Citations de Georges Guillain (14)
Extrait 2 de Petite Histoire d'Il (Inédit)
des villes aussi bien sûr
qu'Il en connaît et pas à cause des grosses
lettres sur les cartes ça ne l'effraie pas
d'y vivre parent lointain de toutes nationalités qu'il croise
comme ça au détour d'une allée ou longeant le canal
Saint Martin empaquetés dans de très sales couvertures
ou repliés dans des cartons et les mêmes parfois
qu'il a vus sous les beaux éclairages du soir
rue Montorgueuil ployant sous des piles
de fruits la tringle
à leur manteau d'évêque
redoutable
SIX AOÛT
secs
on se dirait quand même qu’il fait doux qu’on cueillera
les prunes
demain six août de bonne heure avant que les étourneaux
les pillent
secrètement la mort étalant ses vernis
les flammes de l’été
des ombres
les traversent
montent toujours les escaliers de fer
un paysage autour du grand feuillage combustible jaune
durci de faines
sur la tombe de la saison
la pesanteur de leur corps les franchit
d’un mouvement de la jambe
sans écraser
on parle d’elles
visibles transparentes voyant ce rien
qu’est devenu leur geste la façon qu’elles ont eu de pencher
et de courber
avec
sur elles
les branches
le vif et le lent faits ensemble pour le reste de la journée
QUE CE LIEU POUR RESTER
EXTRAIT 4
Ainsi
tu n’auras pas à dire
qui tu es
à préciser
qui te manquait ce jour-là à cette heure
tu n’auras pas à dire
s’il s’agissait d’une soirée pluvieuse
où tu avais trop bu
si tu lisais sans voir un poète chinois …
tu n’as plus de mémoire pour ces choses
qui se mêlent pourtant en toi comme toutes les autres
qui font parfois semblant de te connaître
et puis t’éclairent
au fond
sont ta lanterne sourde
[...]
SIX AOÛT
hautes herbes
dessous
il y aurait des jardins des fleurs des papillons des murs les gestes
d’autrefois le bleu des fours des torchons épaissis de pâte les noms
aussi des cent vingt neuf mille cinq cent quatre vingt-huit d’entre nous
les hommes brûlés vifs dans leurs rues leurs boutiques les cinémas
leurs chambres et les salles d’attente des cabinets de médecin
les ascenseurs les casernes
figures
où sècherait encore un fragment de la mer devenu sel sur les paupières
de vieux corps épluchés des gestes anciens maternels que rien n’habite
plus pas plus que le corps sans moteur des oiseaux leurs ailes
de goudron au pied des arbres
IL N’Y A PAS DE POÉSIE DESCRIPTIVE…
Extrait 2
alors
on dira
que sur les toits ce sont des souvenirs d’école
des histoires qui glissent
un coin du monde saisissant
par les yeux
bien maté
qui nous traverse
se reconstruit
en ordre inverse
Extrait 1 de Petite Histoire d'Il (Inédit)
ce matin fait beaucoup plus
que son âge les vivants vivent avec
peine alors Il se demande
rescapé d'une arrière cour alourdie de friture
quelle chose sur ce globe reste ferme
comme la chair heureuse et rose
des pommes de terre
VOILÀ…
Voilà / Il ne sait plus où il a lu que les hommes âgés
pourraient être des explorateurs mais il voit bien
que chaque heure chaque moment sont envahis
pour lui d’imperceptibles métamorphoses
et depuis qu’il a abandonné toute ambition
de réussir il éprouve un peu moins de fatigue
à regarder le tracé brusque des oiseaux
quand il rencontre cet autre bleu même pas bleu
que la mer dans son œil aplatit puis renverse
et puis l’été et les beaux jours d’hiver encore
Il se promène s’enfonce un peu dans le sable
des dunes hasardant son piètre corps sous l’air qui
penche en charpentes laiteuses / Il redevient heureux
les muscles de ses paupières battent à grands coups
de marteau
TANT QUE NOUS SOMMES…
pour nos « amis russes », du 2e régiment spécial russe
qui reposent à Saint-Hilaire-le-Grand
Extrait 3
asphodèles
asphodèles
asphodèles
……………………………….
libérées
d’invisible
dans l’apostrophe minuscule
entre les croix de
la lumière
ces fleurs
qu’on ne cherche même plus à nommer
maintenant
qu’un peu de corde
ou de raphia
au mur
retient le vent
de les
briser
QUE CE LIEU POUR RESTER
EXTRAIT 3
Finalement
tu réduis tout
à presque rien
rien cette poudre qui reste
sur les doigts
ce grand savoir dressant dans ton cerveau
ses murs de cave
tu as
de moins en moins besoin
de ce gros projecteur des livres
de coller à la lumière enfin tranquille de cet arbre
sans nom sans âge
le poids voulu d’une forêt
le brun verdâtre de ses fruits
tu fuis
l’étroite nomenclature des choses du passé
dont tu ne cherches pas à fixer les lignes chiffonnées
rapetasser
tout l’être épars
pour en sentir juste l’approche
impalpable sans mots
Que ce lieu pour rester ‒ extrait 2
Voilà
que tu es devenu poreux
…
Car
on t’attend quelque part
dans l’enfoui
comme autrefois
tu te souviens
de cette vie profonde sous la pile des linges
que tout était par devant
bien plié le journal sur la table
puis la table dans le jardin
avec du ciel
mais dans un fouillis débonnaire
d’odeurs et de regards
et de sœurs probes qui caressent
aujourd’hui tous ces vivants
jamais rejoints
sont-ils toujours de ta famille
pris ici dans les mots
n’ayant que ce lieu
pour rester
Que ce lieu pour rester ‒ extrait 1
Voilà
que tu es devenu poreux
ta vie
ton corps
bien près d’éclore
un demi-siècle
que tu es cette chose vivante
à son tour
sur la terre
et ne sait toujours pas quoi
t’emplit
te contient
dont tu parais soudain voûté
craintif
un ton plus bas
et cependant tu sens montant la simple côte
en faisant rouler la pierre
que quelque chose est là
pour toi
impossible à dilapider
IL N’Y A PAS DE POÉSIE DESCRIPTIVE…
Extrait 1
quand même
il n’y a pas de poésie descriptive
rien ne se représente ou rien n’est jamais là
totalement
que nous
du ciel
et dessous
la main qui tremble simplement
ces gros paquets partout de nerfs
aboutissant à des images
TANT QUE NOUS SOMMES…
pour nos « amis russes », du 2e régiment spécial russe
qui reposent à Saint-Hilaire-le-Grand
Extrait 2
chanvres d’eau
compagnons blancs
compagnons rouges
et toujours
et toujours
bardanes et chardons
aconits
achillées
joubarbes
belladones
bryones
œillets
orpins âcres
raiponces
aspérules
fumeterres
…
TANT QUE NOUS SOMMES…
pour nos « amis russes », du 2e régiment spécial russe
qui reposent à Saint-Hilaire-le-Grand
Extrait 1
coquelicots
bleuets
mais toujours
aigremoines
ancolies
gouttes de sang
molènes
marjolaines
lunaires
liondents poilus
les dames d’onze heures
morelles douces-amères
passerages
centaurées
véroniques
résédas
rues
digitales
germandrées
gesses des prés
lampsanes
gratterons
laiterons
cardamines
…