Citations de Gilles Baudry (100)
L'Autre
« Je ne sais plus de quoi nous nous taisions. »
R. M. Rilke
Prodigue
le ciel dilapide ses étoiles
en vérité nous héritons
de peu de mots
ils ont le poids de la rosée
sur nos instants
à nouveau le silence s'installe
entre nous
la distance nous entretient
laissant place à un Autre.
Que nul hiver ne désespère
Qui consent à la nuit
de la graine
la terre lui sera légère
au long des temps
l'aube ne parle qu'au futur.
Sans autre signe, sans nul autre prologue
que la nuit, sertir l'espoir
du monde dans l'amande du poème.
Mais en cet enclos si précaire,
qui saurait lire en filigrane l'éternel ?
Quelle lumière filtre et graine
dans l'inflexion d'une voix si ténue ?
Langes ou linceul, naissance ou deuil,
comment traduire ce que les mots recèlent ?
Il a neigé tant de silence
sur la page, que ce qui fut jadis écrit
porte le sceau des sans-visage.
Se tenir là
Avec l'étoile grelottante de son coeur
Posée sur le silence
D'immensité
Plus immobile que l'attente la plus pure
De part en part troué
Des larmes dans la voix
Comment oser le geste de pauvre étincelle
En majesté sinon
En se lovant au creux des mots
Convalescents
Ceux qui se risquent à faire quelques pas
Rien d'autre
Que cet effacement de neige sur la page
Ce frisson d'âme
Et ce regard de brume bleue
que tu portes
sur toute chose avec amour
pollinise le monde.
Aujourd'hui je demande
aux arbres mon chemin
blotti contre la chair
de ces heures de grâce
je revois tout:
la grange le grenier la rivière qui rend
les images plus claires
et si j'écris
c'est pour remonter le cours
retrouver en amont
visages et villages
inscrits dans la mémoire
fugitive du sang.
De la fenêtre , nous portons dans les yeux tous les rivages. La brume nappe et nacre les eaux, se fait prisme et filtre tour à tour, prend le voile, ouate les abers telle une soie qui se déchire, translucide, tantôt recèle, tantôt révèle...
Quelle plus humble métaphore du Dieu caché et révélé ? Quel autre appel aux poètes, artistes, contemplatifs, que de faire passer l'énigme au mystère en relevant partout dans sa Création les empreintes digitales de Dieu ?
(Ultreïa! 14)
Toute une vie à guetter le passage
De l'ange ou la naissance d'une étoile
Toute une vie à écouter son coeur
Battre sans fin pour un Absent
A connaître brûlure et veilles
Où rien n'est dit de notre embrasement.
Seul avec le silence bourdonnant d’abeilles
et la fenêtre en croix
sur l’absence habitée
le coquelicot de la lampe dans la nuit
seul à traduire ce qu’on gagne
à vivre dans un lieu perdu
au bout du monde
où tout commence
où se penchent les ombres tutélaires
de Sérusier de Max Jacob de Ségalen
de Saint-Pol-Roux le Magnifique
seul avec tous
frère des choses
à écouter sans fin venir
les pas de Dieu
la plume à la fine pointe de l’âme
à mains nues
j’écris
Aujourd'hui, tout doit aller vite, il faut sauter des pages, parcourir des chapitres, aller à l'essentiel - ou ce que l'on suppose être tel - et l'on oublie de lire, de relire. Or pour qu'un livre soit lu et véritablement compris, il faut qu'il passe par le filtre de l'oreille et cela demande du temps. Je suis très sensible, pour ma part, à la question de l'oralité, de la tonalité. L'opération de la lecture s'apparente, selon moi, à une forme de résurrection par laquelle il s'agit de faire se lever les mots que le poète a préalablement « couchés » sur le papier. Le poème est en quelque sorte un gisant auquel la voix peut donner vie. Certains textes qui me paraissaient abstraits au premier abord, par exemple, me sont devenus lumineux après que je les ai lus à haute voix, respirés.
« Entretien avec trois poètes croyants – Nathalie Nabert, le Frère Gilles Baudry et Jean-Pierre Lemaire, L'ABÎME ENTRE LES MOTS », 15 Mars 2007 (C.E.T. de Caen).
A vos côtés
je me tiens en retrait
je vis de fraternelle solitude
absent
je puis vous joindre
et résumer toute distance
porter ensemble mêmes questions
sur l'avenir
sur nos jours difficiles
et si le ciel s'arrête à mi-hauteur
le sang poursuit son cours
le cœur sa pente naturelle vers l'amour
Dans l'anthologie "Un poème est passé", éditions La Rumeur Libre
rêvé d'avoir dormi
dans le lit clos d'un livre
depuis ce temps à chaque veille
que je lise en lecteur clandestin
ou que j'écrive sous la lampe j'entends
le bruissement des arbres dans les pages
Nous ne poserons pas les pieds
dans les empreintes qu'un destin
pensait nous avoir préparées
[...]
D'autres yeux que les nôtres s'ouvriront
en nous pour regarder intensément
ce que nous n'avions pas su voir
Cette lumière
que le regard murmure
quand il se pose
comme elle nous grandit
Comme il fait beau
dans le silence
qui a tant à nous dire
Lorsque tu passes dans ma nuit
comme la lune
entre les branches,
vite, je dresse la lyre du poème ;
je m’apprête à grimper
un à un les degrés
de mes vers, et c’est toi qui descends
mot à mot
dans les miens.
que sais-tu de l'éternité
sans ombre et sans rivage
de sa soudaine coulée d'or
sur tes épaules brèves ?
L’Étranger
Tu te crois seul et puis quelqu’un
se tient debout dans l’embrasure de l’aurore.
Il ne dit rien. Sa main éclose
vers toi se tend, se ramifie à ton approche.
Qui oserait : si mince est la
paroi de verre entre ce monde et l’autre.
Mais à ses yeux qui le débordent,
tu sens qu’il voudrait tant se délivrer
de fraternelles confidences.
Et comment soutenir le poids de ce visage
cherchant asile et ressemblance
à travers le miroir de ces mots sans famille :
« je suis un homme de passage. »
Confidences
Une île à la place du cœur
un oiseau
une lampe
que sais-je
une autre voix
de l'intérieur
un battement intime
de la lumière
un toit moussu
en pente douce
offert à toi qui seras l'hôte
et la demeure.
Sans la nuit la plus noire
que seraient à nos yeux les étoiles
qu’attendre de l’apparition
d’une aube miraculée ?
Donner aux mots une présence
l'opulence du peu
accorder juste souffle à la vie
Ce n'est pas tant
de garder le silence
qui importe
mais de lui demander
s'il veut bien être le berger
qui nous garde.