Il était une fois le Titanic, de Gérard A. Jaeger : Deux heures quarante qui changèrent le cours de l'Histoire.
Le réflexe de l'exécuteur, le dédoublement de la personnalité.
Ce n'est pas parce que vous obéissez aux lois que vous les acceptez ( André Cayatte )
Renvoyés dos à dos, les tenants de l’« histoire vraie » et les nouveaux propriétaires de sa légende éternelle ne sont pas prêts à accepter leurs différences. Mais force est de constater que les premiers n’ont plus guère d’espoir de retourner les faits à leur avantage, faute de nouvelles preuves irréfutables sur les raisons objectives du naufrage. Ils offrent donc à leurs contradicteurs des pages blanches que ces derniers s’empressent de combler, avec cette idée qu’ils ont pour mission de corriger le drame, de dépasser la fin d’une histoire pour la transcender. Ce sont eux qui perpétuent l’image du Titanic en répondant à la nécessité de croire à défaut de savoir.
Pour que l'acte historique soit reconnu, il faut que l'affrontement des idées qui l'éclairent concoure à l'établissement d'une seule vérité ; et que la pensée se rachète de ses certitudes ordinaires et de ses convictions morales et politiques. La confrontation des idées précède donc la vérité : elle débroussaille les incohérences de la sentence, souligne les pleins et les déliés des faits disputés pour en tirer la quintessence. Les arguments se démêlent au fil des affrontements, jusqu'à ce que l'épure de l'Histoire se fixe dans le temps de la mémoire.
Prendre les bonnes décisions et donner ses ordres avec toute la rigueur que la situation réclamait à son autorité. La prédestination n’offre pas d’alternative. Le temps était compté.
Les lâches ont tout de suite été désignés, notamment Joseph Bruce Ismay, dont nous avons évoqué le martyre officiel. Mais il n’est pas le seul à partager cet opprobre, que la légende a radicalisé sans lui laisser le plus petit espoir de salut. En dépit des tentatives de réhabilitation, il sera définitivement condamné pour avoir sauvé sa vie.
Les icebergs évoquent des monstres voraces sortant du ventre de la banquise en forme d’estuaire. On devine toute leur sauvagerie, leur force prédatrice, leur pouvoir de se fissurer d’une econde à l’autre. Leur comportement s’annonce aussi imprévisible que dévastateur.
Pour les Inuits, le site d’où s’est détaché cet iceberg était empreint de malédiction. Cette croyance remonterait à plusieurs siècles, au temps où la nourriture se faisait rare et que la seule façon de survivre était de sacrifier une partie du groupe afin de préserver la survie du clan. Les femmes les plus âgées étaient généralement désignées pour accomplir cet acte de renoncement, geste d’offrande et d’abnégation pour la perpétuation de l’espèce. Un rite s’était institué, qui conduisait invariablement ces femmes au sommet d’une falaise d’où elles se jetaient dans le vide.
Le navire, que plus rien ne pouvait détourner de son destin, semblait figé dans le temps comme un ex-voto. Immobile et silencieux, comme étranger au cours de l’Histoire qui allait désormais s’écrire sans lui.
À l’époque des grands voiliers, le franchissement des mers était une épreuve plus dure encore, que les voyageurs traversaient rarement sans péril. C’était le prix de l’espoir et la rançon de l’eldorado.