L'inceste est une profonde négation de l'état d'enfant qui anéantit la filiation et l'ordre des générations. L'abus peut être violent mais il peut aussi s'enrober de pseudo tendresse-amour , produisant alors une grande confusion entre amour et cette chose non symbolisable et "pas normale" vécu par l'enfant. Il est cependant toujours violent, difficile à penser et dévastateur.
Si le discours actuel se lamente de l'absence des pères, les mères seraient tout comme les pères déstabilisées, en recherche de réponses maternelles parfaites et en perte de référence à une négativité qui permettrait de transmettre à l'enfant la possibilité de ne pas être rassasié immédiatement tout en "contenant" la frustration par la présence, la voix et les mots. Quant aux pères il semblerait y avoir une fréquence accru de pères-mères, de pères trop proches qui ne transmettent pas de différenciation ou de désir, de pères qui parlent trop ou partagent leur jouissance, de pères qui ne peuvent être pères pour différentes raisons mais en soutiennent le masque, carence multiple de manière "absente, humiliée, divisée ou postiche" pour reprendre les termes de Lacan. Nous serions ici en présence de pères présents, mais inopérants, évités.
Ces familles entretiendraient l'illusion qu'il n'y a plus de temps, plus d'Histoire, plus de distances, plus de séparation, plus d'altérité, plus de pertes, plus de manque, plus de castration, avec une fixation à l'objet préœdipien, représenté par l'enfant incestué, enfant "fétiche".
Quand le parent fonctionne lui-même comme un enfant ou un adolescent, il laisse à l’enfant le soin de régler ce dont il a fait l’économie, désistements divers sur fond de désistement global de sa fonction parentale différenciatrice, limitante et contenante. C’est alors une inversion ou interchangeabilité des générations et des rôles où l’enfant adultifié et parentifié est investi d’une mission dont il n’a pas les moyens auprès du parent enfant qui attend d’être compris, réparé, soutenu, narcissisé ou même reconnu comme parent par l’enfant dont il craint de perdre l’amour.
A défaut de mots, agir ou montrer, c'est aussi devenir acteur de ce qui se passe, se sentir moins passif, impuissant. C'est parfois "sentir" physiquement la limite, donner forme à l'informe ou y trouver un refuge de fortune : "être" un enfant difficile, une boulimique, un dépressif... c'est à la fois ne plus être "rien" tout en se différenciant du parent. Il s'agit en définitive d'agir-appels à "devenir", à faire exister des limites consistantes pour pouvoir s'y situer et y vivre.
L’enfant n’est ni un équivalent d’adulte, ni un ami, ni un confident. Le déni d’enfance l’assigne à une place équivalente à celle de l’adulte, déni d’une asymétrie généalogique, physiologique et psychologique de fait.
Tout ce qui est extérieur est éliminé ou exclu, vécu comme menace pour le narcissisme individuel ou familial. [...] Les tentatives d’autonomisation de l’enfant seront réprimées à coup d’intimidations, disqualifications, rétorsions, punitions ou chantages pour sceller les choses dans l’immobile (parfois jusqu’à l’inceste), bridant sa capacité de penser et d’agir.
Chaque histoire est différente, pétrifiante ou volcanique, brutale ou insidieusement séductrice, mais toujours sidérante, car non intégrable par l’enfant qui ne peut se protéger qu’en se dissociant : une partie clivée de lui-même ignore l’abus pour maintenir le lien avec l’abuseur, souvent un parent aimé.
Cette nécessité de complétude narcissique et de faire « peau commune » procède souvent de parents eux mêmes carencés ou incestualisés, en manque de ressources.
Peut-on vraiment faire bouclier sans se couper du vivant ?