Que ce second peintre est, en effet, un Espagnol, et que dans certains cas il a achevé des effigies presque terminées par Giusto, c’est un fait que prouve clairement l'Albert le Grand dont le livre ouvert laisse voir, à côté d’une page découverte, portant un texte latin, un feuillet soulevé dont l’envers permet de lire des fragments de vers castillans, que certes on ne peut supposer dus à Joos van Wassenhove.
Une preuve irréfutable, plus forte que tout document écrit, touchant l’identité de ce « Pietro Spagnuolo » avec Pedro Berruguete, nous est fournie par plusieurs des retables que celui-ci peignit après son retour en Espagne et dans lesquels les souvenirs des portraits d’Urbin sautent aux yeux. Comparons, par exemple, au Salomon d’Urbin le même personnage peint par Berruguete à Paredes de Nava, et surtout sur un panneau de retable de la Collection Ruiz, à Madrid.
Revenons au projet du duc d’Urbin de peupler son palais d’effigies de penseurs illustres.
Nous avons dit que Federigo avait tenu à placer ces effigies dans son propre cabinet de travail, une petite salle presque carrée située à l’étage, ne mesurant que 3,54 mètres sur 3,27. Ce studio était éclairé par une seule fenêtre haute, dans sa paroi occidentale et les effigies devaient trouver place au-dessus de lambris très richement marquetés. L’espace disponible était manifestement insuffisant pour y représenter en grandeur naturelle vingt-huit figures, côte à côte: la superposition en deux registres s’imposait. Des nécessités inéluctables limitaient donc la liberté du décorateur et devaient lui dicter son plan. Le peintre résolut le problème en distribuant les figures en deux rangs de loges, comme dans un théâtre, chacune de ces loges contenant deux figures assises, vues jusqu’aux genoux et séparées par une colonnette qui, reposant sur le parapet de la loge, divise la baie. Les figures se détachent chacune sur un drap d’honneur, au-dessus duquel est visible, dans la rangée supérieure une voûte, dans la rangée inférieure, un plafond à solives apparentes.
Lorsqu’on a devant soi l'ensemble de la production artistique d’un peintre, bien reconstitué, il arrive que, sans qu’on puisse prouver directement l’attribution d’un seul tableau en particulier, il se dégage pourtant de cet ensemble un si grand nombre, et si varié, d’indices convergeants vers une même hypothèse, que celle-ci acquiert une probabilité très grande, qu’elle atteint ce qu’on appelle la certitude morale. La confirmation négative se fait par l’impossibilité d’imaginer une autre attribution qui satisfasse aux mêmes conditions.