Elle découvre alors que tout est possible dans le champ de l'art, à la condition d'être cohérent, rigoureux dans son travail et honnête avec soi-même. Les formes, les couleurs, les matières peuvent échapper à la hiérarchie des genres, il n'y a pas que la peinture à l'huile et le marbre de Carrare pour entraîner l'esprit et la main à explorer le monde de la création.
A écouter les brodeuses, qui témoignent de la sérénité que leur procure leur ouvrage, on comprend vite que cela va beaucoup plus loin qu'une éphémère toquade. Cette sérénité semble se développer avec le va-et-vient de l'aiguille. En effet, la brodeuse, au fil des points, se dérobe à l'agitation ambiante pour "rentrer en elle-même", mettre de l'ordre, retrouver son droit fil intérieur : réconcilier l'esprit qui veut et la main qui fait.
Aujourd'hui, broder c'est s'offrir le luxe du temps gagné sur les transports, dérobé à la vie familiale, récupéré sur la télévision, détourné d'autres activités. Le point de croix requiert de la lenteur, un déroulement qui ne peut s'accélérer ni se compresser comme notre époque l'impose. Chaque point est une fraction d'éternité. Offrir une broderie que l'on a faite de ses mains, c'est donner un peu de soi, mais aussi quelque chose de totalement immatériel et d'infiniment précieux : son temps. Voilà pourquoi, sans doute, la broderie au point de croix procure un véritable enchantement.