AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de sonatem


 
épreuve de la pluie
 
La pluie est une présence. On écrit cette phrase et on se sent moins seul. Je ne parle pas d'une solitude qui suppose l'attente d'un amour. Je parle de celle plus drue et plus noire de l'origine. La solitude inouïe d'être séparé. D'être là. D'être.
On écrit cette phrase et l'on tremble.
C'est parce que l'on rassemble en soi les fragments de la nuit pure, et qu'en fermant les yeux, toutes les images se referment.
C'est parce qu'une floraison à l'envers est venue clore nos lèvres et qu'aucun son ne jaillit hormis ce crissement de l'encre.
Rien, à peine. Une main sur une étoffe. Une rumeur de coquillage posée sur l'oreille quand les fleuves nous rentrent dedans, en chuchotant, écarquillant les veines, ouvrant le coeur au saccage de tous les flots.
Ce coquillage n'existe pas. Ou alors c'est la page blanche. Y posant l'oreille, on entend les loups, les chevaux, le galop des hommes sur la terre pour en faire le tour, l'apprivoiser, terre plus ronde que le ventre des femmes, enfouissant nos mains, nos pieds pour une autre naissance, portant la pourriture à sa douceur extrême : toute enveloppe nous lâche, nous abandonne et c'est cela la nudité, encore, qu'aucun vêtement ne cache, la nudité du silence le plus simple chez quelqu'un qui sait à peine parler. La nudité qu'aucun mot n'enferme et qu'il est impossible de nommer. La sainte nudité, l'enfant du monde en notre ventre, hommes et femmes comme les branches d'un même arbre dans le rosier de la lumière.
La pluie coule sur le corps du jour et le lave telle une amoureuse. Elle offre ses mains à ses épaules, à son dos, il se frotte contre elle et quand il s'incline, c'est la nuit qui s'allonge ici, des millions de feuilles jonchent le sol : un peu de rouille dans la bouche. C'est la même nudité que la pluie. La même nudité que le front des morts, le sel des étoiles, le mouvement de l'océan contre la falaise, le sable immense d'un désert, une terre labourée, la toison des brebis, la main ouverte d'un amour, la lèvre du ventre et la lèvre du visage, la même nudité que celle du dieu séparant les eaux pour son propre baptême, créant avec son ombre la ligne de partage entre le ciel et la terre, le blanc et le noir, le dedans et le dehors, couchant sur le corps de l'homme le relief de la femme, fermant toute chose dans l'oeuf de son contraire, pour l'éternité, la même nudité que le néant dans le regard des pauvres qui nous brûle de tout ce que nous n'avons pas donné.
 
pp. 29-30
Commenter  J’apprécie          240





Ont apprécié cette citation (21)voir plus




{* *}