Je tiquais, même si je ne pouvais m’empêcher de ressentir une décharge de plaisir vaguement répréhensible. Oui, je la sentais me picoter du côté de l’estomac et voilà qu’elle se propageait vers le bas du ventre. Oui, c’était indiscutable. Un plaisir acidulé que je n’avais pas appris à connaître m’avait encore investi. Il fallait que je le sonde pour savoir si je pouvais lui laisser prendre prise ou le briser impitoyablement. Avec cette aigreur caractéristique, je devinais qu’il appartenait à ces fruits défendus. Un poison lent et délicieux qui n’apporterait à terme que décomposition.
Deux forces violentes qu’on apprenait à maîtriser. La force de la mémoire et la force de l’oubli. Apprendre était déjà difficile. Apprendre à oublier nécessitait encore plus d’énergie. Mais c’était la règle fondamentale qui avait permis au monde de faire un bond prodigieux, de se débarrasser de tous ces appareils fantastiques du passé, juges, tribunaux, et toutes les administrations sur lesquels juchait le monstre froid qu’avait été l’État.
Dix minutes ça aurait dû prendre minutes, et elle m'aurait foutu dehors, quitte à me cracher dans l'oeil. Maintenant j'ai la certitude que cette soirée durera deux ou trois éternités...