est nécessaire d’oublier l’atmosphère de Vienne. La colère, le désir de vengeance n’engendrent rien de bon ». Malgré cela, le match fut un véritable enfer, les pauvres Autrichiens furent les victimes d’un déchaînement populaire comme on en vit rarement en Europe. « Les français étaient 40 011 contre 11, les joueurs d’Austria ont été hués, insultés, bombardés pendant une heure et demie et Paris a pris à Vienne le titre de public le plus odieux d’Europe. » (Louis Naville, Paris Presse). « C’était une ambiance de folie, d’hystérie collective et l’on craignait pour les joueurs Autrichiens, tant l’immense foule qui garnissait le stade était surexcitée. » (Paul Katz, Le Parisien Libéré). Gabriel Hanot, fondateur de la Coupe d’Europe prit la parole : « Le sort de la patrie n’est pas en cause. Il s'agit simplement d'un débat sportif où les participants parlent la même langue internationale avec des intonations propres à leurs pays. » Sous l’effet d’une cause exceptionnelle, les supporteurs avaient révélé leur véritable nature : des partisans haineux, uniquement inquiets de la puissance, de la victoire. Ils étaient venus là pour tuer, symboliquement.
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Misère ! Je me déteste chaque jour davantage. Mon ventre me hante. Je me place pendant de longs moments à l’observer dans la glace trop fidèle de notre armoire. D’horribles sensations me traversent. Et la certitude tenace que le volume de la graisse qui m’entoure s’amplifie à la semaine, que l’enflure croît à vue d’œil et que dans quelques années mon corps sera difforme. J’en viens même à haïr tout ce qui lui appartient : poils, ongles, sexe ! J’imagine le dégoût des femmes pour mes membres. Ces muscles sinueux qu’elles caressaient des yeux, leur désir, tout me lâche. J’en pleurerais. Faire l’amour me lasse désormais. J’ai perdu le goût au plaisir. Et puis j’ai l’impression qu’Odile ne m’aime plus parce que je suis trop gros. Je me sens incapable de jouissances triomphantes. Je ne les mérite pas. Ai-je aimé autre chose que mon propre corps, ma propre force ? Je les hais à présent puisqu’ils me trahissent.

Comment faire taire mon corps ? Je sais qu’il parle aux étrangers, qu’il révèle mon âge et mes faiblesses. Tous les corps parlent. Lorsque je marche dans les rues, j’imagine les passants commenter en leur for intérieur : “Ce qu’il peut être gros ! Tu as vu ce ventre ! Il est vraiment bouffi ! J’ai horreur des hommes gros, ils me répugnent, leur graisse me fait vomir”.
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