La vengeance est une justice sauvage
Francis Bacon
Citation pour clôturer ce livre
J'avais du mal à y croire. J'imaginais cela réservé à la littérature policière ou au cinéma. Pourtant, l'actualité commençait à se remplir de ce type de meurtres horribles, il fallait s'y résoudre.
Je pensait à cet adolescent que j'avais vu dans un journal télévisé. Les cheveux et les yeux noirs corbeau, maquillé comme le chanteur de Cure, le ton calme et assuré, il expliquait comment il avait mis le feu à sa petite amie, en offrande au diable.
L'échec des hommes politiques, la crise financière, le recul des religions y étaient probablement pour beaucoup.
Ortega sortit de la petite chapelle. Son visage était impassible, ses gestes lents et gracieux. Presque chorégraphiques. Même si je n’en dis rien à Pablo sur le coup, je dois admettre qu’il en imposait. Le mot charisme semblait avoir été inventé pour ce type arrogant. N’étant jamais entrée dans une arène, n’ayant jamais croisé un torero, j’avais une image très folklorique et désuète de tout ce petit monde. Le sentiment d’un cirque ringard où les matadors amusaient la galerie dans leur costume ridicule. Ces préjugés venaient de s’écrouler.
Pendant les semaines suivantes, l'enquête resta au point mort, mes soirées dans le club ne m'ayant pas permis de vérifier ma théorie. Je commençais à désespérer et mon enthousiasme du début laissait insidieusement place à ma dépression chronique dans les méandres de mon cerveau fatigué.
Toute sirène ouverte, nous prîmes la direction de Tourcoing. J'aimais ces trajets rapides que nous étions amenés à faire lors des interpellations, car ils me rappelaient que j'étais vivant, actif et pas uniquement un gratte-papier à la solde de l'Etat.
A peine rentré chez moi hier, je suis ressorti pour picoler. J'étais ivre de sommeil mais mes vieux démons se sont réveillés. Le spleen m'a envahi. Pour oublier ma tristesse inexplicable, je suis allé boire un whisky sans glace dans un bar de bas étage pas loin de mon domicile. Puis un deuxième. Au final, deux bouteilles sont parties.
Mes succès dans le cadre de plusieurs enquêtes complexes dans l’agglomération lilloise m’avaient valu d’être nommé commissaire dans la plus célèbre des brigades connues sous l’apocope Crim’, celle rattachée à la DRPJ de Paris et trouvant adresse au 36 Quai des Orfèvres. Moi, le petit fils d’immigré sicilien, j’allais avoir l’honneur, à 36 ans, hasard facétieux, de coordonner les enquêtes des « groupes de droit commun » pour tout homicide, enlèvement ou incendie meurtrier. La sensation était à la fois grisante et effrayante. J’étais fier de moi, comme un artiste provincial des années 20 qui aurait eu la chance de « monter » à la capitale. J’avais peur également, peur de ne pas être à la hauteur de ce que mes supérieurs attendaient, peur de ne pas m’épanouir dans une mégapole étrangère et terrifiante