JULIETTE. – Oui je sais, Monsieur Néron a peur des souvenirs. (Elle s'approche d'Alibi.) Comprenez-le, il était le père, le maître tout-puissant, Néron régnait. Rien ne résistait à mon cher époux, les forteresses tombaient comme des mouches ! Néron ne supportait pas la contradiction, les yeux se baissaient sur son passage, il usurpait le soleil. Il le brûlait. Et voilà que la mort du canari vient tout bouleverser, sa disparition remet tout en question ; Néron et son pouvoir, là-bas et leurs rires. Le canari est mort sans la permission de Néron et pourtant c'est Néron qui l'a tué.
JULIETTE. – Rumeur ou pas ! Ils nous auront cette fois-ci. Le pardon est un luxe bien au-dessus de leurs moyens, et nous avons perdu le privilège du regard froid, sec, calculateur, haineux. Le procès, ce n'est pas seulement cette rumeur, c'est aussi leurs regards ; il faudra supporter ces regards, car ils ont appris à lever les yeux, Néron ! Ils osent nous regarder aujourd'hui. (Elle referme la fenêtre.) Mais qu'avons-nous donc fait ?
JULIETTE. – Néron ne dit pas tout ; il n'ose pas tout dire. L'ont-ils eu, oui ou non, notre bordel de voix ? Et pour nous dire quoi ? Qu'il n'y a pas une goutte qui fait déborder le vase, mais que toutes les gouttes le remplissent. Qu'ils nous avaient assez vus ! Oui monsieur, parfaitement, qu'ils en avaient plein le cœur ! (Elle ouvre la fenêtre.) Depuis des siècles, depuis toujours. La voilà notre voix décente ! Destructrice !
NÉRON , il écoute des annonces publicitaires. – Le canari les faisait bien rire. « Coucou ! Coucou ! Pourquoi ne s'envole-t-il pas ? disaient-ils. Un oiseau jaune qui ne sait ni voler, ni chanter ! À quoi peut-il bien servir ? Si au moins ça se mangeait, on pourrait le cuire : Canari aux champignons et à la sauce coloniale. »
En me revêtant de ces maux, Néron voulait se blanchir, échapper à ses cauchemars ; mais moi, le canari mort, le « Noraf », le « bougnoul », je lui tends un miroir dans lequel il doit se regarder ; je lui demande de « poser son cul sur la table »… Et ça pue !
JULIETTE. – Et voilà que mon Néron se retrouver sans trône, sans fusil, sans bombe, plus personne à brûler ! Il doit rendre des comptes maintenant.