L’oeuvre de Yasmina Khadra avait déjà éveillé mon intérêt il y a quelques années. Auteur algérien sous un pseudonyme féminin, il écrit principalement sur le dialogue de sourds entre l’Occident et le Moyen-Orient qui embrase le monde depuis des décennies. Les Hirondelles de Kaboul reprend le thème à travers des histoires d’amour aussi déchirantes qu’elles sont désespérées.
Yasmina Khadra donne vie à deux couples. Le premier est celui d’Atiq, un geôlier morose, aux côtés de sa femme Mussarat, gravement malade. Atiq a perdu tout sens à son existence et se contente de garder les cellules où tombent toutes celles qui sont jugées impures ou scandaleuses par les talibans. Mohsen est marié à la belle Zunaira, une ancienne magistrate quia dû quitter le barreau et ses rêves de liberté. Le drame hante le récit dès le début du lire et atteindra son paroxysme lorsque leurs destins se croiseront.
L’écriture de Khadra construit des personnages subtils en prise avec des vies qu’ils ne maîtrisent plus. La précision de l’écriture permet de construire des portraits touchants. la profondeur est surprenante pour un roman très court, un peu moins de 150 pages. Zunaira m’a particulièrement touchée, avec sa rage contenue de devoir vivre en cage comme un animal, bercée par les souvenirs d’une époque où elle pouvait être livre. Atiq est un personnage plus froid par nécessité, mais qui finit par s’adoucir par son humanité.
L’écriture recèle une beauté dans les descriptions. Nous sommes immergés dans ce Kaboul encore fumant des bombes, au rythme d’une guerre qui n’en finit pas de déchirer le peuple hagard. La plume est parfois viscérale dans sa description de rues dénudées par les conflits, où les pauvres errent, parfois déjà rendus fous. Yasmina Khadra nous offre ainsi quelque chose de profondément humaniste. Un extrait, histoire de vous donner une idée de l’ambiance qui règne au travers des pages.
“Les choses vont de mal en pis, à Kaboul, charriant dans leur dérive les hommes et les mœurs. C’est le chaos dans le chaos, le naufrage dans le naufrage, et malheur aux imprudents. Un être isolé est irrémédiablement perdu. L’autre jour, un fou criait à tue-tête dans le faubourg que Dieu avait failli. Ce pauvre diable, de toute évidence, ignorait où il en était, ce qu’il était advenu de sa lucidité.”
A travers son texte, Yasmina Khadra interroge sur la notion d’humanité. Il parle aussi bien de la condition des femmes que de celle des hommes, contraints à perdre de leurs droit et de leur esprit pour continuer à vivre, voire survivre. Il écrit sur l’extrémisme religieux, ses ravages, sa violence, son aveuglement. La liberté, aussi, à travers son titre, avec ces hirondelles qui passent dans les rues comme des ombres anonymes. Sans nom, sans voix, sans droit. Dommage que le récit n’ait pas durer quelques centaines de pages pour bien développer et étendre son propos.
Mais d’un autre côté, l’aspect bref du roman lui apporte quelque chose de lapidaire. Comme si son aspect écourté symbolisait avant tout les vies des habitants de Kaboul. L’auteur choisit de terminer son texte par le drame. Bien sûr, on pouvait s’y attendre après un portrait si noir de notre belle humanité. Il semble nous dire que ni l’amour, ni l’espoir, ne sauront suffire à ramener ce monde si bas à un soupçon de raison et de lumière.
Le thème était complexe mais Yasmina Khadra parvient à créer une atmosphère presque apocalyptique en peu de mots. L’écriture est précise mais poétique, toujours dans la justesse, le viscéral. On sent les personnages portés par une situation qui les dépasse, englués dans une forme d’impuissance crasse qui nous révolte. Le récit nous embaume dans un humanisme universel, nous appelant à la tolérance et à la réflexion face aux pouvoirs qui prétendent détenir une vérité unique.
Lien :
https://lageekosophe.com/