Jacques Bonnaffé lit "Lap remière tarte", texte extrait du livre de Dominique Sampiero, Territoire du papillon, à paraître aux Éditions Alphabet de l'espace le 11 janvier 2010, un livre-dvd avec aussi Élodie Guizard.
Je t’ai perdue dans le chaos du quotidien, et dans mon cœur tu prends la place d’un immense pré sous l’orage. Mes caresses sont des branches arrachées aux arbres, tes baisers, des nids abandonnés par les oiseaux, ma tristesse, une immense flaque cachée sous l’herbe.
Il y a des livres que j'achète pour leur odeur. Leur titre. Leur velouté entre mes mains. Ou les premières phrases du premier chapitre. Puis je les pose dans un coin. Je les oublie. Quand je les retrouve, j'ai toujours une légère peur.Et si j'étais déçu? Cela arrive. Le moment est mal choisi. Il faut attendre encore. Il m'est arrive de lire un livre deux, trois, quatre ans après l'avoir acheté. La rencontre se faisait à nouveau, brutale,comme une étreinte.
Retrouver le silence et ses mouvements de ciel au fond du corps. Les laves de nuages, d'averses endormies. Passer en faisant le moins de bruit possible, fossile de sa propre chair, l'oreille tendue aux chuchotements de ce qui va mourir, écorces, feuillages et mouches.
Apprendre à vivre avec le peu, le presque rien, au bord, jusqu'à ce que le froid, en raidissant la chair, brise tous les visages sur le miroir gelé des étangs.
Comment parler de la mort et peut-être l'apprivoiser sans avoir peur d'elle, ni de ce qu'elle nous retire, en pensant à ce qu'elle ajoute à tout ce qui manque ?
L’aile du ciel est grise avec des reflets mauves et quand il pleut enfin, c’est une nuée de lumière se couchant sur l’herbe pour l’embrasser.
Du coin de l'oeil
j'essaie de ne pas couler
de rester à la surface
exacerbée de la matière
repoussant des mains
la marée haute des sables mouvants
Seules les parois du texte
me tiennent
Et toi
(" Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées")
Comme la brume et les nuages, Dieu aime le sommet des arbres. Il a créé les troncs et les branches basses, des écorces rugueuses faciles à saisir, et les enfants y grimpent de toutes leurs mains. Il endort ces jeunes ouailles sur la fourche la plus large pour qu’elles apprennent dans leurs rêves à voler. Puis le diable les réveille en sursaut et les incite à cracher sur les gens qui passent. Quand ils visent bien, le diable rit dans son terrier et avale toute une couvée de perdreaux en rotant. Ceux qui ne croient ni en Dieu ni au diable abattent les arbres à la tronçonneuse.
Il y a des livres que j'achète pour leur odeur. Leur titre. Leur velouté entre mes mains. Ou les premières phrases du premier chapitre. Puis je les pose dans un coin. Je les oublie. quand je les retrouve, j'ai toujours une légère peur. Une sorte d'appréhension, la même peut-être que celle ressentie au rendez-vous donné à une fille qu'on a vue une fois : et si j'étais déçu ? Cela arrive. Le moment est mal choisi. Il faut attendre encore. Il m'est arrivé de lire un livre deux, trois ou quatre ans après l'avoir acheté. La rencontre se faisait à nouveau, brutale, comme une étreinte. (p.49-50)
Chaque regard porté sur le chemin, sur la maison de l'autre côté du trottoir, l'arbre devant la porte, oui, chaque regard donne une direction, un mouvement, quelque chose comme une joie simple.
Et même assis pour écrire, j'ai l'impression d'avancer, d'être là, tout simplement, au cœur du foisonnement qui pousse la sève au printemps à grimper dans les écorces, pour redescendre sous terre à l'automne, le même élan, le même désir de racine dans le terreau de ne rien posséder, ni moi, ni rien, ni les autres.
Je n'ai pas envie de ressusciter la volonté, mais plutôt de me laisser dévaster par elle. Ouvrir les vannes de ce qui arrive et qu'enfin les personnages s'enfuient, m'échappent, tentent leur suicide. Ou le meurtre de l'auteur. (p. 76-77)