Citations de Francis Vielé-Griffin (40)
Le trésor du beau jour s’amasse…
Le trésor du beau jour s’amasse
Au sûr gré de qui sait prévoir ;
Laisse choir tes cheveux, en masse
Clair-odorante! laisse choir
Ton beau corps, dans l’herbe étonnée
D’éteindre son poids tiède et blanc !
Quel dieu des Payens t’a donnée
A la Joie ?… ô tes longs cils tremblants…
Quelle force m’étreint et nous dresse,
Sous le soleil pur, enlacés ?
Suis-je ton jeune dieu, prêtresse ?
De quel temple effacée…
EUSSE-JE ailleurs trouvé l’amour ?...
EUSSE-JE ailleurs trouvé l’amour ? — le jour s’endort
À l’occident, reviens : ne t’ai-je pas menée
Où flotte le parfum suave d’un rêve mort,
Ó Berthe, ô ma Gretchen, ô ma douce Renée ?
… Tes grands yeux, et ta natte ingénue, et ta voix
Rieuse et musicale en naïves répliques,
Et ta candeur céleste alors que tu m’expliques
Les pourquoi fabuleux des choses que tu vois…
Heure unique d’amour inconsciente et chaste,
Crépuscule brûlant d’un radieux été; —
Oh ! l’Idylle candide et tendre que c’était,
Malgré que soit venu cet autre soir néfaste.
Assis à tes genoux, dans l’ombre où se noyait
Ta forme, j’écoutais ta voix, comme en extase :
Chaque contour naïf me semblait une phrase ;
Les mots inespérés et fous, que m’envoyait
Le souffle printanier de ta lèvre mutine,
Paraissaient onduler à l’entour de ton corps :
Pour moi, couleurs et sons se confondaient, alors,
En l’ivresse d’aimer une femme enfantine…
NE croyez pas…
Extrait 1
NE croyez pas,
—Pour ce qu’avril rit rose
Dans les vergers,
Ou pâlit de l’excès voluptueux des fleurs —,
Que toutes choses
Sont selon nos gais cœurs,
Et qu’il n’est plus une soif à étancher.
Ne croyez pas,
— Glorieux des gloires automnales,
Ivres des vins jaillis que boit l’épi qu’on foule —,
Qu’il n’est plus une faim que rien ne soûle :
Car Décembre est en marche dans la nuit pâle.
…
Je vais à l’orient des candeurs claires
Je vais à l’orient des candeurs claires
Où l’on brandit ses songes dégainés !
Jusqu’à la route, ardue aux seuls qui n’ont pas foi,
La forêt se meurt en broussailles ;
— Route des pays bleus où le plus digne est roi,
Route prédestinée
Qui court, radieuse comme une année,
Par la plaine des représailles !…
22 – N’importe ? pensée, Alerte !
N’importe ? pensée, Alerte !
L’écho de nos pas nous approuve;
Marchons vers la vaste mer verte
Sur la route qui s’ouvre.
Je t’interpelle dans l’ombre,
Ou me tais pour entendre ta voix
- Le ciel s’est fait bas et sombre
Et pèse comme la voûte des bois -
Alerte, vers ailleurs ! ma pensée;
Vers demain et sa rive ignorée:
Une chanson de route cadencée
Vibre au loin, comme un vol essoré…
20 – Son temple est vaste et morose…
Son temple est vaste et morose;
Son culte est fébrile et sans fin;
La prière, sans une pause,
S’élève d’hier en demain;
Et seul le choeur varie:
Tantôt maintes voix, tantôt une,
Aux accords du vent se marient
Au-dessus de la grève et des dunes;
On chante de voix haute ou discrète
- Qui sait si le choeur s’en grossit
Qui sait si la voix qu’on se prête
Ne s’étouffe pas dans le bruit ?
19 – N’es-tu lasse, aussi, de rêver d’hier ?
N’es-tu lasse, aussi, de rêver d’hier ?
N’es-tu prête à prophétiser ?
Je suis triste et seul et fier
De mon rêve maîtrisé.
Ne veux-tu pas songer à l’ombre
Enfin! où nous entrons ce soir;
Et voudrais-tu que je renombre
Mes vieux et mes jeunes espoirs ?
Je suis triste, par-delà la tristesse,
Et si seul que la foule m’émeut;
Pensée, seras-tu la prêtresse
Du Dieu de la vie, de leur Dieu ?
18 – Rester ? tu es folle, pensée !
Rester ? tu es folle, pensée !
On serait seul – rien ne dure
Rester comme une ombre aux croisées,
Comme un portrait qui sourit au mur ?
C’est déjà trop qu’on s’attarde;
Notre heure est loin sur la route
- Qu’est-ce donc que tu regardes
Là-bas? Qu’est-ce que tu écoutes ?
Rester ! il ne reste rien
Des rires, des rêves, de l’été…
Ils s’en furent par d’autres chemins.
Je suis las d’avoir été.
16 – On part à sa guise et l’on chante…
On part à sa guise et l’on chante
- Quel écho dira le refrain ?
Ce sont nos vieux airs qui me hantent,
Et comme une angoisse m’étreint
On part à son heure et sans hâte
- Et le pas s’est précipité
On a choisi la route plate
- Nous allons gravir le sentier;
On part pour se prouver libre,
A son heure, sur la route qui plut
- Déjà on est las de la suivre:
N’est plus libre quiconque a voulu.
14 – Demain est aux vingt ans fiers…
Demain est aux vingt ans fiers;
Leurs rires passent, et l’on reste accoudé;
On a honte, un peu, de ses joyeux hiers,
Comme d’un habit démodé.
Demain, c’est l’automne qui parle
De plus près à l’oreille qui l’écoute.
Je suis sans regret, mais j’ai mal;
Je suis sans effroi, mais je doute;
Non certes, de ma journée:
J’ai vécu, au mieux, le poème;
Mais l’âme reste étonnée
De n’être plus elle-même.
13 – On se prouve que tout est bien…
On se prouve que tout est bien;
Qu’il est sage de changer de rêve;
Que tout sera mieux, demain;
Que le passé s’y achève;
Qu’il est bon de rompre un lien;
De fouler les feuilles mortes;
Qu’hier est déjà trop ancien
Pour qu’on en cause encor de la sorte;
Que la vie est toujours nouvelle;
Que demain est le jour des forts…
Je me souviens d’heures plus belles
Que demain – et demain, c’est la mort.
12 – Je chante haut pour m’entendre…
Je chante haut pour m’entendre,
Car la nuit est noire et sans voix;
- La route est molle et la terre est tendre
Il a plu trois jours sur les bois.
Je frappe le sol en cadence
Du bout de mon bâton ferré
- Ici, l’ombre des bois est si dense
Qu’en plein jour on n’y verrait.
Je guette des voix à l’orée
Plus pâle, là-bas, vers la plaine;
- Rien ne sonne à travers la forêt
Que ma voix et mes pas qui peinent.
10 – Tu n’as rien pris de mon âme…
Tu n’as rien pris de mon âme
Que je ne te l’aie donné;
Mon rêve est tendre et calme
De l’oeuvre de ma journée;
Je n’ai rien pris de ta lèvre
Qu’un baiser et qu’un refrain;
Le soir vient, je me lève,
Et je reprends le chemin;
Je te quitte, tu me laisses aller
- Toi, sans regrets, moi sans remords
Aussi bien il le fallait
Selon la vie et le sort.
09 – C’est peu que ces dix années.
C’est peu que ces dix années
Au cours de ta vie en fleur:
Les siècles te sont donnés;
Nous n’avons que des heures.
C’est peu; et c’est toute la fleur,
Pourtant, de ma vie éphémère;
La fleur est fanée et j’ai peur,
Car le fruit de la vie est amer.
Tes roses refleurissent aux portes
Quand Mai s’en revient et rit;
La fleur de ma vie est morte;
Et quel est le fruit de ma vie ?
08 – Qui taillera cette vigne…
Qui taillera cette vigne
Au pâle soleil d’hiver ?
- Là-haut, passeront des cygnes;
Là-bas, les blés seront verts
S’il te regarde d’ici,
Il te verra frileuse et fine;
Mais il aura d’autres soucis
Que ta fine beauté divine;
Et nul autre, d’heures en heures,
Jour par jour, et saison par saison
- Que tu souries ou pleures
Au long de tes horizons
Nul autre, attentif et grave,
Souriant et triste à la fois,
Ne suivra le geste suave
De ta lèvre qui chante à mi-voix.
07 – Je suis riche de soirs et d’aurores…
Je suis riche de soirs et d’aurores,
De chants, de parfums, de clarté;
Quel fruit cueillerais-je encore
Au verger de ta beauté ?
Je suis ivre d’étés et d’automnes,
De fleurs, de fruits et de vins;
Tu m’as fait de toi-même aumône:
Qu’aurais-je imploré demain ?
Mon rêve est réalisé
(L’avais-je rêvé si beau ?)
Et pourtant mon coeur est brisé,
Et je songe qu’on rêve au tombeau.
06 – D’autres viendront par la prée…
D’autres viendront par la prée
S’asseoir au banc de la porte;
Tu souriras belle et parée,
Du seuil, à ta jeune escorte:
Ils marcheront à ta suite
Aux rayons de ton printemps
- Qu’ont-ils à courir si vite ?
Moi, j’eus, aussi, leurs vingt ans
Ils auront tes sourires
Et ta jeunesse enchantée…
Qu’importe? qu’en sauront-ils dire:
Moi seul, je t’aurai chantée.
05 – J’ai couru d’abord; j’étais jeune…
J’ai couru d’abord; j’étais jeune;
Et puis je me suis assis:
Le jour était doux et les meules
Étaient tièdes, et ta lèvre aussi;
J’ai marché, j’étais grave,
Au pas léger de l’amour;
Qu’en dirai-je que tous ne savent ?
J’ai marché le long du jour;
Et puis, au sortir de la sente,
Ce fut une ombre, soudain:
J’ai ri de ton épouvante;
Mais la nuit m’entoure et m’étreint.
02 – J’ai choisi l’automne attendri…
J’ai choisi l’automne attendri
Et cette heure des ombres longues;
Je cueille une rose flétrie;
On marche et les feuilles tombent.
J’ai choisi ce tournant de route
D’où le ciel est plus loin dans le soir;
Tout est si calme! on écoute
Des rires au fond de la mémoire…
J’ai choisi ce soir d’automne
- Je suis lâche si tu souris -
Si j’hésite et me retourne,
Je ne reverrai que la nuit.
01 – Le rêve de la vallée…
Le rêve de la vallée,
Toute d’or et d’Ombre au loin,
M’a pris et bercé et roulé
Dans un parfum de vigne et de foin;
Son rêve engourdit ma pensée
En un bruit de faux et de feuilles:
Mon âme roule bercée
En un songe de joie et de deuil…
Car l’heure est frêle et mouillée
Comme un reflet de fleur au fleuve,
- Voici la fleur effeuillée:
L’eau verte est à jamais neuve -
Ô douce vallée, tu rêves:
Ton rêve est l’éternité;
Que me prends-tu mon heure brève
Et ma force et ma volonté ?