Citations de Flora Devatine (23)
Et j'écris
Par gourmandise d'écrire,
De ces gourmandises salées-sucrées,
Aigres douces, agréables et insatiables !
Extrait du poème Écrire
L’ODEUR DE LA MER
Contre l’étrave de la pirogue clapotent des vagues
Dont l’odeur se mêle à celles de la terre
Toutes assiègent mon esprit et mon corps oublieux
Sensations d’eau en vallées sur le corps sous la pluie
La pluie
Encore elle
Toujours elle
Partout elle
La pluie jouissive sur les flaques alentour
On aurait dit un vol d’oiseaux bruissant des ailes
S’abattant de toutes parts
Pluie de mots
Pluie de sons
Que je ne peux retenir
Dont je ne sais que faire
Sous le double toit éventré
De ma maison délabrée
En sécurité je suis
L’orage que je redoute
Ne m’y atteindra pas.
L’ordinateur impassible attend son poème
Un poème qui tarde
Du poète qui désespère
Du rythme qui hésite
Et la pluie qui s’est tue.
OÙ EST-IL LE CHEMIN ?
Où est-il le chemin
Que chacun de nous suit ?
Il me faut y passer
Y pousser ma pirogue.
D’autres avant toi
En effet sont passés
Mais la mer
Derrière eux
A effacé leurs traces.
Je n’ai plus de repères
Je n’ai plus les Anciens
Pour me guider en mer.
Je n’ai plus qu’à passer
Qu’à pousser ma pirogue
En faisant mon chemin.
Par l’écriture, je m’octroie des mots d’écrits des pays que j’habite
La poésie me permet des audaces, dont celle d’écrire à sec et à vide.
L’écriture est ma ciselure d’inscription ou à défaut de plume, je taille et j’aligne
Des bâtonnets porte-plume sans fin.
ADRESSE
En-deçà et au-delà
De nos identités originales
De nos appartenances communautaires,
En-deçà et au-delà
De nos langues détournées, transgressées,
De nos noms reconnus, ressourcés,
De nos terres de nos îles morcelées, archipélagées, dispersées,
En-deçà et au-delà
De nos ruptures, brisures, cassures,
Des clans guerriers, clans paroles, clans écritures,
Clan mémoire, clan histoire,
En-deçà et au-delà
Des mélopées funèbres, désespérances de nos béances,
Manques dans nos corps, de l'âme et de l'esprit en nos sociétés multiples,
En-deçà et au-delà
De tout ça qui fonde et nourrit nos interventions et écritures particulières,
Nous gardons et emporterons dans nos bagages quelque essence qui est :
Sur nos chemins de partage,
L'apport par chacun de son brin de conscience,
De réflexion, d'humanité,
Pour commencer à dire ensemble,
Avec nos mots, nos sonorités, nos musiques intérieures,
La chose à transmettre,
L'esprit de juste mémoire :
Tailler, ajouter, renouer, rénover,
Aplanir, étendre et retresser la natte humaine.
Sur nos chemins de partage
L'apport par chacun de son brin de conscience,
De réflexion, d'humanité ,
Pour commencer à dire ensemble
Avec nos mots, nos sonorités, nos musiques intérieures ,
La chose à transmettre
L'esprit de juste mémoire:
Tailler, ajouter,renouer, rénover ,
Aplanir, étendre ,et retresser la natte humaine.
"Au vent de la piroguière"
Plus que l’écriture,
C’est l’impression, le tatouage.
L’impression,
C’est une idée qui prime,
Une idée qui naît et qui s’impose.
Je ressasse, me répète,
Une sorte de compulsion,
Je n’écris qu’à partir de moi sur moi.
Quant à écrire sur les autres,
Le plus sûr moyen est de passer par soi.
Extrait du poème Écrire - Poèmes du quotidien
La vie m'a gâtée.
J'ai reçu d'elle,
Au-delà de ce que j'en attendais,
Et j'en reçois encore et toujours.
Qu'est-ce que l'écriture,
Pour un peuple sans écriture?
Qu'est-ce que la parole,
Pour une société de l'écriture?
Paroles (p.124)
Les beaux jours,
Les mauvais jours,
Tout est relatif.
Cela n’empêche pas
De profiter du temps qu’il fait,
Et du moment qui passe.
...Je me présente le long de ma rive
Sans pouvoir me lancer…
...Me contentant de contempler, de loin,
Mais sans jamais me mettre en route,
Encore moins, en prendre la direction !
N’avançant qu’en zigzag,
Et pourtant sur moi-même...
(p. 48)
Les beaux jours,
Les mauvais jours,
Tout est relatif.
Cela n'empêche pas
De profiter du temps qu'il fait,
Et du moment qui passe.
Le balancier
Je serai
Le balancier
De ta pirogue,
Pour le restant
Du voyage,
Pour le restant
Du chemin.
Sans toi,
Ma vie
N'a pas de sens,
Sans toi,
Je ne suis
Qu'un bois flottant.
Mais ne pèse pas
Trop de mon côté,
Pour ne pas
Briser l'équilibre,
Ne pèse pas
Trop de mon côté,
Si nous ne voulons pas
Chavirer.
Tergiversations et rêveries de l’écriture orale
extrait 2
É-C-R-I-R-E
Six lettres qui n'hésitent pas à s'afficher
Avançant, seules, buste en avant
Traçant, frappant, martelant la route
Et emplissant l'air de leurs rythmes !
Écrire !
C'est notre vie !
C'est notre « job »
Spécialité ?
Condamnation ?
C'est notre liberté !
C'est quelque chose, dans nos cordes !
Allons enfants . . . !
Teie mai nei to mau tamari'i . . . !
Afa'i mai nei i te mau pehepehe
No to taua'ai'a . . . !
Te amo nei ho'i matou
I te hanahana o to tatou fenua . . . !
Intéressées, impatientes
De découvrir et de décrire
Vos paysages intérieurs !
Nous sommes prêtes à toutes vos frasques !
Nous acceptons tous les défis de votre imaginaire !...
En écriture, en peinture, au lieu de l'exil,
Ce fut l'art "in-île" de créer des mots en soi.
Allume-feux,
Inspire-poèmes,
Fabrique-histoires,
Bleue et féconde la houle
Grosse de sa propre renaissance
Du fond des mers en effervescence
L'horizon ouvert, mère et fille
Dans un face à face subtil!
J'ai voulu voir et tout connaître,
Alors je me suis lancée sereine
Sur le chemin vaniteux
De la Connaissance
[...]
J'ai réappris l'ignorance,
Début de la sagesse,
J'ai réappris l'humilité,
Me suis fondue dans la foule.
Tergiversations et rêveries de l’écriture orale
extrait 3
Et j'écris
… Et moi qui suis encore tissée... !
Que dis-je ? Étoffée à l'indigène !
Et, comme le « tapa », frappée de fibres d'oralité !
Qu'est-ce que je prétends ?
Écrire !
Me lignifier !
Et j'écris
En suivant le fil de l'écorce de mon bois,
Recherchant le sens de ma fibre, et en même temps,
Explicitant, justifiant,
Je ne sais pourquoi !
Et j'écris
Mais je doute de ce que j'écris,
Comme du bien-fondé de l'écriture !
……
« À quoi cela sert-il ?
Cela vaut-il la peine que je dise, que j'écrive ? »
……
Ai-je à me préoccuper du sens,
Ou de la portée de ce que j'écris ?
Et j'écris comme je parle
Comme je parle comme je pense
Comme je pense comme ça vient
Et que ça s'écrit !
ET RESSORTENT LES RACINES
ET RESSORTENT
LES RACINES
DE L'ARBRE MURISSANT…
ET SOUFFLE
LE VENT
QUI RETOURNE LA TERRE
RETOURNE MON BALANCIER…
ET FRAPPENT
LE FLUX
CONTER LE « PARI » ;
ET LE REFLUX,
CONTRE MA PIROGUE…